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03.01.2013

UN PALTOQUET BONDIEUSARD : VIVIEN HOCH (avec des considérations sur Jésus-Christ et la fin du monde)

             Le spectacle de la bêtise a pour moi un pouvoir de réjouissance inépuisable. Je collectionne les imbéciles comme Rétif de la Bretonne les prostituées. Il y a quelque temps, j’en ai croisé un gratiné sur l’internet, un dénommé Vivien Hoch. Cet étudiant en philosophie, qui tient Husserl dans une main et Thomas d’Aquin dans l’autre, est aussi un militant catholique et libéral-conservateur, position qu’il croit tout à fait hostile au droidlomisme ambiant. Cette erreur est certes assez répandue, tout comme celle qui voit une compatibilité entre un certain conservatisme traditionnel et le message de Jésus-Christ, sans parler de celle consistant à croire que l’UMP est à droite et donc moins nocive que la gauche. Tout cela est assez banal et ne mérite guère d’attention particulière. Mais la connerie propre à Vivien Hoch tient à son sectarisme, à son arrogance de péteux, à sa fermeture totale au dialogue… et à ses innombrables fautes de français (un comble quand on se croit du côté de la France, de la culture et de l’ordre !). Quelques tentatives de discussion sur un fameux réseau social, naguère, m’avaient édifié sur cette ridicule baudruche, son ignorance, son dogmatisme, son français de collégien et sa grossièreté : à la moindre tentative de discussion polie, c’était aussitôt les injures les plus vulgaires (« bouche de merde », « casse-couilles », « putain ! », etc), la censure des commentaires et la suppression du contact. Depuis quelques mois, je consulte régulièrement le site Itinerarium dont il est le « rédacteur en chef » et le principal contributeur. C’est un remède infaillible contre la morosité, tant y abondent les sottises pontifiantes, alignées avec un sérieux imperturbable dans une langue de sagouin.
            À notre époque, la corrélation entre la faiblesse de l’intelligence et la faiblesse de l’orthographe est rarement démentie. Le sieur Hoch vérifie une fois de plus ce principe, qui est un très sûr critère pour jauger rapidement n’importe quel texte sur la Toile (et ailleurs). Chacun de ses articles propose un festival renouvelé d’attentats contre le bon français. Fautes d’accent (innombrables), fautes de conjugaison (pléthoriques), fautes d’accord (surabondantes), et en prime ces fautes petites ou grandes, typiques des demi-cultivés à qui le net offre la possibilité de publier leur prose avant même d’avoir acquis une complète maîtrise de la langue : « a contrario de qqch », « vitupérer contre »,  « ès » suivi d’un singulier, « quoiqu’il dise », usage de la particule devant un nom propre (« De Labriolle »), « bien que » + indicatif, « après que » + subjonctif, « pallier à qqch », « quand à », « soit-disant », « ceci, voir cela », « ect » (les six dernières sont presque systématiques). La collection est presque complète : il n’y a guère qu’ « un espèce de » que je n’ai pas repéré, mais c’est peut-être pour n’avoir pas assez cherché, à moins qu’il suffise d’attendre un prochain article. Même certains sites sportifs écrivent mieux ! Le plus drôle est que le petit Hoch, qui n’aurait peut-être pas eu son baccalauréat à l’époque où il fallait écrire correctement pour le décrocher, aspire à devenir professeur d’université. Qui sait s’il n’y parviendra pas ! Il serait alors un cas exemplaire de cet effondrement des valeurs qu’il croit combattre [1]
 
