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25.11.2015

CHAMFORT : SES MEILLEURS APHORISMES

chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes            Chamfort (1740-1794) est parfois mis avec La Rochefoucauld et La Bruyère pour former avec eux la triade des grands moralistes français de l’époque classique. Il était donc juste que je rassemblasse ses meilleures maximes, comme je l’ai déjà fait pour les deux premiers. Je pense cependant beaucoup de mal de Chamfort, et j’en ferai quelque jour une présentation critique.
            L’œuvre anthume de Chamfort, qui lui valut une élection assez précoce à l’Académie (1781) est très marquée par le goût de son époque et totalement oubliée. Ce qui subsiste, c’est un monceau de fragments publié en 1795 par Ginguené, monceau pourtant très partiel, car les manuscrits inédits de Chamfort, plusieurs cartons, ont été volés dans les jours qui ont suivi sa mort. Des milliers d’aphorismes et de piécettes versifiées ont disparu, à jamais semble-t-il [1]. La petite partie sauvée par Ginguené est publiée le plus souvent sous le titre Maximes et pensées, caractères et anecdotes. Mais Chamfort voulait l’appeler Produits de la civilisation perfectionnée, titre bien meilleur et plus original, que je lui ai restitué.  Je donne à chaque fois la référence de l’édition Garnier-Flammarion réalisée par Jean Dagen.
                  Cet ensemble est constitué de deux parties distinctes : d’une part un recueil classique de maximes à la La Rochefoucauld, d’autre part une collection d’anecdotes et de mots d’esprit, analogue au Sottisier de Voltaire, formant un tableau remarquable du dix-huitième siècle, la grande époque de l’esprit. Mais cette collection pose problème, car le lecteur ne sait pas trop dans quelle mesure Chamfort en est l’auteur : le plus souvent il donne des noms propres, très célèbres ou devenus inconnus de la postérité, et dans ce cas on peut considérer qu’il agit en simple transcripteur, en échotier de son temps. Mais sinon (plus d’une fois sur trois), il recourt soit à une appellation neutre : « un homme », « un philosophe », « un ivrogne », « un vieillard », etc : parce qu’il note ce qu’on lui a rapporté, sans connaître le protagoniste ?, – soit à une initiale : parce qu’il s’agit d’une personne encore vivante avec qui il ne veut pas avoir d’ennuis ? par pudeur, parce que c’est un de ses amis ? ou serait-ce Ginguené qui aurait censuré ces noms ? Dans tous ces cas, on se demande si l’anecdote ou le bon mot ont eu des témoins réels, ou s’ils ne seraient pas plutôt une pure invention de Chamfort. Et justement, parmi ces initiales, l’une revient fréquemment, c’est « M… » : or il saute aux yeux du lecteur attentif que ce « M… » est un masque de Chamfort, qui lui prête ses propres mots, mais pas toujours, car il arrive aussi – rarement – que « M… » ne puisse lui correspondre [2]. Cet amas posthume est donc bien embrouillé, et la cloison entre les « maximes et pensées » et les « caractères et anecdotes » est loin d’être étanche. À quelques exceptions près, j’ai néanmoins évité de recueillir ici des bons mots attribués à des personnes nommément identifiées.

           J’ai classé ces aphorismes en huit parties accessibles d’un clic :         L’homme                La société                  Les femmes et l’amour                      Misanthropie              Morale                       Politique                           Religion                Littérature

 

L’HOMME

. Il y a des sottises bien habillées, comme il y a des sots très bien vêtus. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°40, p. 60).

. Dans les grandes choses, les hommes se montrent comme il leur convient de se montrer ; dans les petites, ils se montrent comme ils sont. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°52, p. 62).

. Les trois quarts des folies ne sont que des sottises. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°57, p. 63).

. On anéantit son propre caractère dans la crainte d’attirer les regards et l’attention, et on se précipite dans la nullité pour échapper au danger d’être peint. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°66, p. 64). chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes,jean dagen,gf

. L’ambition prend aux petites âmes plus facilement qu’aux grandes, comme le feu prend plus aisément à la paille, aux chaumières qu’aux palais. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°68, p. 64).

. Toutes les passions sont exagératrices, et elles ne sont des passions que parce qu'elles exagèrent. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°72, p. 65).

. Le premier des dons de la nature est cette force de raison qui vous élève au-dessus de vos propres passions et de vos faiblesses, et qui vous fait gouverner vos qualités mêmes, vos talents et vos vertus. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°74, p. 65).

. La nature a voulu que les illusions fussent pour les sages comme pour les fous, afin que les premiers ne fussent pas trop malheureux par leur propre sagesse. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°76, p. 65).

. L'esprit n'est souvent au cœur que ce que la bibliothèque d'un château est à la personne du maître. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°84, p. 66).

. Celui qui est juste au milieu, entre notre ennemi et nous, nous paraît être plus voisin de notre ennemi. C'est un effet des lois de l'optique, comme celui par lequel le jet d'eau d'un bassin paraît moins éloigné de l'autre bord que de celui où vous êtes. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°103, p. 74).

. Il y a peu d’hommes à grand caractère qui n’aient quelque chose de romanesque dans la tête ou dans le cœur. L’homme qui en est entièrement dépourvu, quelque honnêteté, quelque esprit qu’il puisse avoir, est, à l’égard du grand caractère, ce qu’un artiste, dailleurs très habile, mais qui n’aspire point au beau idéal, est à l’égard de l’artiste, homme de génie, qui s’est rendu ce beau idéal familier. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°107, p. 74).

. Il y a peu de vices qui empêchent un homme d’avoir beaucoup d’amis, autant que peuvent le faire de trop grandes qualités. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°110, p. 75).

. La nature paraît se servir des hommes pour ses desseins, sans se soucier des instruments qu’elle emploie, à peu près comme les tyrans qui se défont de ceux dont ils se sont servis. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°114, p. 75).

. Le grand malheur des passions n’est pas dans les tourments qu’elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu’elles font commettre, et qui dégradent l’homme. Sans ces inconvénients, elles auraient trop d’avantages sur la froide raison, qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l’homme, la sagesse le fait seulement durer. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°118, p. 76). [3]

. Les méchants font quelquefois de bonnes actions. On dirait qu’ils veulent voir s’il est vrai que cela fasse autant de plaisir que le prétendent les honnêtes gens. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°122, p. 76).

. La sottise ne serait pas tout-à-fait la sottise, si elle ne craignait pas l’esprit. Le vice ne serait pas tout-à-fait le vice, s’il ne haïssait pas la vertu. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°139, p. 79).

. Robinson dans son île, privé de tout, et forcé aux plus pénibles travaux pour assurer sa subsistance journalière, supporte la vie, et même goûte, de son aveu, plusieurs moments de bonheur. Supposez qu’il soit dans une île enchantée, pourvue de tout ce qui est agréable à la vie, peut-être le désœuvrement lui eût-il rendu l’existence insupportable. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°144, p. 79-80).

. Un acte de vertu, un sacrifice ou de ses intérêts ou de soi-même, est le besoin d'une âme noble, l'amour-propre d'un cœur généreux, et, en quelque sorte, l'égoïsme d'un grand caractère. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°147, p. 80).

. Il y a plus de fous que de sages, et dans le sage même, il y a plus de folie que de sagesse. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°149, p. 81).

. On est heureux ou malheureux par une foule de choses qui ne paraissent pas, qu’on ne dit point et qu’on ne peut dire. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°152, p. 81).

. Le temps diminue chez nous l’intensité des plaisirs absolus, comme parlent les métaphysiciens ; mais il paraît qu’il accroît les plaisirs relatifs ; et je soupçonne que c’est l’artifice par lequel la nature a su lier les hommes à la vie, après la perte des objets ou des plaisirs qui la rendaient le plus agréable. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°171, p. 84).

. Les gens qui croient aimer un prince, dans l’instant où ils viennent d’en être bien traités, me rappellent les enfants qui veulent être prêtres le lendemain d’une belle procession, ou soldats le lendemain d’une revue à laquelle ils ont assisté. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°205, p. 94-95).

