17.10.2012
JUSQU’À QUAND L’ÉGLISE RESTERA-T-ELLE PASSIVE FACE À LA POUSSÉE DE L’ISLAM ?
Benoît XVI a convoqué un synode (une réunion d’évêques pour délibérer sur les affaires de l’Église) consacré à la « nouvelle évangélisation ». Il serait temps en effet que l’Église s’avise qu’elle est « sur le reculoir » (comme on dit en rugby) depuis deux bons siècles, et que son effondrement rapide en Europe, depuis l’après-guerre, prend des proportions qui, à elle seules, suffiraient à diagnostiquer une mutation de la civilisation.
Or ce lundi 15 octobre, un membre important de la curie, le cardinal ghanéen Peter Turkson, président du Conseil pontifical Justice et Paix, a pris l’initiative de diffuser à ses collègues une petite vidéo américaine de sept minutes, qui met en avant des données démographiques terrifiantes sur l’islamisation du continent européen. En France, les musulmans seraient 20% en 2027, et majoritaires vers 2050, tout comme dans les Pays-Bas, la Belgique et l’Allemagne. Un pronostic alarmiste, qu’on espère exagéré, destiné à secouer de leur torpeur émolliente les éminences qui s’imaginent benoîtement que la lumière du Saint-Esprit finira inéluctablement par illuminer les masses musulmanes et les convertir en douceur à la vraie foi.
Ce qui est intéressant, c’est la réaction des évêques. D’après le chroniqueur religieux du Figaro, de nombreux participants ont manifesté un vigoureux désaccord : « Plusieurs prélats, choqués par le simplisme de ce film, ont aussitôt pris leur distance. Le commentaire le plus cinglant est venu d'un haut responsable chargé précisément du dialogue avec l'islam. Il n'a pas caché sa "perplexité" sur le fond de la vidéo. Quant à l'idée de présenter ce document dans une instance officielle et publique de l'Église catholique, ce même prélat l'a qualifiée de "maladresse" estimant que son confrère cardinal "n'a probablement pas mesuré la portée" de son initiative. Beaucoup d'évêques présents ont d'ailleurs pointé "le piège" de ce genre de méthodes, proches de celles de "l'islam fondamentaliste", assurant qu'il n'était pas dans l'intention du synode, visant pourtant à lutter contre la régression du catholicisme, à entrer dans une "guerre de religion" ».
Cela ne doit pas nous étonner. Cela fait un demi-siècle que l’Église, travaillée en profondeur par la mentalité droidlomiste, n’a de cesse de regarder comme des frères dans la foi ces impies qu’elle a détestés et combattus pendant des siècles. Le Conseil pontifical pour le dialogue inter-religieux a été créé par Paul VI en 1964 (sous le nom de Secrétariat pour les non-chrétiens), avant d’être rebaptisé sous son nom actuel en 1988. Son président actuel (depuis 2007) est le cardinal français Jean-Louis Tauran : c’est peut-être bien lui l’auteur du commentaire « cinglant » qui fustige la « maladresse » irréfléchie de Mgr Turkson. Pas plus tard que la semaine dernière, l’Église s’opposait sans ambages à toute critique de l’islam telle que le film à scandale L’Innocence des musulmans : « Le respect profond pour les croyances, les textes, les grands personnages et les symboles des diverses religions est une condition essentielle à la coexistence pacifique des peuples », a déclaré le père Federico Lombardi, porte-parole du Vatican, déplorant « les conséquences gravissimes des offenses injustifiée et des provocations à la sensibilité des croyants musulmans.[…] Le message de dialogue et de respect pour tous les croyants que le Saint-Père portera lors de son prochain voyage au Liban indique la voie que tous doivent prendre pour construire ensemble la coexistence des religions et des peuples dans la paix ». Chaque fois qu’un ecclésiastique européen s’exprime sur l’islam, c’est pour faire connaître sa solidarité de croyant, sa compréhension, sa sympathie, son respect, son estime, et autres stupides aveux de faiblesse. On pourrait en donner des exemples par milliers : il suffit de suivre l’actualité religieuse pour en être assailli chaque semaine. Ah, l’Église ne parlait pas ainsi quand elle était en position de force !