            Une des sottises hochesques les plus gratinées se trouve dans cet article sur les chrétiens de gauche, qui se termine par cette énormité : « Il se trouve que le Fils est monté à la droite du Père. Il est bien dit : à droite. C’est qu’il y a une raison. Dieu, faites qu’ils la découvre. » (Cette faute de conjugaison est typiquement hochienne). Oui, vous avez bien lu : pour cet illuminé, la superstition immémoriale qui oppose la droite bénéfique et la gauche maléfique (droiture et dextérité contre gaucherie et sinistre) est en relation directe avec le partage politique moderne (qui, rappelons-le, date du 27 août 1789, au moment où les députés de la Constituante s’opposèrent sur la question du véto royal, et ne se répandit dans la population que vers 1900), de telle sorte que si la Bible nous dit que le Christ est assis à la droite de Dieu (Col 3,1), alors cela implique qu’il faille voter à droite ! Les bras vous en tombent. C’est du même tonneau que l’argument des légistes du XIVe siècle, qui justifiaient la loi salique par ce logion du Christ : « observez les lys des champs, comme ils poussent : ils ne peinent ni ne filent » (Mt 6,28), comme si Yéchoua bar Yossef avait voulu avertir par là, avec dix siècles d’avance, que le Royaume de France ne devait pas « tomber en quenouille », c’est-à-dire admettre la transmission aux femmes ou par les femmes dans son droit dynastique. Deux mois plus tôt, la même idée apparaissait déjà dans un autre article fourmillant de fautes d’accord et de conjugaison [2] : « L’Ascension : au Ciel, tout est à droite, car il n’y a aucune misère », où on pouvait lire : « Enfin, un indice pour rechercher parmi les choses terrestres les réalités célestes :  On dit que le Christ est monté vers son Père pour autant qu’il est monté s’asseoir à sa droite. Je souligne : à sa DROITE. » Il ne suffit pas à V. Hoch de dire qu’il souligne : il lui faut sursouligner par le gras, et sursursouligner par les majuscules. Quant à moi, je me contente de souligner qu’il faut vraiment être le dernier des imbéciles pour lire en Col 3,1 un appel à voter pour l’UMP. Jésus a aussi dit : « quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite » (Mt 6,3) : cela voulait-il dire que la Cour des comptes et la Commission des Finances de l’Assemblée, quand elles étaient toutes deux présidées par un socialiste, ne devaient pas mettre leur nez dans les dépenses ordonnées par le gouvernement Sarkozy-Fillon ? [3]
            Autre article typique de son ignorance crasse, celui consacré aux quinze signes de la fin du monde selon saint Jérôme, sur lequel je vais m’attarder. Sans doute consterné et irrité, à juste titre, par le ramedame médiatique autour du 21 décembre 2012 et des malheureux Mayas, V. Hoch a dû vouloir édifier ses lecteurs en leur montrant ce que serait la vraie fin du monde, celle annoncée par Jésus-Christ. Le plus simple aurait été de citer ce qu’on appelle « l’apocalypse synoptique », c’est-à-dire le discours eschatologique qu’on trouve à la fin des trois premiers évangiles. Ah oui, mais j’oubliais que ce discours pose un problème énorme, fatal, apocalyptique pour la foi chrétienne : Jésus y annonce que la fin des temps (destruction de Jérusalem, faux messies, guerres généralisées, iniquités diverses, persécution des saints, cataclysme cosmique, parousie du Fils de l’homme, Jugement dernier) aura lieu… pour ses propres contemporains !! Eh oui, on prétend souvent qu’il n’a assigné aucune date, mais c’est faux [4]: certains de ceux qui l’écoutent verront le grand avènement de leur vivant, il le dit explicitement, pas de chance pour ses dévots d’aujourd’hui (Mt 24,34 // Mc 13,30 // Lc 21,32). Si les plus jeunes dans son auditoire avaient 20 ans en l’an 30, la fin du monde devait survenir avant 70 probablement, au plus tard vers 90, grand maximum 100. Et c’est bien ainsi que l’ont compris les apôtres (Rm 13,11-12 ; 1 Co 7,29 ; 1 Th 4,15.17 ; He 1,1 ; Jc 5,8 ; 1 P 4,7 ; 1 Jn 2,18 ; Ap 22,6.10.12.20. Voir aussi Jn 5,25.28 ; Mt 10,23 ; Mt 4,17 // Mc 1,15 et Mt 16,28 // Mc 9,1 // Lc 9,27). Raté, presque complètement raté ! On a bien vu la destruction du Temple de Jérusalem en 70 (annoncée d’ailleurs de façon très vague), mais rien du reste. Cette erreur manifeste anéantit la prétention de Yéchoua bar Yossef à délivrer une vérité divine : il vaut mieux ne pas trop insister sur cette prédiction foirée, qui nous ferait voir d’un peu trop près qu’il n’est pas meilleur prophète que Paco Rabanne ou Élisabeth Teissier. Faisons plutôt appel à un texte de la Tradition qui, contrairement à l’imprudent Jésus, se garde de toute précision temporelle… Malheureusement, le futur professeur d’université, trop pressé de publier avant que le soufflé médiatique soit retombé (publish or perish, déjà), n’a fait qu’étaler son ignorance et sa crédulité de parfait gogo catho.
            Il publie un premier article qui n’est rien d’autre qu’un morceau choisi et copié-collé de la Somme théologique de Thomas d’Aquin, pour être précis le premier article de la question 73 du Supplément. Mais ça ne suffit pas au petit militant catho, il lui faut un second article qui soit centré sur les quinze signes. Ce nouvel article commence par un paragraphe présentant le texte qui va suivre : « Vers  la fin Moyen Age [sic] c’était une croyance acceptée que la fin du monde serait annoncé [re-sic] par trois grands phénomènes du monde de l’esprit et quinze signes cosmiques. Le texte original de 1492 des Prophéties de la Fin des Temps qui [re-re-sic] fut en principe écrit de la même main que le traité Ars Moriendi (De l’Art de Bien Mourir). L’auteur attribue le crédit de sa réflexion à Saint Jérôme, père et docteur de l’Eglise latine, né à Stridona (Dalmatie) vers 331 et décédé à Bethléem (Palestine) en 420 ». La première phrase est peut-être due à M. Hoch lui-même, mais la suite est plagiée, – et de façon calamiteuse, puisque, en coupant la phrase originale, le petit tricheur produit une phrase fautive, qui a une subordonnée mais pas de principale ! Cette suite, à partir de « Le texte » se trouve en effet, au mot près, depuis le 2 décembre 2010, sur le blogue d’une certaine Eva, qui elle-même n’a fait que copier-coller un document tiré d’un site consacré à Nostradamus. On note cependant que le rédacteur nostradamique, « G.P. », ajoute aussitôt une information précieuse, qui renforce le soupçon introduit par la phrase précédente : « Le nombre de ses œuvres est immense mais c’est peut-être à tort que l'analyse des 15 signes selon les "anales juives" lui est attribuée car on n’en a retrouvé aucune trace dans ses écrits ». Si Vivien Hoch avait tenu compte de cela, il n’aurait peut-être pas donné ce très imprudent titre (en fait très ignorant ou très malhonnête) à son article : « Les 15 signes de la fin du monde, selon Saint Jérôme ». Est-ce parce qu’avec la crédulité du fidèle de l’Église, il a préféré faire confiance au Docteur Angélique qu’à un site nostradamique ? Il aurait eu tort, pour le coup, et du reste pourquoi en recopier quelques lignes si c’est pour en récuser les suivantes ? Plus étrange encore : le site nostradamique reproduit entièrement le texte de 1492, c’est-à-dire non seulement l’explication complète des « quinze signes que saint Jérôme dit avoir trouvés dans les annales et chroniques des juifs » (dont V. Hoch donne seulement le résumé par Thomas d’Aquin, ou plutôt par son secrétaire Réginald de Piperno), mais avant ceux-ci, les quatre signes qui « selon les docteurs, précéderont en premier ». Or V. Hoch réduit ces quatre signes précurseurs à deux, ne mentionnant que le deuxième (la charité refroidie) et le troisième (le triomphe de l’égoïsme : ici, V. Hoch synthétise un texte plus diffus, qui parle d’un déchaînement de péchés, dont les modulations sont longuement énumérées [5]). Pas un mot, chez notre hiéronymo-thomiste, du premier signe précurseur (le déliement de la puissance de Satan) ni du quatrième (la guerre généralisée). Pourquoi cette double omission ? Est-elle due à V. Hoch ou à la source qu’il a pompée ? Serait-ce parce que le premier signe est trop vague et symbolique pour parler au lecteur contemporain, et le quatrième pas assez crédible à court terme, les deux du milieu ayant au contraire l’intérêt d’inviter le lecteur à un examen de conscience ? Et pourquoi, dans sa première phrase, V. Hoch annonce-t-il « trois grands phénomènes du monde de l’esprit », alors qu’il n’en donne ensuite que deux ? Il est possible qu’il n’ait pas recopié le site nostradamique, mais une source que ce dernier aurait aussi utilisée. D’où cette absurdité qui saute aux yeux : V. Hoch recopie une petite présentation d’un texte de 1492, présenté comme « texte original »… pour donner ensuite un texte écrit vers 1280 ! Que n’a-t-il, comme le nostradamien, donné tout le texte de 1492, ou que ne s’est-il dispensé de ce plagiat hors-sujet !
            On pourrait s’arrêter là. Il serait déjà flagrant que le doctorant a fait preuve d’une très coupable légèreté, proposant un article hétérogène jusqu’à l’absurdité : la présentation plagiée d’un texte de 1492, le résumé d’une partie du premier volet de ce texte (résumé tiré de je ne sais où), la liste des 15 signes tirée de la Somme, le tout attribué cavalièrement à Jérôme, alors que sa source plagiée démentait cette attribution. Mais il suffit de pousser un peu plus loin pour s’apercevoir que l’aspirant à une chaire universitaire a multiplié les péchés intellectuels. Le plus véniel est qu’il aurait pu, avec un peu de scrupule, se renseigner sur ce mystérieux texte de 1492. Il n’aurait pas eu de mal à découvrir qu’il avait été adapté par Pierre Girard-Augry chez Dervy-Livres en 1989 sous ce titre : Les Prophéties de la fin des temps. L’Avènement de l’Antéchrist et les Signes précédant le Jugement général de Dieu. Le même Girard-Augry avait d’ailleurs adapté aussi l’Ars moriendi chez le même éditeur, en 1986.
            Mais ce qu’il fallait impérativement faire, c’était explorer la piste de ces quinze signes : oui ou non, se trouvent-ils chez Jérôme de Stridon ? Que signifie ce « texte original » de 1492, concernant une prédiction déjà produite par le secrétaire de Thomas d’Aquin, au plus tard en 1295 ? La solution la plus expéditive, c’était encore de se rendre sur Wikipédia. Eh oui, on trouve vraiment pas mal de choses sur Wikipédia, surtout la version anglophone ! Il y a même un article sur la question qui nous intéresse. De fil en aiguille, on pouvait aussi trouver deux articles universitaires consultables sur le net : « Le thème des "Quinze signes du Jugement dernier" dans la tradition française », par Reine Mantou, Revue belge de philologie et d’histoire, 1967, XLV-3, p. 827-842 et « Le profil du recueil : observations sur le contexte manuscrit des Quinze signes du Jugement dernier », par Salvador Rubio Real et Richard Trachsler, Babel. Littératures plurielles, 2007, n°16, p. 101-122.
            Je vous résume ce qu’on apprend dans ces articles :
                        a) Les quinze signes de l’Apocalypse ne sont pas chez Jérôme de Stridon, même si tout le Moyen Âge l’a cru.