. Il me semble qu’à égalité d’esprit et de lumière, l’homme né riche ne doit jamais connaître, aussi bien que le pauvre, la nature, le cœur humain et la société. C’est que dans le moment où l’autre plaçait une jouissance, le second se consolait par une réflexion. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°230, p. 100).

. Les premiers sujets de chagrin m'ont servi de cuirasse contre les autres. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°326, p. 125).

. Un des grands malheurs de l’homme, c’est que ses bonnes qualités même lui sont quelquefois inutiles, et que l’art de s’en servir et de les bien gouverner n’est souvent qu’un fruit tardif de l’expérience. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°337, p. 126).

. Il y a une certaine énergie ardente, mère ou compagne nécessaire de telle espèce de talents, laquelle pour l’ordinaire condamne ceux qui les possèdent au malheur. […] C’est une âpreté dévorante dont ils ne sont pas maîtres et qui les rend très odieux. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°416, p. 145).

. C’est un grand malheur de perdre, par notre caractère, les droits que nos talents nous donnent sur la société. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°454, p. 152).

. Il y a une mélancolie qui tient à la grandeur de l'esprit. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°556, p. 178).

. M… me disait : « J’ai renoncé à l’amitié de deux hommes : l’un, parce qu’il ne m’a jamais parlé de lui ; l’autre, parce qu’il ne m’a jamais parlé de moi. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°672, p. 203).

. M… aime qu’on dise qu’il est méchant, à peu près comme les jésuites n’étaient pas fâchés qu’on dît qu’ils assassinaient les rois. C’est l’orgueil qui veut régner par la crainte sur la faiblesse. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°993, p. 270).

. On reprochait à M. de … d’être le médecin Tant Pis. « Celà vient, répondit-il, de ce que j’ai vu enterrer tous les malades du médecin Tant Mieux. Au moins si les miens meurent, on n’a point à me reprocher d’être un sot. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1074, p. 285).

. Le roi de Prusse [= Frédéric II], qui ne laisse pas d’avoir employé son temps, dit qu’il n’y a peut-être pas d’homme qui ait fait la moitié de ce qu’il aurait pu faire. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1106, p. 296).

. M… disait qu’il y avait tels ou tels principes excellents pour tel ou tel caractère ferme et vigoureux, et qui ne vaudraient rien pour des caractères d’un ordre inférieur. Ce sont les armes d’Achille qui ne peuvent convenir qu’à lui, et sous lesquelles Patrocle lui-même est opprimé. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1115, p. 298).

. Les ministres en place s’avisent quelquefois, lorsque par hasard ils ont de l’esprit, de parler du temps où ils ne seront plus rien. On en est communément la dupe, et l’on s’imagine qu’ils croient ce qu’ils disent. Ce n’est de leur part qu’un trait d’esprit. Ils sont comme les malades qui parlent souvent de leur mort, et qui n’y croient pas, comme on peut le voir par d’autres mots qui leur échappent. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1118, p. 298).

. L’homme arrive novice à chaque âge de la vie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1185, p. 309).[4]

. A : — Comment avez-vous fait pour n’être plus sensible ? / B : — Cela s’est fait par degrés. / A : — Comment ? / B : — Dieu m’a fait la grâce de n’être plus aimable ; je m’en suis aperçu, et le reste a été tout seul. (Chamfort, Petits dialogues philosophiques, I ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 347).

. Damon : – Clitandre est plus jeune que son âge. Il est trop exalté. Les maux publics, les torts de la société, tout l’irrite et le révolte. / Célimène : – Oh ! il est jeune encore, mais il a un bon esprit ; il finira par se faire vingt mille livres de rente, et prendre son parti sur tout le reste. (Chamfort, Petits dialogues philosophiques, XVII ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 350).

. A : — J'ai fait comme les gens sages, quand ils font une sottise. / B : — Que font-ils ? / A : — Ils remettent la sagesse à une autre fois. (Chamfort, Petits dialogues philosophiques, XXI ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 351).

. La présence d’un malheureux fait sur la plupart des hommes l’effet de la tête de Méduse : à sa vue les cœurs se changent en pierre. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°11 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 321). [5]

. On loue tout ce qu’on a : certains se vantent de leur sottise, et l’appelle[nt] bon sens ; d’autres de leur beauté ; d’autres encore, bouffis d’orgueil par leur richesse, mettent ce don du ciel sur le compte du discernement et de la prudence. L’écrivain éditant un in-folio méprise l’auteur d’un in-12, et s’imagine supérieure à lui comme l’in-folio est plus grand que l’in-12. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°17 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 322).

. Personne ne souhaite être seul au monde ; pas même l’avare, quoiqu’il posséderait tout, pas même l’envieux, quoiqu’il ne verrait plus que des ruines. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°18 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 322). 

. Les vices sont plus souvent des habitudes que des passions. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°21 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 323).

. Si la pauvreté fait soupirer l’homme, la richesse le fait bâiller. Quand le destin nous dispense de travail, la nature nous accable sous le poids du temps. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°24 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 323).

. Les petits esprits crient victoire devant les erreurs du génie, comme le hibou se réjouit d’une éclipse de soleil. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°26 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 323).

. Pour l’homme riche et sans esprit, les loisirs sont sans repos, le repos sans plaisir et le temps, ce trésor de l’âme active, une taxe sur son oisiveté. L’homme d’esprit se cherche lui-même, le riche s’efforce d’échapper à lui-même. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°28 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 323).

. Plus j’étudie l’homme, plus je vois que je n’y vois rien. (Chamfort, Lettre n°10, 12 août 1792 ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 400).

 

LA SOCIÉTÉ

. Il faut convenir qu'il est impossible de vivre dans le monde, sans jouer de temps en temps la comédie. Ce qui distingue l'honnête homme du fripon, c'est de ne la jouer que dans les cas forcés, et pour échapper au péril, au lieu que l'autre va au-devant des occasions. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°12, p. 54). 

. On croit le sourd malheureux dans la société. N’est-ce pas un jugement prononcé par l’amour-propre de la société, qui dit : «  Cet homme-là n’est-il pas trop à plaindre de n’entendre pas ce que nous disons ? » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°28, p. 57). chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes,albert camus,folio

. La meilleure philosophie, relativement au monde, est d'allier, à son égard, le sarcasme de la gaieté avec l'indulgence du mépris. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°31, p. 58).

. On souhaite la paresse d'un méchant et le silence d'un sot. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°36, p. 59).

. La plupart des hommes qui vivent dans le monde y vivent si étourdiment, pensent si peu, qu’ils ne connaissent pas ce monde qu’ils ont toujours sous les yeux. « Ils ne le connaissent pas, disait plaisamment M. de B…, par la raison qui fait que les hannetons ne savent pas l’histoire naturelle. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°44, p. 61).

. L'opinion est la reine du monde, parce que la sottise est la reine des sots. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°58, p. 63).

. L’importance sans mérite obtient des égards sans estime. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°60, p. 63).

. Le public ne croit point à la pureté de certaines vertus et de certains sentiments ; et, en général, le public ne peut guère s'élever qu'à des idées basses. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°90, p. 71).

. On croit communément que l’art de plaire est un grand moyen de faire fortune : savoir s’ennuyer est un art qui réussit bien davantage. Le talent de faire fortune, comme celui de réussir auprès des femmes, se réduit presque à cet art-là. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°106, p. 74).

. Quand on veut éviter d’être charlatan, il faut fuir les tréteaux ; car, si l’on y monte, on est bien forcé d’être charlatan, sans quoi l’assemblée vous jette des pierres. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°109, p. 75).

. Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°130, p. 78).[6]

. Célébrité : l'avantage d'être connu de ceux qui ne vous connaissent pas. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°135, p. 78).

. Le changement de modes est l'impôt que l'industrie du pauvre met sur la vanité du riche. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°163, p. 82).

. Qu’est-ce que la société, quand la raison n’en forme pas les nœuds, quand le sentiment n’y jette pas d’intérêt, quand elle n’est pas un échange de pensées agréables et de vraie bienveillance ? Une foire, un tripot, une auberge, un bois, un mauvais lieu et des petites-maisons [= un asile de fous] ; c’est tout ce qu’elle est tour à tour pour la plupart de ceux qui la composent. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°179, p. 89).

