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07.05.2017

EMMANUEL MACRON, LA VICTOIRE DU TALENT

emmanuel macron,président de la république           Je vais heurter les militants manichéens, mais je m’en moque : je ne suis pas un militant, et je déteste l’esprit militant.
         Je suis très impressionné par Emmanuel Macron. Je réprouve la totalité de sa politique, mais ça ne m’empêche pas de penser que, sur un plan personnel, c’est un type exceptionnel. Exactement comme Giscard, autre type exceptionnel – qui n'aura fait à peu près que des erreurs. Macron est un sous-Giscard (l'écart entre l'un et l'autre est un symptôme de notre déclin depuis un demi-siècle), mais il reste plus brillant que la plupart de nos politiques actuels, en particulier François Fillon qui s'est révélé une nullité. Tous ceux qui, depuis plus d’un an, le tiennent pour une baudruche, pour une pure création des médias, pour un golème créé en laboratoire par Attali, Minc et Bergé, tous ceux qui affectent de croire qu’il n’aurait fait que 3% s’il n’avait pas eu beaucoup de chance et toute l’oligarchie financière derrière lui, tous ceux-là sont complètement aveuglés par leurs préjugés idéologiques et ne comprennent rien à rien. Vous verrez dailleurs que dans cinq ans ils continueront à dire la même chose. Ils se sont piégés tout seuls en se laissant obnubiler par des vidéos parodiques ou des gifs animés : à force de vouloir faire croire que Macron n’était qu’un pantin ridicule, ils ont fini par le croire eux-mêmes. Ils ont répété obsessionnellement que Macron n’était qu’une ruse de Hollande pour se maintenir au pouvoir, et ils n’ont pas vu qu’il réussissait à incarner un dépassement du clivage droite/gauche. Très lourdes erreurs. Il est dailleurs amusant que ceux qui prétendent défendre le peuple ne voient en lui qu'un ramassis de gogos que les médias manipulent à volonté en leur faisant croire n'importe quoi. Si l'on se veut vraiment démocrate, il faut prendre au sérieux toute adhésion populaire, au lieu de la rejeter par principe comme cocufiée ou traîtresse. Si En Marche et son meneur se sont trouvés en phase avec une partie de l'opinion, ce n'est peut-être pas seulement par escroquerie de ceux-là et illusion de celle-ci. Macron, c’est le Trump français : de l’un et l’autre on a cru que leur campagne ferait pchit assez rapidement, de l’un et l’autre on n’a pas cessé d’attendre l’effondrement, et pourtant ils sont allés jusqu’au bout. Bien sûr, la ligne politique et le style personnel rapprochent plus Marine Le Pen que Macron de Trump. Et pourtant Trump a été élu parce qu’il offrait un renouvellement de la classe politique, ce que Macron a aussi réussi à faire penser de lui. Ceux qui connaissent trop le monde politique ne comprennent plus l’électeur moyen : parce qu’ils savent, eux, que Macron est un homme du Système, ils n’ont pas réussi à percevoir la fraîcheur qu’il dégage ni le changement qu’il promet. Je déteste cet acharnement dans l’hostilité qui offusque la compréhension. Macron a été constamment sous-estimé, ce qui est une erreur fatale en politique. Louis-Napoléon Bonaparte et Adolf Hitler aussi doivent une bonne part de leur accession au pouvoir à cette incapacité de leurs adversaires à les estimer à leur juste valeur. Croire qu'il suffit, pour être élu président, d'avoir de la chance et de voir l'un de ses adversaires dézingué par des « affaires », c'est croire qu'il suffit d'avoir un bon thème astral pour devenir Napoléon.  
            Ainsi, le camp de la droite nationale (de même que les autres, mais ceux-là, je m'en fiche) a commis deux énormes erreurs stratégiques sur Macron : 1) croire que c'est un nul, une baudruche, un simple esbroufeur qui ne tiendra pas la distance et n'a aucun véritable projet ; 2) croire que son succès, purement artificiel, n'est que le résultat d'une énorme propagande orchestrée par les médias. — Alors que c'est un type de valeur qui incarne naturellement une part importante de l'opinion. Les militants patriotes paieront cher cette erreur, comme Marine Le Pen qui a cruellement mordu la poussière lors du débat de mercredi et du scrutin de dimanche : sous-estimer l'ennemi et ne même pas le comprendre, c'est être à moitié battu avant même que le combat commence.