                        b) La première attestation semble s’en trouver chez le pseudo-Bède : le De quindecim signis ante iudicium est un opuscule attribué à Bède le Vénérable (672-735), qui date du VIIIe siècle ou peut-être des alentours de l’an Mil, et est aujourd’hui recueilli dans les Collectanea Pseudo-Bedae. C’est lui qui invente l’attribution à Jérôme, mécaniquement reprise par la plupart de ses suiveurs.
                        c) Ce texte a eu un grand succès au Moyen Âge. On le retrouve en latin chez des théologiens importants, notamment Pierre Damien (Docteur de l’Église, comme Bède), Pierre Lombard, Thomas d’Aquin, ainsi que dans des textes de grande diffusion, en particulier La Légende dorée de Jacques de Voragine (ch. I « L’avent ». Dans l’édition Points-Sagesses n°137, 1998, c’est p. 4-5). Il circule abondamment en Irlande, en Angleterre, en France, dans les pays de langues romanes, et même en Allemagne. En France, la version dominante est un poème de 430 octosyllabes à rimes plates, dont le succès est attesté par les vingt-cinq manuscrits qui nous l’ont conservé, et qui date des alentours de 1200. Mais ce n’est qu’une version parmi d’autres : dans son article, R. Mantou repère seize autres représentants de la tradition française, du XIIIe au XVe siècles, dont cinq en prose. La version imprimée en 1492 avec l’Ars moriendi par Antoine Vérard est la n°14 (très proche de la n°13, un poème de 128 octosyllabes groupés en huitains. Je suppose que le texte recopié sur le site nostradamique est l’adaptation de Pierre Girard-Augry).
                        d) La source première de ces « quinze signes », c’est l’Apocalypse de Thomas, un écrit apocryphe antique. On peut le lire en Pléiade : Écrits apocryphes chrétiens, tome II, 2005, p. 1031-1043. La version longue de ce texte date de la seconde moitié du Ve siècle, mais il existe une version courte, réduite aux signes de l’Apocalypse (en sept jours), qui pourrait remonter au IIIe siècle. Selon une étude de P. Bihlmeyer, parue dans la Revue bénédictine en 1911, cette Apocalypse de Thomas émanerait du milieu des priscillianistes (des hérétiques surtout présents en Espagne, influencés par le gnosticisme et le manichéisme). P. Bihlmeyer propose même des rapprochements directs avec la Pistis Sophia et les Actes de Thomas, deux écrits gnostiques.
            C’est peut-être pour cela que l’Apocalypse de Thomas est condamnée par le décret de Gélase, cet écrit du VIe siècle qui contient notamment une liste du Canon et une (longue) liste des apocryphes à proscrire, ainsi présentée : « Le reste, qui a été composé ou proclamé par des hérétiques ou des schismatiques, l'Église catholique et apostolique ne le reçoit d'aucune manière, parmi lesquels nous croyons devoir être placés ci-dessous quelques-uns, pour qu'ils soient retenus en mémoire, et évités par les catholiques ». Il n’est peut-être pas inutile de reproduire aussi ce qui termine ensuite le décret de Gélase et sa liste des ouvrages hérétiques : « Tout cela et ce qui y est semblable, qu'ont enseigné ou écrit Simon le Magicien, Nicolas, Cérinthe, Marcion, Basilide, Ebion, Paul de Samosate, Photin et Bonose qui produisirent de semblables erreurs, Montan et avec lui ses obscènes suiveurs, Apollinaire, Valentin le Manichéen, Fauste l'Africain, Sabellius, Arius, Macédonius, Eunome, Novat, Sabbatius, Caliste, Donat, Eusthate, Jovinien, Pélage, Julien d'Eclane, Celestius, Maximien, Priscilien d'Espagne, Nestorius de Constantinople, Maxime le Cynique, Lampetius, Dioscore, Eutychès, Pierre et un autre Pierre, l'un qui a sali Alexandrie, l'autre Antioche, Acace de Constantinople et ses compagnons, et non seulement eux, mais aussi toutes les hérésies, et ce que les disciples des hérétiques et schismatiques ont enseigné et mis par écrit, eux dont les noms n'ont pas du tout été retenus, nous le déclarons non seulement comme rejeté mais également comme éliminé par toute l'Église romaine, catholique et apostolique, et comme condamné pour toujours, avec leurs auteurs et leurs lecteurs, par le lien indissoluble de l'anathème. » (Amis de la liberté de pensée, bonjour).
            C’est là le plus comique de l’affaire : l’incompétence de l’historien rend hérétique le croyant ! Parce que, par orgueil, Vivien Hoch a voulu publier en vitesse un petit texte sur la fin du monde afin de se faire mousser sur le net, et parce que, par paresse, il a négligé de se renseigner sur ce qu’il a hâtivement repompé, voilà notre « journaliste » qui propage un texte dont l’origine est officiellement anathème ! Est-ce drôle !... — Mais il me répondrait peut-être que dès lors que la liste des quinze signes a été intégrée dans la Somme de l’Aquinate en tant qu’argument de contre-objection, elle est devenue par ce fait purement catholique. Tant il est vrai que les frontières de l’orthodoxie et de l’hétérodoxie sont mouvantes (ou « pongibles », comme dirait V. Hoch), que le canon du Nouveau Testament lui-même a flotté (excluant certains livres finalement reçus ou y intégrant d’autres livres finalement rejetés), et qu’il suffit d’un coup de vent impromptu de l’Esprit pour qu’une même idée, hier condamnée comme abominable, se retrouve aujourd’hui sainte et véridique… ou l’inverse. (Relisez le Syllabus, qui par exemple condamne le libéralisme, ce qui est fâcheux pour la pensée hochienne [6]).
            Il reste encore à dire un mot sur le contenu de cette prédiction. Une simple lecture de ces « quinze signes cosmiques » montre au premier coup d’œil qu’il ne s’agit que d’un tissu d’absurdités. Si toute l’eau solide et gazeuse présente sur notre planète devenait liquide, elle serait bien incapable de recouvrir toutes les montagnes : à peine ferait-elle monter les océans de quelques dizaines de mètres, or pour faire disparaître l’Everest, il faudrait rajouter une mer planétaire de presque neuf kilomètres de profondeur ! Sachant que le diamètre de la Terre est d’environ 12 600 km, calculez la masse d’eau nécessaire… Et si toute l’eau des mers s’évaporait, comme ç’a dû être le cas sur Mars et comme ça se passera ici quand le soleil deviendra une étoile géante rouge, il serait impossible que les mers se remplissent ensuite à nouveau. Le rassemblement en un même lieu de tous les « monstres marins » et de tous les oiseaux est une idiotie, mais qui ne vaut pas le bris en quatre morceaux (pourquoi pas trois, ou sept ?) de « toutes les pierres, petites et grandes » : au fait, à partir de quelle taille ou de quel poids un grain de sable devient-il un petit caillou, c’est-à-dire une pierre ? Quant aux morts qui ressuscitent (grand thème du Nouveau Testament) et qui sortent de leur tombeaux, c’est le plus risible : et tous ceux qui ont été incinérés ? et tous ceux qui sont morts depuis plusieurs générations, dont le corps a été entièrement décomposé, dont les atomes ont été recyclés dans la nature et dans le corps de ceux qui sont nés après eux ? À qui attribuera-t-on les atomes qui ont appartenu à plusieurs corps successifs ? On parle là de la très grande majorité des 80 milliards d’individus qui ont vécu depuis l’apparition de l’homo sapiens ! — Bref, tout cela ne tient pas debout. Ce texte puéril est totalement invalidé par la science, comme la plupart des délires religieux. Il n’a plus qu’un seul intérêt aujourd’hui, c’est en tant que document pour l’histoire des idées, témoin de l’histoire des mentalités, objet d’étude pour un article universitaire sur la circulation des fantasmes médiévaux. Or manifestement, ce n’est pas du tout ainsi que Vivien Hoch le présente aux lecteurs de son site catholique, car rien ne suggère une pareille mise à distance laïcisante et historicisante. Avec ce titre qui impose (frauduleusement) l’autorité de Saint Jérôme, « père et docteur de l’Église », il est clair au contraire qu’il le donne comme orthodoxe, inspiré, digne de la foi et de la méditation du croyant (alors que Thomas d’Aquin lui-même, dans l’article précédent, le relativisait : « Quant aux signes énumérés par saint Jérôme, il n’affirme point leur réalité ; il dit seulement les avoir rencontrés dans les annales des Juifs, et l’on doit dire qu’ils paraissent fort peu vraisemblables »). Et la partie intermédiaire de l’article, entre la présentation et les quinze signes cosmiques, en est une preuve supplémentaire : V. Hoch a mis en gras ce qui, de toute évidence, est déjà réalisé pour lui dans le monde présent, indiquant par là que ces deux « phénomènes du monde de l’esprit » précèdent inéluctablement le grand cataclysme planétaire en quinze étapes. On est donc en droit de se poser la question : est-ce que Vivien Hoch gobe vraiment de pareilles calembredaines, et dans ce cas, ne serait-il pas tout simplement un gros con ? Qu’est-ce qui le différencierait foncièrement de ces esprits faibles qui croyaient que le monde allait être anéanti le 21 décembre 2012 (sauf les quelques privilégiés recueillis dans les soucoupes volantes stationnées dans les cavernes secrètes du pic de Bugarach) ? Ne serait-il pas le frère jumeau de tous ces musulmans qui croient eux aussi mordicus à un prochain cataclysme universel déclenché par Allah, qui scrutent avec angoisse ou espérance ses signes annonciateurs et qui les repèrent déjà dans les désordres actuels ? (parmi cent références possibles, voir par exemple celle-ci, qui permet quelques comparaisons entre les signes de l’Apocalypse dans les deux grands monothéismes concurrents). La fin des temps est un dogme, donc le chrétien y croit par principe, et il est prêt à gober n’importe quelle sornette qui confirmerait ce dogme [7], même si, comme je l’ai expliqué plus haut, c’est le plus létal des dogmes pour l’Église. On a beau lui dire que son dieu avait annoncé un Jugement imminent, que ce Jugement apocalyptique ne s’est pas produit, donc que son dieu s’est trompé, donc que son dieu n’est pas un dieu, donc que tout le Nouveau Testament n’est que le recueil humain des tristes délires d’illuminés juifs de l’Antiquité, ne méritant pas davantage de créance que l’Avesta, le Popol-Vuh, Le Livre de Mormon révélé à Joseph Smith par l’ange Moroni ou Le Livre qui dit la vérité de Claude Vorilhon alias Raël, rien n’y fera : il continuera à attendre vaillamment la Parousie et à en scruter les signes annonciateurs, fût-ce à la lumière d’un texte inepte qu’une tradition mensongère a attribuée à un saint quelconque [8]. Nous sommes là en face de ce qu’il faut bien appeler la connerie de la croyance religieuse qui, pour frapper 95% de l’humanité passée et présente, pour constituer un aiguillon incomparable à l’activité humaine, pour être fallacieusement présentée par ses adeptes intellectualisés comme une « foi » qui serait étrangère voire opposée à la crédulité brute alors qu’elle est la même chose dans son essence, – n’en est pas moins de la connerie.
            Concluons sur cet article. Plagiat bête et maladroit, dédain total de toute référence authentificatoire, assemblage hétérogène de sources distinctes, pas de problématique nettement dégagée, recopiage servile d’une source non interrogée, absence complète du moindre esprit critique, incapacité à exprimer un avis personnel, texte non relu qui laisse passer de grossières fautes de syntaxe : L’élève Hoch a produit un article nullissime, qui n’atteint même pas le niveau d’un TPE de 1ère L. Sa copie mérite au mieux 3/20, pour l’effort de recopiage. L’élection à une chaire universitaire est encore loin…
 