. La société, ce qu’on appelle le monde, n’est que la lutte de mille petits intérêts opposés, une lutte éternelle de toutes les vanités qui se croisent, se choquent, tour à tour blessées, humiliées l’une par l’autre, qui expient le lendemain, dans le dégoût d’une défaite, le triomphe de la veille. Vivre solitaire, ne point être froissé dans ce choc misérable où l’on attire un instant les yeux pour être écrasé l’instant d’après, c’est ce qu’on appelle n’être rien, n’avoir pas d’existence. Pauvre humanité ! (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°214, p. 96-97).

. Des qualités trop supérieures rendent souvent un homme moins propre à la société. ON ne va pas au marché avec des lingots ; on y va avec de l’argent ou de la petite monnaie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°256, p. 105).

. Pour avoir une idée juste des choses, il faut prendre les mots dans la signification opposée à celle qu’on leur donne dans le monde. Misanthrope, par exemple, cela veut dire philanthrope ; mauvais Français, cela veut dire bon citoyen qui indique certains abus monstrueux ; philosophe, homme simple, qui sait que deux et deux font quatre, etc. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°258, p. 105).

. Quand on veut plaire dans le monde, il faut se résoudre à se laisser apprendre beaucoup de choses qu'on sait par des gens qui les ignorent. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°261, p. 106).

. Les succès produisent les succès, comme l’argent produit l’argent. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°450, p. 151).

. La France, pays où il est souvent utile de montrer ses vices, et toujours dangereux de montrer ses vertus. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°493, p. 163).

. Un homme fort riche disait en parlant des pauvres : « On a beau ne rien leur donner, ces drôles-là demandent toujours. » Plus d’un prince pourrait dire cela à ses courtisans. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°560, p. 179).

. Je disais à M. R…, misanthrope plaisant, qui m’avait présenté un jeune homme de sa connaissance : « Votre ami n’a aucun usage du monde, ne sait rien de rien. — Oui, dit-il ; et il est déjà triste comme s’il savait tout. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°669, p. 203)

. « La manière dont je vois distribuer l’éloge et le blâme, disait M. de B…, donnerait à un plus honnête homme l’envie d’être diffamé. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°977, p. 268).

. On disait à M… : « Vous aimez beaucoup la considération. » Il répondit ce mot qui me frappa : « Non, j’en ai pour moi, ce qui m’attire quelquefois celle des autres. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°979, p. 268).

. « Dans le monde, disait M…, vous avez trois sortes d’amis : vos amis qui vous aiment, vos amis qui ne se soucient pas de vous, et vos amis qui vous haïssent. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1011, p. 273).

. Après le crime et le mal faits à dessein, il faut mettre les mauvais effets des bonnes intentions, les bonnes actions nuisibles à la société publique, comme le bien fait aux méchants, les sottises de la bonhommie, les abus de la philosophie appliquée mal à propos, la maladresse en servant ses amis, les fausses applications des maximes utiles ou honnêtes, etc. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1116, p. 298).

. M… disait, à propos de la manière dont on vit dans le monde : « La société serait une chose charmante, si on s’intéressait les uns aux autres. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1225, p. 316).

. Dans le temps qu'on établit plusieurs impôts qui portaient sur les riches, un millionnaire, se trouvant parmi des gens riches qui se plaignaient du malheur des temps, dit : « Qui est-ce qui est heureux dans ces temps-ci ? Quelques misérables. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1246, p. 320).

. Un vieillard que j’ai connu dans ma jeunesse me disait, à propos de la fortune de M. le duc de… : « J’ai presque toujours vu le bonheur des ministres et des favoris se terminer de façon à leur faire porter envie à leurs commis ou à leurs secrétaires. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1331, p. 342).

. Nos goûts et nos passions nous compromettent [plus] que nos opinions et nos erreurs. Rousseau s’est plus déconsidéré auprès du public par ses Confessions que par ses paradoxes. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°16 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 322). [7]

 

LES FEMMES ET L’AMOUR

. Toutes les fois que je vois de l’engouement dans une femme, ou même dans un homme, je commence à me défier de sa sensibilité. Cette règle ne m’a jamais trompé. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°346, p. 131).

. L’amour est comme les maladies épidémiques. Plus on les craint, plus on y est exposé. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°348, p. 131). chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes,jean dagen,gf

. Un homme amoureux est un homme qui veut être plus aimable qu'il ne peut ; et voilà pourquoi presque tous les amoureux sont ridicules. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°349, p. 131).

. C'est par notre amour-propre que l'amour nous séduit ; hé ! comment résister à un sentiment qui embellit à nos yeux ce que nous avons, nous rend ce que nous avons perdu et nous donne ce que nous n'avons pas ? (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°356, p. 133).

. Ôtez l’amour-propre de l’amour, il en reste trop peu de chose. Une fois purgé de vanité, c’est un convalescent affaibli, qui peut à peine se traîner. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°358, p. 133).

. L'amour, tel qu'il existe dans la société, n'est que l'échange de deux fantaisies et le contact de deux épidermes. [8] (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°359, p. 133).

. On vous dit quelquefois, pour vous engager à aller chez telle ou telle femme : «  Elle est très aimable » ; mais si je ne veux pas l’aimer ! Il vaudrait mieux dire : « Elle est très aimante », parce qu’il y a plus de gens qui veulent être aimés que de gens qui veulent aimer eux-mêmes. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°360, p. 133).

. Si l’on veut se faire une idée de l’amour-propre des femmes dans leur jeunesse, qu’on en juge par celui qui leur reste, après qu’elles ont passé l’âge de plaire.  (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°361, p. 133).

. « Il me semble, disait M. de …, à propos des faveurs des femmes, qu’à la vérité, celà se dispute au concours, mais que celà ne se donne ni au sentiment, ni au mérite. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°362, p. 134).

. Soyez aussi aimable, aussi honnête qu’il est possible, aimez la femme la plus parfaite qui se puisse imaginer ; vous n’en serez pas moins dans le cas de lui pardonner ou votre prédécesseur, ou votre successeur. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°369, p. 134-135).

. Une femme d’esprit m’a dit un jour un mot qui pourrait bien être le secret de son sexe : c’est que toute femme, en prenant un amant, tient plus de compte de la manière dont les autres femmes voient cet homme, que de la manière dont elle le voit elle-même. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°373, p. 135).

. Il y a des redites pour l’oreille et pour l’esprit ; il n’y en a point pour le cœur. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°376, p. 135).

. Sentir fait penser. On en convient assez aisément ; on convient moins que penser fasse sentir, mais celà n'est guère moins vrai. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°377, p. 135).

. Il semble que l’amour ne cherche pas les perfections réelles ; on dirait qu’il les craint. Il n’aime que celles qu’il crée, qu’il suppose ; il ressemble à ces rois qui ne reconnaissent de grandeurs que celles qu’ils ont faites. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°380, p. 136).

. Les naturalistes disent que, dans toutes les espèces animales, la dégénération commence par les femelles. Les philosophes peuvent appliquer au moral cette observation, dans la société civilisée. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°381, p. 136).

. On dit communément : « La plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu'elle a », ce qui est très faux : elle donne précisément ce qu'on croit recevoir, puisqu'en ce genre c'est l'imagination qui fait le prix de ce qu'on reçoit. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°383 p. 136).

. J’ai remarqué, en lisant l’Écriture, qu’en plusieurs passages, lorsqu’il s’agit de reprocher à l’humanité des fureurs ou des crimes, l’auteur dit : « les enfants des hommes » ; et quand il s’agit de sottises ou de faiblesses, il dit : « les enfants des femmes ». (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°385, p. 137).

. On serait trop malheureux, si, auprès des femmes, on se souvenait le moins du monde de ce qu’on sait par cœur. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°386, p. 137).