Situation tragique et comique à la fois. D’un côté un parti offensif, qui se sent porté par un esprit de revanche et une dynamique conquérante, et qui pousse inlassablement ses pions en espérant bien parvenir à une situation d’hégémonie définitive. De l’autre un parti pacifique, qui persiste à voir dans son ennemi un ami, qui n’a que des paroles apaisantes à la bouche, qui interprète toute manifestation agressive comme un débordement marginal et anecdotique, et qui est si profondément pénétré d’irénisme qu’il ne parvient pas à imaginer qu’il n’en va pas de même pour son prétendu… partenaire. L’Église eut si longtemps une situation archi-dominante qu’elle peine aujourd’hui à se rendre compte qu’elle va bientôt devenir minoritaire. Elle ne veut pas voir que, lorsque la bascule des forces aura été réalisée, le maintien durable dans un relatif équilibre est bien moins probable que la perte successive et fulgurante de ses principaux bastions. Qu’elle songe à ce que fut son propre conflit contre le paganisme romain, à l'orée de son ère ! Elle a mis trois siècles à le grignoter souterrainement, mais quand l’empereur Constantin l’a installée au sommet du pouvoir, elle lui a porté le coup de grâce avec une facilité stupéfiante. C’est en à peine plus de trois générations que les persécutés sont devenus persécuteurs et que le paganisme s’est effondré ! L’empereur Galère, successeur de Dioclétien et longtemps christianophobe convaincu, se résigne sur son lit de mort et autorise officiellement le christianisme par l’édit de Sardique en avril 311 : les chrétiens ne représentent alors que 5% de la population totale de l’Empire selon les historiens récents, 10% à Rome, 15 % en Afrique, 20% en Égypte, peut-être 30% en Asie mineure. Or dès 380, Théodose fait du christianisme la religion officielle et seule autorisée de l’Empire (édit de Thessalonique), et en 392, pour faire bonne mesure, il proscrit explicitement le paganisme (peine de mort pour une immolation rituelle, confiscation du logis ou de la terre pour les autres actes d’idolâtrie). À ce moment-là, c’est le paganisme qui est devenu résiduel [1]. La substitution complète d’une religion à une autre s’est faite en moins d’un siècle. Une analogie qui donne à réfléchir…
L’Église va-t-elle, fidèle à l’esprit de l’évangile, tendre l’autre joue chaque fois qu’on la frappera au visage ? S’offrira-t-elle en sacrifice comme son dieu Jésus, qui se laissa passivement arrêter et ordonna à son disciple Pierre, qui avait dégainé son épée et mutilé un serviteur du grand prêtre, de cesser toute résistance ? : « Remets ton glaive à sa place ! Car tous ceux qui prennent le glaive périront par le glaive » (Mt 26,51-52 // Mc 14,47 // Lc 22, 49-51 // Jn 18,10-11). Puisque l’Église est le corps mystique du Christ, elle pourrait à son tour se laisser mener au supplice pour accomplir les desseins eschatologiques du Père… Ou bien va-t-elle réagir, refuser de se laisser écarter et supplanter, se régénérer par le souvenir d’Urbain II et Pie V, tenter une contre-attaque ?
Le même article du Figaro nous apprend que tous les évêques ne se perçoivent pas comme islamo-compatibles, pour parler le jargon citoyen : « La tendance globale des affirmations dénoncées par cette vidéo, à l'évidence caricaturales, et l'inquiétude qu'elles génèrent sont toutefois partagées par une bonne partie de l'assemblée synodale. En début de synode, plusieurs évêques, d'Afrique et du Moyen-Orient, se sont publiquement plaints de la difficulté croissante de pouvoir seulement se dire "chrétien" face à l'intolérance de l'islamisme politique. Beaucoup d'évêques, en Europe, en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, expérimentent que la "nouvelle évangélisation" appuyée par Benoît XVI affronte chaque jour un islam conquérant. Cette vidéo simpliste n'apparaît donc pas pour eux complètement hors sujet. […] Ce document brutal suscite donc de l'émoi mais il pourrait aussi exprimer ce que beaucoup pensent tout bas dans certaines instances de l'Église catholique.»