            Mais ce paltoquet a commis pire encore. Le 25 décembre, il publie un article niant que la date de Noël ait le moindre rapport avec la fête de Sol Invictus : bien au contraire, ce serait les païens qui auraient plagié la fête chrétienne !! Devant l’énormité de l’assertion, je m’apprêtai à réagir. Mais je m’aperçus aussitôt qu’en fait ce billet, comme beaucoup du site Itinerarium, ne contenait rien d’original, ne faisant que relayer une information publiée par d’autres. (C’est apparemment cette façon de repiquer tous les trois jours une dépêche ici ou là qui permet au sieur Hoch de se coiffer du titre de « journaliste »). En l’occurrence, le signataire se bornait à citer trois paragraphes d’un texte plus étendu, qu'il a trouvé sur le site de Daniel Hamiche, lequel l'a lui-même recopié sur un blogue catholique. C’est à cet article que je vais m’attaquer, après avoir pris le temps de m'attarder sur le pauvre Daniel Hamiche, qui n'aura servi que d'intermédiaire entre Vivien Hoch et le « patriote de clocher ». Les torts du petit Hoch ne seront donc, dans cette nouvelle casserole qu’il s’est accrochée derrière lui, que d’avoir recopié et diffusé servilement un monceau d’âneries.  Ignorance phénoménale, inaptitude au sens critique, aveuglement partisan, propension à accepter tout ce qui conforte ses thèses avec une absence totale de discernement : l’étudiant Hoch confirme une fois de plus les très graves déficiences intellectuelles qu’on avait déjà observées. On se demande bien ce qu’il aura à transmettre à ses élèves, à part sa jobardise prétentieuse. Pauvre France, et pauvre Église !
 