. Il semble que la nature, en donnant aux hommes un goût pour les femmes, entièrement indestructible, ait deviné que, sans cette précaution, le mépris qu’inspirent les vices de leur sexe, principalement leur vanité, serait un grand obstacle au maintien et à la propagation de l’espèce humaine. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°387, p. 137).

. Le mariage et le célibat ont tous deux des inconvénients ; il faut préférer celui dont les inconvénients ne sont pas sans remède. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°389, p. 137).

. L’amour plaît plus que le mariage, par la raison que les romans sont plus amusants que l’histoire. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°391, p. 137).

. L’amant, trop aimé de sa maîtresse, semble l’aimer moins, et vice-versa. En serait-il des sentiments du cœur comme des bienfaits ? Quand on n’espère plus pouvoir les payer, on tombe dans l’ingratitude. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°404, p. 139).

. En amour, tout est vrai, tout est faux ; et c'est la seule chose sur laquelle on ne puisse pas dire une absurdité. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°408, p. 140). [9]

. Un homme amoureux, qui plaint l’homme raisonnable, me paraît ressembler à un homme qui lit des contes de fées, et qui raille ceux qui lisent l’histoire. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°409, p. 140).

. M… disait : « Les femmes n’ont de bon que ce qu’elles ont de meilleur. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°628, p. 195).

. M… me dit un jour plaisamment, à propos des femmes et de leurs défauts : « Il faut choisir d’aimer les femmes ou de les connaître : il n’y a pas de milieu. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1027, p. 276).

. Une femme parlait emphatiquement de sa vertu et ne voulait plus, disait-elle, entendre parler d’amour. Un homme d’esprit dit là-dessus : « À quoi bon cette forfanterie ? ne peut-on pas trouver un amant sans dire celà ? » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1050, p. 280).

. « Le moment où j’ai renoncé à l’amour, disait M…, le voici : c’est lorsque les femmes ont commencé à dire : "M…, je l’aime beaucoup, je l’aime de tout mon cœur", etc. Autrefois, ajoutait-il, quand j’étais jeune, elles disaient : "M…, je l’estime infiniment, c’est un jeune homme bien honnête." » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1110, p. 297).

. L’abbé de Fleury avait été amoureux de madame la maréchale de Noailles, qui le traita avec mépris. Il devint premier ministre ; elle eut besoin de lui ; et il lui rappela ses rigueurs. « Ah ! Monseigneur, lui dit naïvement la maréchale, qui l’aurait pu prévoir ? » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1129, p. 300).

. « Vous bâillez, disait une femme à son mari. — Ma chère amie, lui dit celui-ci, le mari et la femme ne sont qu’un, et, quand je suis seul, je m’ennuie. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1136, p. 301).

. Une femme était à une représentation de Mérope [de Voltaire], et ne pleurait point ; on était surpris. « Je pleurerais bien, dit-elle, mais je dois souper en ville. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1144, p. 303).

. On demandait à un homme qui faisait profession d’estimer beaucoup les femmes, s’il en avait eu beaucoup. Il répondit : « Pas autant que si je les méprisais. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1178, p. 308).

. Céline : — Il ne m’aime pas. / Damon : — Comment vous aimerait-il ? vous réunissez presque toutes les perfections.  / Céline : — Eh bien ? / Damon : — L’amour aime qu’elles soient son ouvrage. Il n’a rien à parer chez vous. Son imagination ne peut ni créer ni embellir. Elle reste en repos. (Chamfort, Petits dialogues philosophiques, LXX ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 360-361).

 

MISANTHROPIE

. Notre raison nous rend quelquefois aussi malheureux que nos passions ; et on peut dire de l'homme, quand il est dans ce cas, que c'est un malade empoisonné par son médecin. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°46, p. 61).

. Au lieu de vouloir corriger les hommes de certains travers insupportables à la société, il aurait fallu corriger la faiblesse de ceux qui les souffrent. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°56, p. 63). chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes,livre de poche

. Les fléaux physiques et les calamités de la nature humaine ont rendu la société nécessaire. La société a ajouté aux malheurs de la nature. Les inconvénients de la société ont amené la nécessité du gouvernement, et le gouvernement ajoute aux malheurs de la société. Voilà l’histoire de la nature humaine. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°67, p. 64).

. Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures. C'est un palliatif. La mort est le remède. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°113, p. 75).

. La concorde des frères est si rare que la fable ne cite que deux frères amis, et elle suppose qu’ils ne se voyaient jamais, puisqu’ils passaient tour à tour de la terre aux Champs-Élysées, ce qui ne laissait pas d’éloigner tout sujet de dispute et de rupture. [10] (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°148, p. 80).

. Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe indien : « Il vaut mieux être assis que debout, être couché qu'assis ; mais il vaut mieux être mort que tout cela. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°155, p. 81).

. En voyant ce qui se passe dans le monde, l’homme le plus misanthrope finirait par s’égayer, et Héraclite par mourir de rire. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°229, p. 100).

. La faiblesse de caractère ou le défaut d’idées, en un mot, tout ce qui peut nous empêcher de vivre avec nous-mêmes, sont les choses qui préservent beaucoup de gens de la misanthropie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°270, p. 111).

. On est plus heureux dans la solitude que dans le monde. Cela ne viendrait-il pas de ce que dans la solitude on pense aux choses, et que dans le monde on est forcé de penser aux hommes ? (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°271, p. 111).

. Un homme qui s’obstine à ne laisser ployer ni sa raison ni sa probité, ou du moins sa délicatesse, sous le poids d’aucune des conventions absurdes ou malhonnêtes de la société, qui ne fléchit jamais dans les occasions où il a intérêt de fléchir, finit infailliblement par rester sans appui, n’ayant d’autre ami qu’un être abstrait qu’on appelle la vertu, qui vous laisse mourir de faim. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°273, p. 112).

. Est-il bien sûr qu’un homme qui aurait une raison parfaitement droite, un sens moral parfaitement exquis, pût vivre avec quelqu’un ? Par vivre, je n’entends pas se trouver ensemble sans se battre : j’entends se plaire ensemble, s’aimer, commercer avec plaisir. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°276, p. 112).

. En voyant ou en éprouvant les peines attachées aux sentiments extrêmes, en amour, en amitié, soit par la mort de ce qu’on aime, soit par les accidents de la vie, on est tenté de croire que la dissipation et la frivolité ne sont pas de si grandes sottises, et que la vie ne vaut guère que ce qu’en font les gens du monde. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°315, p. 123).

. On a observé que les écrivains en physique, histoire naturelle, physiologie, chimie, étaient ordinairement des hommes d’un caractère doux, égal, et en général heureux ; qu’au contraire les écrivains de politique, de législation, même de morale, étaient d’une humeur triste, mélancolique, etc. Rien de plus simple : les uns étudient la nature, les autres, la société. Les uns contemplent l’ouvrage du grand Être, les autres arrêtent leurs regards sur l’ouvrage de l’homme. Les résultats doivent être différents. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°417, p. 145).

. Il est presque impossible qu’un philosophe, qu’un poète ne soient pas misanthropes : 1° parce que leur goût et leur talent les portent à l’observation de la société, étude qui afflige constamment le cœur ; 2° parce que leur talent n’étant presque jamais récompensé par la société (heureux même s’il n’est pas puni), ce sujet d’affliction ne fait que redoubler leur penchant à la mélancolie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°452, p. 152).

. Les rois et les prêtres, en proscrivant la doctrine du suicide, ont voulu assurer la durée de notre esclavage. Ils veulent nous tenir enfermés dans un cachot sans issue ; semblables à ce scélérat, dans le Dante, qui fait murer la porte de la prison où était renfermé le malheureux Ugolin. [11] (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°484, p. 162).

. M… disait que ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était paix, silence, obscurité. On lui répondit : « C’est la chambre d’un malade. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°580, p. 184).

. Les hommes sont si pervers que le seul espoir et même le seul désir de les corriger, de les voir raisonnables et honnêtes, est une absurdité, une idée romanesque qui ne se pardonne qu’à la simplicité de la première jeunesse. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°598, p. 187).