          En outre, non seulement les militants sont bêtes mais ils ont l’esprit étroit, l’imagination pauvre, la sensibilité atrophiée. Ils ne sont pas assez littéraires : quand bien même on n’accorderait aucune valeur à l’individu Macron, comment ne pas être fasciné par le caractère extraordinairement romanesque de sa vie ? Devenir président à 39 ans et quatre mois et demi (en battant le record, qui semblait inaccessible, de Louis-Napoléon Bonaparte, élu à 40 ans et huit mois en décembre 1848), c’est bleufant. Et cette façon de tomber amoureux de sa prof de français qui a vingt-quatre ans de plus que lui, de parvenir à la séduire et l’épouser, de passer de la banque au cabinet de l’Élysée (secrétaire-général adjoint à 34 ans !), de devenir ministre de l'Économie à 36 ans, de claquer la porte du gouvernement deux ans après, de créer un mouvement politique, de se lancer aussitôt dans une campagne présidentielle, de se faire élire en éliminant la gauche, l’extrême-gauche, la droite et l’extrême-droite : quel parcours, quelle histoire ! Sarkozy – lui aussi un magnifique personnage de roman – disait qu’il faut raconter une histoire [1] aux Français, – et telle est peut-être la clef de la terrible impopularité de François Hollande : contrairement à tous les autres occupants du poste, il n’aura jamais su se présenter à eux comme un personnage de roman. Avec Macron, le niveau romanesque de la présidence française remonte assez haut. On a tous envie de s’identifier à lui, alors qu’on ne rêve pas d’être François Hollande, ni Marine Le Pen, ni François Fillon. Quelle mesquinerie d’âme faut-il pour ne pas percevoir le caractère prodigieux de ce destin, pour ne pas être éberlué par cette réussite sans précédent ! Laissons un instant tomber nos préjugés idéologiques et saluons l’artiste : quel surdoué, quel magicien ! On trouve ses discours amphigouriques ? Mais s'ils ont plu, c'est qu'ils devaient parler à ses auditeurs, et on devrait chercher à comprendre ce phénomène paradoxal avant de crier à l'imposture de l'un et la sottise congénitale des autres. On blâme le côté formaté, artificiel, coaché du manager ? Mais le professionnalisme a ses vertus : on a trop souffert de l’amateurisme du quinquennat de son prédécesseur, on l’a trop déploré dans la campagne de son adversaire du second tour, pour ne pas se réjouir à l’idée que la France va être dirigée par quelqu’un qui sait se montrer efficace pour atteindre un objectif qu’il s’est fixé. Macron sait où il va, il comprend vite et bien, il corrige ses erreurs, il a beaucoup de flair, beaucoup de maîtrise, et même beaucoup de cran. Certes ce n’est qu’un technocrate, sur qui sa formation littéraire n’a déposé qu’un léger vernis, mais dans cette engeance à laquelle nous sommes habitués, il est un des plus beaux spécimènes, l’un des plus audacieux et des plus malins. Et cette poissarde de Marine Le Pen qui croyait le faire craquer lors du débat de mercredi ! Il faut bien avouer que l’intelligence l’a emporté sur la bêtise.
emmanuel macron, président de la république,louvre,élection           La séance au Louvre, ce soir, était remarquable. Quel choix et original et pertinent ! Le Louvre n’est pas seulement le plus prestigieux musée du monde, c’est un haut lieu de mémoire française depuis Philippe Auguste, et une résidence royale depuis Charles V [2]. Sur mon écran de télévision, j’ai vu, parmi la foule massée dans la cour Napoléon, une myriade de drapeaux français, alors qu’il y a cinq ans à la Bastille, je voyais surtout des drapeaux étrangers. On était habitué, le soir du second tour, à des images banales de liesse populaire. Macron a inventé quelque chose pour cette phase de l’élection, qui n’a d’équivalent que la visite de Mitterrand au Panthéon, le jour de son investiture (le 21 mai 1981). Au lieu des médiocres bains de foule de Chirac, Sarkozy et Hollande, on a eu un personnage qui habitait immédiatement sa fonction. Beau « sacre républicain » que cette longue marche nocturne dans la partie déserte de la cour du Louvre, accompagnée par l’Hymne à la joie [3]. Mise en scène parfaite, qui faisait presque frissonner : grandeur, verticalité, perspective historique, appropriation des symboles nationaux. Ce qui n’a pas empêché certains, parce qu’il apparaissait en contre-plongée devant la pyramide de verre, de voir dans cette cérémonie la marque des illuminatis [4] !! La bêtise des complotistes est décidément sans limite, et cette extrême-droite rance qui ne sait rien faire d’autre qu’hurler à la mainmise judéo-maçonnique est décidément insupportable. Macron a mis ce soir, comme les jours précédents, la dose de patriotisme qu’il fallait dans son discours et sa scénographie. Certes son discours, comme les précédents, était creux, convenu, pas assez habité par l’âme de la France. Mais il faut savoir se contenter de peu, en ces temps de décomposition : il n’y a guère que de Gaulle, et dans une certaine mesure Mitterrand, qui aient su faire vibrer dans leur bouche cette voix du cher et vieux pays. Au moins Macron, par sa mise en scène, s’est-il inscrit dans l’histoire de France, et c’est déjà beaucoup, – alors que, pendant ce temps, la maritorne du F.N. se tortillait vulgairement sur des tubes anglosaxons dans son Q.G. transformé en boîte de nuit de province. Quelle tristesse de penser qu’une politique salutaire a été portée par une femme inculte et limitée, tandis qu’une politique ravageuse va être menée par un homme brillant et remarquable…
 