            Bonne nouvelle en tout cas : Si c’est avec de pareils zozos que l’Église compte partir à la reconquête des âmes égarées, les forces antichrétiennes peuvent dormir sur leurs deux oreilles.

 
(Cet article fait partie d’un triptyque.
Deux autres volets, prochainement publiés,
seront consacrés à une présentation critique de Daniel Hamiche
et à une réfutation d'un article aberrant sur les origines de Noël,
sottement relayé par V. Hoch et D. Hamiche.) 
 

 

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[1] Une phrase digne du sottisier de Flaubert : « Nous laissera-t-on encore longtemps berner par les soit-disants intellectuels gauchistes qui idéologisent et déchristianisent jusqu’à la langue française elle-même ? » (trouvée dans cet article antigauchiste). Les cons, ça ose tout, même poser au défenseur de la langue française en commettant une double faute de français : faute morphologique (on écrit évidemment « soi-disant », puisque ça veut dire disant de soi-même) et faute d’accord (le mot est invariable, étant fondé sur un participe présent). On peut même s’interroger sur la congruence du terme : les personnes qu’incrimine l’auteur se targuent sans doute d’être des intellectuels, mais le mot « gauchiste » est perçu comme péjoratif et donc rarement revendiqué depuis les années 80. Il aurait mieux valu dire : « …par ces gauchistes, soi-disant des intellectuels, qui… ». 