. C’est une remarque très fine et très judicieuse de M…, que quelque importuns, quelque insupportables que nous soient les défauts des gens avec qui nous vivons, nous ne laissons pas d’en prendre une partie : être la victime de ces défauts étrangers à notre caractère, n’est pas même un préservatif contre eux. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°770, p. 224).

. J’ai assisté hier à une conversation philosophique entre M. D… et M. L…, où un mot m’a frappé. M. D… disait : « Peu de personnes et peu de choses m’intéressent ; mais rien ne m’intéresse moins que moi. » M. L… lui répondit : « N’est-ce point par la même raison ? et l’un n’explique-t-il pas l’autre ? — Celà est très bien, ce que vous dites là, reprit froidement M. D… ; mais je vous dis le fait. J’ai été amené là par degrés : en vivant et en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°771, p. 224).

. Un philosophe à qui l’on reprochait son extrême amour pour la retraite, répondit : « Dans le monde tout tend à me faire descendre, dans la solitude tout tend à me faire monter. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°828, p. 237).

. Un philosophe, retiré du monde, m’écrivait une lettre pleine de vertu et de raison. Elle finissait par ces mots : « Adieu, mon ami ; conservez, si vous pouvez, les intérêts qui vous attachent à la société, mais cultivez les sentiments qui vous en séparent. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°878, p. 248).

. J’ai connu un misanthrope qui avait des instants de bonhommie, dans lesquels il disait : « Je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque honnête homme caché dans quelque coin et que personne ne connaisse. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°951, p. 264).

. Je demandais à M. de T… pourquoi il négligeait son talent et paraissait si complètement insensible à la gloire ; il me répondit ces propres paroles : « Mon amour-propre a péri dans le naufrage de l'intérêt que je prenais aux hommes. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°986, p. 269). 

. M. de L…, connu pour misanthrope, me disait un jour à propos de son goût pour la solitude : « Il faut diablement aimer quelqu’un pour le voir. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°992, p. 270).

. « Ce qui rend le monde désagréable, me disait M, de L…, ce sont les fripons, et puis les honnêtes gens ; de sorte que, pour que tout fût passable, il faudrait anéantir les uns et corriger les autres. Il faudrait détruire l’enfer et recomposer le paradis. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°998, p. 271).

. On accusait M… d’être misanthrope. « Moi, dit-il, je ne le suis pas, mais j’ai bien pensé l’être, et j’ai vraiment bien fait d’y mettre ordre. — Qu’avez-vous fait pour l’empêcher ? — Je me suis fait solitaire. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1024, p. 275).

. Je demandais à M… pourquoi, en se condamnant à l’obscurité, il se dérobait au bien qu’on pouvait lui faire. « Les hommes, me dit-il, ne peuvent rien faire pour moi qui vaille leur oubli. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1041, p. 278).

. On faisait la guerre à M… sur son goût pour la solitude ; il répondit : « C’est que je suis plus accoutumé à mes défauts qu’à ceux d’autrui. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1098, p. 289).

. La nature, en nous accablant de tant de misère et en nous donnant un attachement invincible pour la vie, semble en avoir agi avec l’homme comme un incendiaire qui mettrait le feu à notre maison après avoir posé des sentinelles à notre porte. Il faut que le danger soit bien grand pour nous obliger à sauter par la fenêtre. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1117, p. 298).

. On disait de M…, qui se créait des chimères tristes et qui voyait tout en noir : « II fait des cachots en Espagne. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1120, p. 299).

. On demandait à madame de Rochefort, si elle aurait envie de connaître l’avenir : « Non, dit-elle, il ressemble trop au passé. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1126, p. 300).

. « Je sais me suffire, disait M…, et dans l’occasion je saurai bien me passer de moi », voulant dire qu’il mourrait sans chagrin. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1167, p. 306).

. M. de …, homme violent, à qui on reprochait quelques torts, entra en fureur et dit qu’il irait vivre dans une chaumière. Un de ses amis lui répondit tranquillement : « Je vois que vous aimez mieux garder vos défauts que vos amis. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1215, p. 315).

. A : — Vous avez trop mauvaise opinion des hommes ; il se fait beaucoup de bien. / B : — Le diable ne peut pas être partout. (Chamfort, Petits dialogues philosophiques, LX ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 359).

. « Tout homme qui,  à quarante ans, n’est pas misanthrope, n’a jamais aimé les hommes. » (Chamfort, propos oral rapporté par Pierre-Louis Rœderer, Biographies, portraits, notices, etc ; Œuvres, Firmin Didot, 1856, tome IV, p. 134).

 

MORALE

. Je crois à l’amitié, je crois à l’amour : cette idée est nécessaire à mon bonheur : mais je crois encore plus que la sagesse ordonne de renoncer à l’espérance de trouver une maîtresse et un ami capables de remplir mon cœur. (Chamfort, lettre n°3 à …, 20 août 1765 ; Œuvres complètes, Chaumerot jeune, 1825, tome V, p. 260 ; ou éd. G.-F. n°188, lettre n°1, 1968, p. 365).

. Il faut savoir faire les sottises que nous demande notre caractère. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°59, p. 63).

. La plus perdue de toutes les journées est celle où l'on n'a pas ri. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°80, p. 66). chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes,claude arnaud,biographie

. Quand on veut devenir philosophe, il ne faut pas se rebuter des premières découvertes affligeantes qu'on fait dans la connaissance des hommes. Il faut, pour les connaître, triompher du mécontentement qu'ils donnent, comme l'anatomiste triomphe de la nature, de ses organes et de son dégoût, pour devenir habile dans son art. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°86, p. 67).

. En apprenant à connaître les maux de la nature, on méprise la mort ; en apprenant à connaître ceux de la société, on méprise la vie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°87 p. 67).

. Telle est la misérable condition des hommes, qu'il leur faut chercher, dans la société, des consolations aux maux de la nature, et, dans la nature, des consolations aux maux de la société. Combien d'hommes n'ont trouvé, ni dans l'une, ni dans l'autre, des distractions à leurs peines ! (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°98, p. 72).

. Il y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver la vie insupportable : ce sont les injures du temps et les injustices des hommes. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°115, p. 75).

. Je ne conçois pas de sagesse sans défiance. L’Écriture a dit que le commencement de la sagesse était la crainte de Dieu ; moi, je crois que c’est la crainte des hommes. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°116, p. 76).

. Il faudrait pouvoir unir les contraires, l'amour de la vertu avec l'indifférence pour l'opinion publique, le goût du travail avec l'indifférence pour la gloire, et le soin de sa santé avec l'indifférence pour la vie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°120, p. 76).

. Celui-là fait plus, pour un hydropique, qui le guérit de sa soif, que celui qui lui donne un tonneau de vin. Appliquez celà aux richesses. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°121, p. 76).

. L’homme sans principes est aussi ordinairement un homme sans caractère, car s’il était né avec du caractère, il aurait senti le besoin de se créer des principes. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°129, p. 78).

. Préjugé, vanité, calcul, voilà ce qui gouverne le monde. Celui qui ne connaît pour règle de sa conduite que raison, vérité, sentiment, n'a presque rien de commun avec la société. C'est en lui-même qu'il doit chercher et trouver presque tout son bonheur. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°159, p. 82).

. Il faut être juste avant d'être généreux, comme on a des chemises avant d'avoir des dentelles. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°160, p. 82).

. Celui qui veut trop faire dépendre son bonheur de la raison, qui le soumet à l'examen, qui chicane, pour ainsi dire, ses jouissances, et n'admet que des plaisirs délicats, finit par n'en plus avoir. C'est un homme qui, à force de faire carder son matelas, le voit diminuer, et finit par coucher sur la dure. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°170, p. 84).

. Quand on a été bien tourmenté, bien fatigué par sa propre sensibilité, on s’aperçoit qu’il faut vivre au jour le jour, oublier beaucoup, enfin éponger la vie à mesure qu’elle s’écoule. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°172, p. 84).

. Un homme d'esprit est perdu s'il ne joint pas à l'esprit l'énergie de son caractère. Quand on a la lanterne de Diogène, il faut aussi avoir son bâton. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°277, p. 112).