             Car je pense aussi qu’Emmanuel Macron, candidat de l’anti-France, de la soumission à l’Europe allemande et de la dissolution de notre pays dans la mondialisation anglo-saxonne, mérite d’ores et déjà un procès pour haute trahison débouchant sur le poteau et douze balles.

 


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[1]  Rapporté dans Des hommes d’État de Bruno Le Maire, à la date du 14 juin 2005 : « Ce qu'il faut bien voir, Dominique, c'est que la baisse du chômage, ça ne suffira pas aux Français. Ils vous sauront gré d'avoir voulu le faire baisser et, si vous y arrivez, ils vous sauront gré de l'avoir fait, mais ça ne suffira pas. Il faut leur raconter une histoire, aux Français. Qu'est-ce que vous allez leur raconter, comme histoire, en juillet, en août, en septembre, l'année prochaine ? » (Grasset, 2007, p. 93). Sur la thématique du récit politique devenu storytelling à l’américaine, voir cet article universitaire.

[2] Et non pas depuis Louis XI, comme je l’ai entendu dire sur TF1.

[3] Bien sûr, c’est l’hymne européen, mais ça reste discret comme symbole de soumission à Bruxelles : je craignais pire. Je n’ai pas aimé la montée de la famille sur le podium après le discours, ni la main sur le cœur pendant la Marseillaise (geste états-unien), mais ce sont des images qui parlent aux masses. Dans la phase précédente, je n’ai pas aimé non plus la présence du groupe africain Magic System pour chauffer le public, mais je me souviens qu’en 2007, Sarkozy avait fait venir place de la Concorde Jane Manson qui a chanté en anglais et Enrico Macias : on était donc habitué au mépris de la culture française par les présidents de la France.

[4] C’est d’autant plus stupide que son équipe de campagne voulait initialement organiser la fête du 7 mai sur l’esplanade du Champ-de-Mars. Mais la mairie de Paris a refusé, car les festivités auraient forcément détérioré les pelouses : or la commission d’évaluation du C.I.O. doit visiter l’endroit le ouiquenne prochain dans le cadre de la candidature de Paris aux Jeux olympiques de 2024.