[2] Que dites-vous de ceci, dès le premier paragraphe ? : « … sa plus grande gloire et sa plus grande présence à ceux qu’il a choisit et qui l’on choisit ». Dans le suivant, on relève : « qui ont posées la question » et « pour nous laisser libre de vivre ». Monsieur Hoch écrit à peine mieux qu’un lycéen ordinaire. S’il a suivi sa scolarité dans des établissements privés, alors il prouve à lui seul que ceux-ci ne valent pas mieux que les établissements publics. Quant au troisième paragraphe de l’article, il est constitué par cette increvable bêtise religieuse : l’invisibilité de Dieu est une preuve supplémentaire de son existence (on peut en dire autant du Monstre en Spaghettis Volant, de la Licorne Rose Invisible et même des schtroumpfs). Jésus a augmenté notre foi en disparaissant, c’est Thomas d’Aquin qui le dit, alors respect ! Évidemment, s’il était resté immortel parmi nous, répandant ses miracles sur chaque génération, ce serait tellement facile de croire en lui…

[3] Signalons aussi un troisième (ou premier par ordre d’ancienneté) article sur le sujet. C’est un bon exemple du style hochien : de désolantes platitudes dans une prose prétentieuse et grotesque, où le jargon du savantasse le dispute aux incorrections du demi-inculte : « le fondamental de quelques grandes dichotomies politiques » ; « les frontières pongibles du sub-conscient » (« pongible » n’existe pas : serait-ce un lapsus pour fongible ? mais ce terme juridique s’applique à des denrées, pas à des notions mentales) ; «  Souverainiste / libéral » (drôle de « dichotomie » : on croyait que le souverainiste s’opposait au cosmopolite et le libéral au dirigiste) ; « vieux et veilli » ; « la conception que l’un et l’autre se fait de la Tradition » ; « se base au fondement sur » (redondance à laquelle il manque, en outre, un pronom relatif avant le verbe) ; « deux conceptions radicalement différente » ; « en sous-jacement philosophique » ; « la société cadre les penchants » ; « ressassé à outrance » (cette redondance était-elle indispensable ?) ; « des expressions abscontes » ; « comme l’on voulu » ; « la phénoménologie a construit une méthode […], est peut-être en droit de » (encore un pronom relatif escamoté). Mais le plus tordant, c’est la conclusion, qui en appelle à la phénoménologie pour nous sauver des clivages idéologiques : « Parce qu’elle laisse parler les phénomènes du quotidien et le raz-le-bol [sic] des citoyens contre l’idéologie… ». Oui, tel quel ! Husserl à la rescousse des brèves de comptoir !... Citoyens, vous en avez marre de ces politicards pourris et incompétents, de ces impôts qui vous écrasent et ne servent qu’à engraisser les parasites, de ces malfaiteurs qu’on laisse en liberté ? Rassurez-vous : Franz Brentano, l’auteur de la Psychologie du point de vue empirique (1874) et de De la signification multiple de l’étant chez Aristote (1862), est de tout cœur avec vous ! On se demande pourquoi nos dirigeants tiennent si peu compte du mécontentement des Français, pourtant rappelé chaque jour par un nouveau sondage ? Eh, c’est parce qu’ils ne sont pas assez imprégnés de Husserl, Scheler, Heidegger, Levinas et Jean-Luc Marion ! Le jour où ils auront les Idées directrices pour une phénoménologie sur leur table de chevet, vous verrez comme ils deviendront attentifs à la quotidienneté et l’être-incarné de l’électeur, « qui a des souvcis et un besoin de paix et de sérénité » ! Si, si, Vivien Hoch vous le garantit : « La philosophie nous sauvera encore. » À qui vous dira, d’un ton désabusé, qu’on a tout essayé contre le chômage, il suffira désormais de répondre : « Même Husserl ? Commençons par poser un diagnostic à l’aide de La Crise des sciences européennes et la phénoménologie transcendantale, et cherchons des remèdes dans les Méditations cartésiennes et les Recherches logiques ! »

[4] Benoît XVI est intervenu là-dessus le mois dernier, comme le signale V. Hoch dans un billet qui n’est que la reproduction d’une dépêche officielle. La difficulté du discours eschatologique de J.-C. « vient autant de son contenu que du langage : il est en effet question d’un avenir qui dépasse nos catégories, et c’est pourquoi Jésus utilise des images et des paroles reprises de l’Ancien Testament, mais y insère surtout un nouveau centre qui est lui-même, le mystère de sa personne et de sa mort et résurrection. […] C’est pourquoi Jésus ne décrit pas la fin du monde, et lorsqu’il utilise des images apocalyptiques, il ne se comporte pas comme un voyant. » : Ah, ah, le bon vieux coup du langage allégorique, chaque fois que le sens littéral est mis en échec par la science ! Merveilleuse échappatoire, toujours prête à l’emploi ! Sérieusement, J.-C. ne décrit pas la fin du monde en Mt 24,29 // Mc 13,24-25 // Lc 21,25-26 ? Ah, mais puisqu’on vous dit que quand c’est écrit noir, ça veut dire blanc !... Quel paradoxe, cependant, que de voir ces propos reproduits sur le site de quelqu’un qui interprète au sens littéral l’expression « droite de Dieu » !... Au fait, pourquoi ne pas tenir pour de purs symboles allégoriques la virginité de Marie, et la résurrection, et l’ascension ? Et les miracles, tous aussi métaphoriques, non ? Ah, j’ai compris : Tant qu’on peut y croire, c’est du littéral, mais aussitôt qu’on se rend compte que c’est impossible, ça devient du symbolique. Je suis oiseau, voyez mes ailes ; je suis souris, vivent les rats… « Au contraire, il veut soustraire ses disciples de toutes les époques à la curiosité des dates, des prévisions » : joli foutage de gueule papal. Quand Jésus dit par deux fois à ses auditeurs que certains d’entre eux verront de leur vivant ce qu’il annonce, il les soustrait à toute curiosité des dates, sans blague ? Certains d’entre eux, hein, pas tous : preuve péremptoire que Jésus n’annonce pas je ne sais quelle effusion spirituelle immédiatement présente dans le cœur de tout croyant, mais bien un évènement qui doit avoir lieu dans quelques années, après qu’une partie du public sera morte, une partie seulement. Désolé, chrétiens, votre dieu s’est trompé… Quant à Ratzinger, il ne sait pas lire. Il devrait méditer 2 Tm 2,18, récusation explicite de « l’eschatologie réalisée », qu’on peut mettre en relation avec 2 Th 2,2 : il faut rester dans l’attente, parce que ça va venir. Évidemment, on comprend que l’Église ne puisse assumer cette prophétie ratée, puisque c’est la preuve qu’elle se fourre le doigt dans l’œil depuis dix-neuf siècles : elle doit nier farouchement que J.-C. ait annoncé la fin du monde pour ses contemporains, car si on l’admet, c’est le christianisme tout entier qui s’effondre en tant que religion. L’Église disparaît et il ne reste du Nouveau Testament qu’une morale humaine, à l’instar du confucianisme (mais beaucoup moins raisonnable et sage que celui-ci).