. Quiconque n’a pas de caractère n’est pas un homme, c’est une chose. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°285, p. 114).

. Presque tous les hommes sont esclaves, par la raison que les Spartiates donnaient de la servitude des Perses, faute de savoir prononcer la syllabe non. Savoir prononcer ce mot et savoir vivre seul sont les deux seuls moyens de conserver sa liberté et son caractère. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°289, p. 115).

. La vie contemplative est souvent misérable. Il faut agir davantage, penser moins, et ne pas se regarder vivre. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°341, p. 127).

. Un vieillard, me trouvant trop sensible à je ne sais quelle injustice, me dit : « Mon cher enfant, il faut apprendre de la vie à souffrir de la vie. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°923, p. 258).

. D… s’étonnait de voir M. de L…, homme très accrédité, échouer dans tout ce qu’il essayait de faire pour un de ses amis. C’est que la faiblesse de son caractère anéantit la puissance de sa position. Celui qui ne sait pas ajouter sa volonté à sa force, n’a point de force. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°999, p. 271).

. « Le bonheur, disait M…, n’est pas chose aisée. Il est très difficile de le trouver en nous, et impossible de le trouver ailleurs. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1095, p. 288). [12]

. A : — Il faut vivre avec les vivants. / B : — Cela n’est pas vrai ; il faut vivre avec les morts. (C’est-à-dire avec ses livres). (Chamfort, Petits dialogues philosophiques, XXIV ; éd. G.-F. n°188, 1968, p. 351).

 

POLITIQUE

. Il est plus facile de légaliser certaines choses que de les légitimer. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°134, p. 78).

. On gouverne les hommes avec la tête : on ne joue pas aux échecs avec un bon cœur. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°521, p. 168).

. Pourquoi arrive-t-il qu’en France un ministre reste placé, après cent mauvaises opérations ? et pourquoi est-il chassé pour la seule bonne qu’il ait faite ? (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°490, p. 162).

. En France, on laisse en paix ceux qui mettent le feu, et on persécute ceux qui sonnent le tocsin. [13] (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°499, p. 164).

. Qu’importe qu’il y ait sur le trône un Tibère ou un Titus, s’il a des Séjan pour ministres ? (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°480, p. 161).

. Le public est gouverné comme il raisonne. Son droit est de dire des sottises, comme celui des ministres est d’en faire. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°502, p. 164).

. Quand il se fait quelque sottise publique, je songe à un petit nombre d’étrangers qui peuvent se trouver à Paris ; et je suis prêt à m’affliger, car j’aime toujours ma patrie. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°503, p. 164).

. Semblable aux animaux qui ne peuvent respirer l’air à une certaine hauteur sans périr, l’esclave meurt dans l’atmosphère de la liberté. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°520, p. 168).

. Une des raisons pour lesquelles les corps et les assemblées ne peuvent guère faire autre chose que des sottises, c’est que dans une délibération publique, la meilleure chose qu’il y ait à dire pour ou contre l’affaire ou la personne dont il s’agit, ne peut presque jamais se dire tout haut, sans de grands dangers ou d’extrêmes inconvénients.  (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°528, p. 170).

. M… disait, à propos des sottises ministérielles et ridicules : « Sans le gouvernement, on ne rirait plus en France. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°756, p. 221).

. Je demandais à M. R…, homme plein d’esprit et de talents, pourquoi il ne s’était nullement montré dans la révolution de 1789 ; il me répondit : « C’est que, depuis trente ans, j’ai trouvé les hommes si méchants, en particulier et pris un à un, que je n’ai osé espérer rien de bon d’eux, en public et pris collectivement. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°996, p. 271).

. « La nation sait-elle ce qu’elle veut ? On lui fera vouloir et on lui fera dire ce qu’elle n’a jamais pensé ; et si elle en doute, on lui répondra comme Crispin au légataire : C’est votre léthargie [14]. La nation est un grand troupeau qui ne songe qu’à paître, et qu’avec de bons chiens les bergers mènent à leur gré. » (Chamfort, propos oral tenu à Jean-François Marmontel début mai 1789, rapporté par celui-ci dans ses Mémoires, livre XIV ; Mercure de France, 1999, p. 408).

. « Que feriez-vous de tout ce peuple en le muselant de vos principes de l’honnête et du juste ? Les gens de bien sont faibles, personnels et timides ; il n’y a que les vauriens qui soient déterminés. L’avantage du peuple dans les révolutions est de n’avoir point de morale. Comment tenir contre des hommes à qui tous les moyens sont bons ? » (Chamfort, propos oral tenu à Jean-François Marmontel début mai 1789, rapporté par celui-ci dans ses Mémoires, livre XIV ; Mercure de France, 1999, p. 409).

. « Dans le peuple même on aura des chefs intrépides, surtout dès le moment qu’ils se seront montrés rebelles et qu’ils se croiront criminels ; car il n’y a plus à reculer, lorsqu’on n’a derrière soi pour retraite que l’échafaud. La peur sans espérance de salut est le vrai courage du peuple. » (Chamfort, propos oral tenu à Jean-François Marmontel début mai 1789, rapporté par celui-ci dans ses Mémoires, livre XIV ; Mercure de France, 1999, p. 410). 

 

RELIGION

. Quelqu’un disait que la providence était le nom de baptême du hasard ; quelque dévot dira que le hasard est un sobriquet de la providence. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°62, p. 63).

. L’espérance n’est qu’un charlatan qui nous trompe sans cesse ; et, pour moi, le bonheur n’a commencé que lorsque je l’ai eu perdue. Je mettrais volontiers sur la porte du paradis le vers que le Dante a mis sur celle de l’Enfer : Lasciate ogni speranza, voi ch’entrate [15]. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°93, p. 71-72). chamfort, produits de la civilisation perfectionnée, maximes et pensées caractères et anecdotes

. M…, ayant lu la lettre de saint Jérôme, où il peint avec la plus grande énergie la violence de ses passions, disait : «  La force de ses tentations me fait plus d’envie que sa pénitence ne me fait peur. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°627, p. 194).

. À propos des choses de ce bas monde, qui vont de mal en pis, M… disait :  J’ai lu quelque part qu’en politique il n’y avait rien de si malheureux pour les peuples que les règnes trop longs. J’entends dire que Dieu est éternel : tout est dit. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°769, p. 223).

. M. de …, qui voyait la source de la dégradation de l’espèce humaine dans l’établissement de la secte nazaréenne et dans la féodalité, disait que, pour valoir quelque chose, il fallait se défranciser et se débaptiser, et redevenir Grec ou Romain par l’âme. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°807, p. 231).

. Je ne sais quel homme disait : « Je voudrais voir le dernier des rois étranglé avec le boyau du dernier des prêtres. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°899, p. 252). [16]

. D…, misanthrope plaisant, me disait, à propos de la méchanceté des hommes : « Il n’y a que l’inutilité du premier déluge qui empêche Dieu d’en envoyer un second. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1013, p. 274).

. Un homme étant à l’extrémité, un confesseur alla le voir, et il lui dit : « Je viens vous exhorter à mourir. — Et moi, répondit l’autre, je vous exhorte à me laisser mourir. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1133, p. 301).

. On parlait à l’abbé Terrasson d’une certaine édition de la Bible, et on la vantait beaucoup. « Oui, dit-il, le scandale du texte y est conservé dans toute sa pureté. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1134, p. 301).

. J’ai entendu un dévot, parlant contre des gens qui discutaient des articles de foi, dire naïvement : « Messieurs, un vrai chrétien n’examine point ce qu’on lui ordonne de croire. Tenez, il en est de celà comme d’une pilule amère, si vous la mâchez, jamais vous ne pourrez l’avaler. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1148, p. 303).

. Bachelier avait fait un mauvais portrait de Jésus ; un de ses amis lui dit : « Ce portrait ne vaut rien, je lui trouve une figure basse et niaise. — Qu’est-ce que vous dites ? répondit naïvement Bachelier ; d’Alembert et Diderot, qui sortent d’ici, l’ont trouvé très ressemblant. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1153, p. 304).