Mazette ! Assisterions-nous, enfin, à l'amorce d'un début de prise de conscience ? Le cardinal Tuckson serait-il le précurseur d’une nouvelle Église décidée au mieux à partir à la reconquête des âmes et des terres prises par l’islam, au pire à mourir debout, la croix dans une main et la francisque dans l’autre ?
Il serait tout-à-fait piquant que, dans vingt ans, toutes ces toxiques fumées vaticanes sur le « dialogue inter-religieux », toute cette obsession grotesque de l’œcuménisme, toute cette manie puérile de l’irénisme, soient sèchement écartées et remplacées par une vigoureuse contre-offensive, dont les mots d’ordre seraient « réévangélisation », « propagation de la vraie foi », « lutte contre l'erreur », « endiguement de l’hérésie », « combat contre l’impiété », « croisade au nom du Christ-Roi », « salut des âmes égarées », « conversion universelle pour hâter la Parousie » [2], etc.
À vrai dire, je ne crois guère que nous voyions cela arriver. L’Église est une lourde machine engoncée dans sa routine, et c’est aussi une maison de vieillards, qui ne supportent plus les courants d’air. Ou alors, si une telle métamorphose devait survenir, ce serait un assez dérisoire combat d’arrière-garde, qui n’aurait pas plus d’effet à long terme que le règne de Julien l’Apostat n'en a eu sur la survie du paganisme. Mais on peut toujours rêver…
Ajout du 21/10/12. Je découvre un intéressant petit fait, à mettre en bonne place dans la chronique de la guerre des religions : à Genève, un musulman s’est permis d’interrompre l’office religieux, dans une église catholique, et de lancer un discours prônant la fausseté du christianisme et la vérité de l’islam, face aux fidèles tétanisés. Certes, ce n’est rien du tout, ce n’est qu’un débordement marginal et anecdotique, un évènement singulier et microscopique, un fait divers sans portée ni signification… Mais comme le dit l’auteur de l’article, M. Jean-Patrick Grumberg (qui se porte garant de la véracité des faits), imaginons un peu quel tollé national et international eût suscité la provocation inverse… Tiens, il serait plaisant que quelques chrétiens couillus tentent l’expérience, juste pour voir !
Ajout du 30/10/12. Un article du journal libanais L’Orient le Jour relaye à son tour l’angoisse des évêques catholiques devant le fondamentalisme musulman. Ce qu’il faut retenir, c’est que les signaux d’alarme viennent de la périphérie de l’Église. Les lecteurs de ce blogue connaissent sans doute le point-de-vue du père Henri Boulad, chrétien d’Égypte qui, vivant aux côtés de la Bête, sait à quoi s’en tenir sur elle et le fait savoir dans des vidéos trouvables sur YouTube. Le centre européen, vivant dans sa bulle idéologique, continue de croire que tout cela n’est qu’un épiphénomène et que l’islam et le christianisme pourront vivre en bonne entente et en pleine harmonie pendant des siècles de siècles, comme si l’oumma et la chrétienté pouvaient s’interpénétrer. Quand il mesurera enfin la gravité du péril, il sera trop tard.
21:43 Écrit par Le déclinologue dans Documents, Droidlomisme, Europe, Histoire, Religions | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : eglise, christianisme, jésus-christ, saint pierre, parousie, innocence des musulmans, islam, droidlomisme, benoît xvi, peter tuckson, jean-louis tauran, pierre chuvin, paganisme, édit de sardique, édit de milan, réévangélisation, guerre de religions, choc des civilisations, dialogue inter-religieux, synode, nouvelle évangélisation, constantin, théodose, federico lombardi, irénisme, oecuménisme, tolérance, dhimmitude, urbain ii, pie v, tolérantisme, liban, julien l'apostat, édit de thessalonique, jean-patrick grumberg, henri boulad, genève | | | Facebook | | Imprimer | | Digg |