[5] Relevons ce bout de phrase à propos du second signe hochien : « l’intérêt personnel, c’est-à intérêt immédiat ». Sic ! Il faudrait dire au petit Hoch qu’une relecture attentive est la première marque de respect à l’égard de ses lecteurs. C’est bien joli de mobiliser Thomas d’Aquin pour disserter sur la notion de charité, mais il faudrait peut-être se souvenir que charité bien ordonnée commence par soi-même. Qu’est-ce qu’un « journaliste » qui inflige un tel charabia aux yeux de ses lecteurs, sinon un petit narcisse qui se fait plaisir en publiant ce qui lui passe par la tête, sans se soucier du plaisir de ceux à qui il fait semblant de s’adresser ? Ah, la tyrannie de l’intérêt personnel et immédiat !...

[6] Dans cet article, il se sert de Thomas d’Aquin pour fonder le libéralisme dans le christianisme. Il prend même le risque de mentionner Lamennais. Or Lamennais a rompu avec l’Église et glissé vers une sorte de socialisme humanitaire. L’encyclique de Grégoire XVI, Mirari Vos (1832) a sévèrement condamné le libéralisme, visant Lamennais sans le nommer. Le Syllabus de Pie IX (1864), liste des erreurs modernes, se termine par cette huitantième et dernière : « Le Pontife Romain peut et doit se réconcilier et transiger avec le progrès, le libéralisme et la civilisation moderne ». Les erreurs qui précèdent immédiatement sont la liberté de culte, la laïcité, le rejet de la souveraineté temporelle du pape : tout ce que l’Église accepte aujourd’hui. « Liberté de conscience, libération de l’initiative individuelle et libre examen sont historiquement et philosophiquement fondés sur cette option théologique capitale qui est celle de l’autonomie des réalités terrestres dans leur libre parcours vers Dieu », nous dit V. Hoch : mais n’est-ce pas là justement tout ce que l’Église a condamné jusqu’à Vatican II ?! Même un pape comme Léon XIII, qui passe pour libéral en France parce qu’il a préconisé le ralliement des catholiques à la République, condamne le libéralisme dans  Libertas Praestantissimum (1888) et la liberté de penser dans Immortale Dei (1885). Il est d’ailleurs piquant de noter que c’est à Léon XIII que l’on doit le renouveau du thomisme… Quoi qu’il en soit de Thomas d’Aquin, dont je laisse à d’autres le soin de trancher s’il incline du côté de Léon XIII ou du côté de Vivien Hoch, je pense volontiers que les inventeurs du catholicisme libéral, et V. Hoch avec eux, ont raison quant à sa compatibilité avec le christianisme. Mais l’important, ici, est que l’Église de la fin du XXe a complètement viré sa cuti par rapport à l’Église du XIXe. Comment peut-on prétendre qu’une institution qui soutient successivement des thèses opposées et incompatibles soit inspirée par le Saint-Esprit ?

[7] Un article révélateur de la totale fermeture intellectuelle du bigot, c’est celui qui est consacré à la récente découverte d’un curieux papyrus copte comportant la phrase « Jésus leur a dit : "Ma femme…" ». V. Hoch a raison, dans un premier temps, de se scandaliser de la démagogie des médias qui, jusque dans le Washington Post, donnent une version simpliste et aguicheuse des recherches savantes, à seule fin d’attirer le chaland et sans crainte de laisser croire des faussetés. Mais on ne peut le suivre quand il assène son dogmatisme, refusant furieusement de poser une seule seconde la question du mariage possible de Yéchoua bar Yossef. Voyez la violence du sectaire : « Qu’on arrête de raconter de telles histoires ! Quand je pense au temps productif et à l’énergie créative qu’il faut dépenser pour réfuter ces conneries blasphématoires et provocatrices, j’ai envie de vomir. Malheureusement pour les provocateurs, qu’ils soient sérieux ou pas, la perte du temps sera le moindre de leurs péchés quand ils seront appelés à répondre au jour du Jugement ». Au passage, on comprendra que ma propre virulence n’est qu’une riposte légitime à celle de l’inquisiteur. Celui-ci se plaint de perdre du temps et de l’énergie à réfuter la thèse du mariage de Jésus, alors qu’il n’a rien réfuté du tout. C’est sans doute que, pour lui, il suffit de taxer un propos de « blasphématoire » et de le rabaisser au niveau de Dan Brown pour l’avoir « réfuté » de façon suffisante. En vérité, personne ne sait si Jésus était marié ou non. Certains font remarquer que le mariage était pour les juifs une obligation religieuse, morale et sociale. On l’appelait « rabbi », or tous les rabbins de l’époque étaient mariés, et on ne nous dit pas qu’on lui ait fait le reproche de ne pas l’être (alors qu’on lui reproche d’être glouton, de ne pas respecter le sabbat, de fréquenter les impurs, etc). En outre, quand Paul prône le célibat, il invite les croyants à faire comme lui, mais il ne donne pas J.-C. en exemple (1 Co 7,1.7-8) : ces quelques éléments, bien sûr, ne prouvent rien, mais ils indiquent que la question est posée, et la réponse nullement évidente. Il existe une solution ingénieuse, certes purement hypothétique, qui résoudrait le problème et pour laquelle j’inclinerais volontiers : Jésus aurait été veuf au moment (tardif) où il a commencé sa prédication. Quoi qu’il en soit, il ne faut pas se laisser impressionner par les imprécations de ce petit péteux qui, comme tous ses frères dévots, regardera toujours comme un horrible blasphème, digne des pires châtiments, la moindre discussion rationaliste sur les fondements de ses dogmes stupides (pardon pour le pléonasme).