. « Les athées sont meilleure compagnie pour moi, disait M. D…, que ceux qui croient en Dieu. À la vue d’un athée, toutes les demi-preuves de l’existence de Dieu me viennent à l’esprit ; et à la vue d’un croyant, toutes les demi-preuves contre son existence se présentent à moi en foule. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1162, p. 306).

. Louis XIV, après la bataille de Ramillies [en 1706] dont il venait d’apprendre le détail, dit : « Dieu a donc oublié tout ce que j’ai fait pour lui. » (Anecdote contée à M. de Voltaire par un vieux duc de Brancas.) (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1216, p. 315). [17]

. Le roi de Prusse [= Frédéric II] avait fait élever des casernes qui bouchent le jour à une église catholique. On lui fit des représentations sur celà. Il renvoya la requête, avec ces paroles au bas : « Beati qui non viderunt et crediderunt » [18]. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1257, p. 324).

. On demandait à un enfant : « Dieu le Père est-il Dieu ? — Oui. — Dieu le Fils est-il Dieu ? — Pas encore, que je sache ; mais à la mort de son père, celà ne saurait lui manquer. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°1331, p. 342).

. La duchesse de La Ferté disait un jour à Mme de S. : « Je dois vous dire, ma chère amie, que je ne vois personne ayant toujours raison, excepté moi. » Écoutons les Talapoins, les Bonzes, les Bramines, les Guèbres, les Imans et les Marabouts. Quand ils prêchent l’un contre l’autre devant une foule, ne disent-ils pas comme la duchesse de La Ferté : « Moi seul ai toujours raison ? » (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°15 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 322).

. « Le trône et l’autel […] tomberont ensemble : ce sont deux arcs-boutants appuyés l’un par l’autre ; et que l’un des deux soit brisé, l’autre va fléchir. » (Chamfort, propos oral tenu à Jean-François Marmontel début mai 1789, rapporté par celui-ci dans ses Mémoires, livre XIV ; Mercure de France, 1999, p. 408).

 

LITTÉRATURE

. La plupart des faiseurs de recueils de vers ou de bons mots ressemblent à ceux qui mangent des cerises ou des huîtres, choisissant d'abord les meilleures et finissant par tout manger. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°2, p. 51).

. La plupart des livres d'à présent ont l'air d'avoir été faits en un jour avec des livres lus de la veille. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°425, p. 147).

. Peu de philosophie mène à mépriser l'érudition ; beaucoup de philosophie mène à l'estimer. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°434, p. 149).

. Le travail du poète, et souvent de l’homme de lettres, lui est bien peu fructueux à lui-même ; et, de la part du public, il se trouve placé entre le grand merci et le va te promener. Sa fortune se réduit à jouir de lui-même et du temps. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°435, p. 149).

. Ce qui fait le succès de quantité d'ouvrages est le rapport qui se trouve entre la médiocrité des idées de l'auteur et la médiocrité des idées du public. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°437, p. 149).

. On n'est point un homme d'esprit pour avoir beaucoup d'idées comme on n'est pas un bon général pour avoir beaucoup de soldats. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°445, p. 150).

. C'est après l'âge des passions que les grands hommes ont produit leurs chefs-d’œuvre, comme c'est après les éruptions des volcans que la terre est plus fertile. (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°455, p. 152).

. On réfutait je ne sais quelle opinion de M… sur un ouvrage, en lui parlant du public qui en jugeait autrement : « Le public, le public ! dit-il, combien faut-il de sots pour faire un public ? » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°624, p. 194).

. « La postérité, disait M. de B…, n’est pas autre chose qu’un public qui succède à un autre : or, vous voyez ce que c’est que le public d’à présent. » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°891, p. 251).

. Un homme parlait du respect que mérite le public. « Oui, dit M…, le respect qu’il obtient de la prudence. Tout-le-monde méprise les harangères. Cependant qui oserait risquer de les offenser en traversant la halle ? » (Chamfort, Produits de la civilisation perfectionnée, éd. G.-F. n°188, 1968, maxime n°995, p. 271).

. L’estime pour un auteur est proportionnelle à l’analogie entre ses idées et celles de son lecteur. (Chamfort, Maximes inédites, Papiers Mirabeau, n°8 ; dans Claude Arnaud, Chamfort (1988), Pluriel n°8525, 1989, annexe 3, p. 321).

 

 

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_______________________________

[1] Le recueil était déjà « immense » en 1784 selon Mirabeau, et c’en est « la plus grande partie » qui a disparu selon Ginguené. On hésite entre le vol privé (seule une poignée d’amis connaissait l’existence et la valeur de ces manuscrits) et le détournement politique opéré par un jacobin pour anéantir les secrets d’un ennemi de la Terreur. Le fait est que, dans ce qui reste, il n’y a quasiment rien sur la Révolution, alors que Chamfort, aux premières loges, avait probablement consigné une masse d’observations dessus. En 1813, Ginguené publie une notice sur Chamfort où il suggère qu’il sait qui est en possession des manuscrits. Deux siècles plus tard, ils n’ont toujours pas réapparu. Il est à craindre que les héritiers successifs de celui qui les possédait alors, ne percevant pas l’intérêt du trésor, l’aient perdu ou détruit… Sur cette question, voir l’excellente biographie de Claude Arnaud, Chamfort, Robert Laffont, 1988 (réédition Hachette Pluriel n°8525, 1989), annexe I (p. 315-317) et aussi p. 326.

[2] Les aphorismes plagiés par Mirabeau, et publiés en anglais en 1832 (voir note n°5), permettent de repérer deux variantes prouvant que les appellations utilisées par Chamfort n’étaient pas fixées : dans le n°618, « M. » devient « R. », et dans le n°631, « un homme » devient « L. » et « un de ses amis » devient « le comte de S. » (voir Claude Arnaud, Chamfort, p. 349).

[3]  Cette maxime est souvent citée sous cette forme altérée, qui a été répandue par de Gaulle : « Les raisonnables ont duré, les passionnés ont vécu ! » (incipit du discours prononcé à l’Albert Hall de Londres le 18 juin 1942 ; Discours et messages, I. Pendant la guerre, 1940-1946, Plon, 1970, p. 197).

[4] Idée empruntée à La Rochefoucauld : « Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, et nous y manquons souvent d’expérience, malgré le nombre des années. » (Maximes, n°405 ; Pléiade, 1964, p. 456 ; Pochothèque, 2001, p. 205).

[5] Cet aphorisme fait partie d’un lot de 25 anecdotes et 82 maximes, provenant de lettres ou brouillons de lettres écrites en 1785 d’Angleterre par Mirabeau, et publiées là-bas quarante-sept ans plus tard : Mirabeau’s Letters during his Residence in England, Effingham Wilson, London, 1832, deux volumes. L’éditeur anglais ne s’est pas avisé que ces 107 aphorismes sont intégralement plagiés. Claude Arnaud en a repéré 20 pillés chez Rivarol et 55 chez Chamfort. Il en reste 32, qu’il considère comme des aphorismes inédits de Chamfort et publie en annexe à sa biographie, p. 320-324. Mais c’est plutôt 31, car il faut soustraire le dernier : « L’homme passe sa vie à raisonner sur le passé, à se plaindre du présent et à trembler pour le futur [mauvaise traduction pour avenir] », dont il n’a pas repéré qu’il est aussi de Rivarol.

[6] Flaubert a mis cette maxime en épigraphe à son Dictionnaire des idées reçues.

[7] Le texte publié par Claude Arnaud porte : « nous compromettent moins ». Il a bien traduit : « Our tastes and our passions degrade us less than our opinions and our errors. » (Mirabeau’s Letters during his Residence in England, Effingham Wilson, London, 1832, volume II, p. 304, apophtegme n°38).  Il s’agit d’une erreur manifeste, qui rend l’aphorisme absurde, en mettant le principe général à l’opposé de l’exemple d’application. Mirabeau était un plagiaire un peu distrait, mais il est étonnant que Claude Arnaud n’ait pas repéré l’étourderie.

[8] Cette maxime est souvent répandue dans une forme abrégée, qui supprime « tel qu’il existe dans la société ». Or cette incise est capitale car elle montre le rousseauisme de Chamfort et justifie son engagement révolutionnaire. Parmi les premiers qui en ont amendé le texte de Chamfort pour en faire une maxime absolue, Musset en 1832, qui la met en épigraphe au chant II de Namouna (Pléiade Poésies complètes, 1957, p. 256).

[9]  Plagié par Jean d'Ormesson : « On peut tout dire de l'amour. Tout ce qu'on en dit est vrai, et le contraire aussi : celà est frappant dans la littérature. » (Du côté de chez Jean (1959), XI ; Folio n°1065, 1978, p. 161).

[10]  Chamfort fait allusion au mythe des Dioscures : après la mort de Castor, comme Pollux, fils de Zeus, devait devenir immortel, il obtint de son père une demi-immortalité partagée à deux, leur permettant d’être un jour vivants et un jour morts. À vrai dire, il n’est pas très clair dans Homère (Odyssée, XI, 301-304 ; Club français du livre, 1963, p. 215) s’ils passaient ensemble ou alternativement dans chaque état. En revanche, chez Pindare (Néméennes, X, 55-56 ; Œuvres complètes, La Différence, 1990, p. 334-335) l’alternance est clairement indiquée. Ce qui est dailleurs curieux, car on nous suggère qu’il s’agit d’une récompense divine, or, comme le suggère ironiquement Chamfort, cette séparation existentielle des jumeaux est tragique, les condamnant à ne plus jamais se rencontrer. Ce que souligne Lucien de Samosate, en faisant dire à Apollon (Dialogue des dieux, XXVI, 2 ; Œuvres complètes, Garnier, 1933, tome I p. 153) : « Partage absurde, Hermès ! car ainsi ils ne pourront jamais se voir, et pourtant c'était là, je crois, ce qu'ils désiraient avant tout. Comment le pourraient-ils, alors que l’un est chez les dieux, l’autre parmi les morts ? »

[11] L’archevêque Roger (Ruggeri) de Pise : voir Dante, La Divine comédie, I. L’Enfer, chant XXXIII, vers 46-47 (Flammarion, 1985, p. 298-299).

[12] Déjà La Rochefoucauld : « Quand on ne trouve pas son repos en soi-même, il est inutile de le chercher ailleurs. » (Maximes supprimées : n°571 en Pléiade, 1964, p. 488 ; ou n°61 en Pochothèque, 2001, p. 256). Jean Dutourd a cité au moins cinq fois cette maxime de Chamfort, sous une forme plus ramassée et plus percutante : « On trouve rarement le bonheur en soi, jamais ailleurs. » On la trouve en effet dans Le Complexe de César (1946, partie II, chapitre VI ; Gallimard, 1976, p. 133) ; dans Doucin (Gallimard, 1955, p. 128) ; dans Le Fond et la forme, tome I (« Bonheur », Gallimard, 1958, p. 20) ; dans L’École des jocrisses (1970, partie II, chapitre XV ; Livre de poche n°3712, 1973, p. 68) et dans Le Bonheur et autres idées (« Bonheur », Flammarion, 1980, p. 11). En près de quarante ans, Dutourd ne s’est jamais aperçu qu’il avait réécrit inconsciemment la sentence. Et pourtant il a lu et sans doute relu Chamfort attentivement, car il mentionne souvent des anecdotes du XVIIIe qui sont rapportées par lui. Il est amusant de constater que dans Doucin et dans Le Fond et la forme (la seconde occurrence étant un auto-plagiat de la première), il se déclare « enchanté » par l’opposition des deux adverbes rarement et jamais ; or cette opposition est de lui, puisque Chamfort a opposé difficile et impossible

[13] À rapprocher de la maxime n°961, p. 265 : « On disait de M. Calonne, chassé après la déclaration du déficit : "On l’a laissé tranquille quand il a mis le feu, et on l’a puni quand il a sonné le tocsin" ».

[14] Jean-François Regnard, Le Légataire universel (1708), acte V, scène 6, vers 1702, 1711, 1743, 1750, 1812 (Pléiade Théâtre du XVIIe siècle, tome III, 1992, p. 978-985). Le vieillard Géronte est cru mort. Son valet Crispin se fait passer pour lui et, avec l’aide de la soubrette Lisette, dicte un testament qui fait de généreuses donations aux autres personnages de la pièce. Mais Géronte sort de son coma. À la fin de la pièce, il découvre stupéfait ces legs dont il n’a aucun souvenir. Crispin et Lisette lui répètent que c’est sa léthargie qui lui a altéré la mémoire : cette scie bergsonienne n’est pas sans rappeler  le « poumon » par lequel Toinette explique tous les maux d’Argan (Molière, Le Malade imaginaire, III, 10).

[15] « Vous qui entrez ici, laissez toute espérance » : Dante, La Divine comédie, I. L’Enfer, chant III, vers 9 (Flammarion, 1985, p. 42-43).

[16] Cet homme est le curé athée et communiste Jean Meslier (1664-1729), sous une forme un peu différente. Il attribue cette parole « rude, grossière et choquante, mais […] franche et naïve » ainsi qu’ « expressive » à un homme du peuple, sous cette forme : « [Je] souhait[e] que tous les grands de la terre et que tous les nobles [soient] pendus et étranglés avec des boyaux de prêtres » (Mémoire, avant-propos : Œuvres complètes, Anthropos, 1974, tome I p. 23-24). Le Mémoire de Jean Meslier a été diffusé en manuscrit à partir des années 1730. Voltaire en publia un abrégé à sa façon en 1762 (sans que la formule y figure). En 1772, Diderot insère ces deux vers dans son poème Les Éleuthéromanes : « Et ses mains ourdiraient les entrailles du prêtre / Au défaut d’un cordon pour étrangler les rois. » Le 11 juillet 1791, le journal La Bouche de fer lui attribue comme « parole familière » la formule : « Quand le dernier roi sera pendu avec les boyaux du dernier prêtre (célibataire), le genre humain pourra espérer d’être heureux. » À la suite, plusieurs ouvrages, en particulier anti-révolutionnaires, affirmeront que Diderot répétait celà couramment autour de lui sous cette forme (La Harpe dans son Cours de littérature, l’abbé Barruel dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Mme de Genlis dans ses Mémoires, etc). — Cette sentence n’étant pas de Chamfort (même pas comme témoin), elle n’a pas sa place ici. Je l’y maintiens à titre exceptionnel, parce qu’elle me fait rire et pour faire connaître, par cette note, sa véritable origine.

[17] « J’ai ouï dire au duc de Brancas que Louis XIV, après la bataille de Ramillies, avait dit : "Est-ce que  Dieu aurait oublié ce que j’ai fait pour lui ?" », dans Pensées, remarques et observations de Voltaire, Barba / Pougens / Fuchs, 1802, p. 65.  Cet ouvrage posthume, un cahier de notes (analogue au Sottisier dont le manuscrit est à Saint-Pétersbourg) publié par Alexandre Piccini fils d’après un manuscrit transmis par Philippe-Charles de Villevieille (1738-1825) était tenu pour partiellement apocryphe au XIXe siècle. Les éditeurs de Voltaire : A.-A. Renouard, suivi par A. Beuchot et par G. Avenel, n’en publiaient qu’une sélection, filtrant subjectivement ce qui leur paraissait vraiment voltairien. En tout cas, ce mot de Louis XIV figure bien dans leur choix : par exemple Œuvres complètes, éd. Le Siècle, 1868, tome IV, p. 753. Il semble qu’aujourd’hui, ce cahier de notes soit tenu pour authentique. — Cette anecdote n’étant pas de Chamfort (même pas comme témoin), elle n’a pas sa place ici. Je l’y maintiens à titre exceptionnel pour la faire connaître, parce qu’elle me paraît magnifiquement représentative d’une certaine mentalité religieuse que j’ai en horreur particulière.

[18] « Bienheureux ceux qui n’ont pas  vu et qui ont cru » : Évangile selon Jean, 20, 29.