[8] Au cours de ma petite recherche, j’ai repéré que la liste des quinze signes, dans sa version concise donnée par la Somme, avait déjà été publiée sur le net, dans un commentaire déposé par « CVV » le 1/9/2011 à 19h32 (mais je veux bien faire crédit à l’étudiant V. Hoch, qui prépare une thèse sur Thomas d’Aquin, qu’il n’a pas eu besoin de tomber sur ce lien pour découvrir ce texte). On trouvera ce commentaire sur cette page, dont les réactions antisémites, à vrai dire, proposent une tel déchaînement de bêtise épaisse, d’ignorance obtuse et de haine furieuse qu’on se sent tout d’un coup, à les lire, très philosémite, ou du moins christianophobe comme jamais. Mais un détail dans ce commentaire de CVV (le même CVV qui, dans son commentaire précédent, écrit carrément : « Le véritable Israël d’aujourd’hui n’est autre que la Catholicité et Grand Monarque descendant de David et des Capétiens sera confirmé par le Ciel malgré la rage des Juifs selon toutes les prophéties: satan élèvera toujours le trône de Pierre », allô l’asile de fous, il vous reste une place ?), ce détail, donc, a attiré mon attention : « Saint Jérôme dans son Epître "Epist. II, ad Ageruch", nous annonce aussi : "Nous ne prenons pas garde que l’Antéchrist approche" ». J’ai tapé la phrase sur Google et constaté qu’elle était reproduite telle quelle sur une dizaine d’autres forums ultra-catholiques, où des allumés du Christ-Roi discutent à perte de vue sur le retour du Grand Monarque et la venue de l’Antéchrist. Je n’ai pas eu trop de mal à identifier la provenance de cette citation : elle est tirée d’un petit livre de l’abbé Augustin Lémann, un polygraphe lyonnais de la fin du XIXe : L’Antéchrist, Vitte, 1905, dont plusieurs sites proposent la reproduction, téléchargeable en format pdf. Il m’a fallu quelques minutes de plus pour remonter à la source première. Ce nom bizarre d’« Ageruch » m’intriguait, avant que je comprisse que Lémann avait dû écrire « Ageruch. », avec un point qui change tout car il indique une abréviation, ce que n’ont pas saisi ceux qui ont reproduit son texte. Il s’agit en fait de la lettre à Ageruchia, une veuve à qui Jérôme donne des recommandations pour surmonter son veuvage. Ce n’est pas la lettre II, c’est la lettre CXXIII, § 16, qui date de 409. Le même texte se trouve aussi en Conseils sur la viduité III, 319, car Jérôme a formé ce traité en assemblant trois lettres sur le même sujet dont celle-ci. Voici la citation dans son co-texte immédiat : « Mais qu'est-ce que je fais ? Je disserte sur le chargement, alors que le navire a coulé. Ce qui tenait le monde disparaît, et nous ne comprenons pas que l'Antéchrist s'approche, que le Seigneur Jésus Christ détruira du souffle de sa bouche. » (J’ai retraduit moi-même les trois phrases, le texte qu’on trouve en ligne me paraissant plus une paraphrase élégante qu’une traduction. Il faut dire qu’il date de 1838, époque où on n’avait pas la même exigence de rigoureuse fidélité qu’aujourd’hui. L’original dit : « Verum quid ago ? Fracta naui de mercibus disputo. Qui tenebat, de medio fit, et non intelligimus Antichristum appropinquare, quem Dominus Iesus Christus interficiet spiritu oris sui »). Je développe cette note car le destin de cette petite phrase me paraît particulièrement représentatif des mésaventures communes d’une citation isolée, allègrement trahie par ses utilisateurs négligents. Dans un premier temps, l’abbé Lémann la glisse dans une suite de citations similaires de Pères de l’Église (fin de son chapitre IV), qui tous identifient la propre époque qu’ils sont en train de vivre à la fin du monde annoncée par l’Écriture. C’est particulièrement flagrant pour Jérôme, quand on lit la suite de la lettre, qui gémit sur les malheurs causés par les invasions barbares. Mais l’abbé Lémann, au lieu d’en conclure que le fantasme de l’apocalypse imminente est un trait permanent de la mentalité religieuse à toute époque, qui devrait nous inciter à balayer en bloc ces vaticinations névrotiques, voit là une concordance remarquable entre les Pères et la Bible : « Comme on a pu le constater, aucun des Pères cités ne s'est permis de fixer une date déterminée pour l'avènement de l'Antéchrist ou de la fin du monde. Ils demeurent tous dans des généralités, ils rappellent les signes, ils conjecturent ; ils ne fixent rien ». (Quelle blague ! Ils disent tous qu’on est dans le commencement des douleurs, que l’irruption de la catastrophe est imminente). « Leur manière de prêcher ou d'écrire est conforme aux annonces à la fois nettes et prudentes de Notre-Seigneur lui-même et de son apôtre Saint Paul. Aux chapitres Mt 24-25, Notre-Seigneur annonce nettement la fin du monde, il en donne les signes précurseurs, mais il ne fixe pas de date ». (Encore l’imposture classique déjà signalée dans une note précédente. Le fait que presque tous les livres du NT rappellent que la fin des temps est très proche prouve bien que l’époque assignée par JC avait été reçue 5 sur 5 : du vivant de ses contemporains, donc au plus tard un demi-siècle après sa mort). « À l'exemple de son Maître, Saint Paul, en 2 Th 2, annonce nettement l'Antéchrist, mais il ne fixe pas de date à son avènement ». (C’est oublier un peu vite qu’en 1 Th 4,15.17, le même Paul dit deux fois : « Nous les vivants qui serons encore là pour l’Avènement du Seigneur ». Donc Paul, comme Jésus, fixe bel et bien, sinon une date précise, du moins une fourchette temporelle pas si large que ça, puisqu’il a déjà 43 ans). – Dans un second temps, les allumés ultra-cathos des forums sectaires récupèrent la citation de Jérôme via Lémann pour l’appliquer à aujourd’hui et suggérer que cette fois, ça y est, après vingt siècles de foirades lamentables, l’apocalypse promise par NSJC va enfin se réaliser au XXIe. La référence imprécise ne les gêne nullement, puisqu’aucun ne songe à aller vérifier à la source. À quoi bon s’embarrasser de scrupules historiographiques, quand on a la foi ? Pourtant, Jérôme eût été le premier surpris qu’on se servît de lui pour annoncer l’Antéchrist vers 2050 ou un peu avant (?), lui qui le sentait arriver sur les talons des barbares germaniques qui ravageaient la Gaule dans les années 407-409.