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10.11.2012

MA VISITE À LA CONVENTION IDENTITAIRE D’ORANGE : TÉMOIGNAGE ET RÉFLEXIONS (2)

            Le déclinologue a fait un long voyage pour se rendre jusqu’à Orange et assister, en observateur sympathisant mais critique, à la 3ème convention nationale organisée par les Identitaires.

             Quand je reviens vers 14h, dans une salle presque vide, je tombe sur une conférence de presse : Fabrice Robert (le président du Bloc Identitaire), Philippe Vardon (chef de la section niçoise et co-pilote du mouvement), Damien Rieu (du B.I. lyonnais) et un quatrième (muet) répondent aux questions des quelques journalistes présents (c’était prévu le lendemain à 11h30). J’ai donc raté l’intervention du premier nommé : « Pleven 1972–Hollande 2012 : 40 ans d’antiracisme, 40 ans de haine de la France », qui était programmée à 11h40 et qui a dû avoir lieu vers 13h40. Dommage, encore que je n’y aurais sans doute entendu que ce que je pense déjà. Philippe Vardon paraît nourrir des relations d’amour-vache avec les journalistes, notamment Andréa Bambino de l’AFP et Abel Mestre du Monde, qu’il aura abreuvés de sarcasmes goguenards pendant deux jours.
            L’un des journalistes revient sur l’affaire de Poitiers, qui a connu un certain retentissement et dont il est souvent fait mention tout au long de la Convention. (Le matin du samedi 20 octobre, septante militants ont occupé pendant quelques heures le chantier en construction de la future mosquée de Poitiers. Quatre d’entre eux ont été arrêtés et sont assignés à résidence dans leur département. Cette manifestation, pacifique mais illégale, a été unanimement condamnée par la classe politique, dont plusieurs voix ont demandé la dissolution du B.I.). Le journaliste demande si cette action n’a pas été fort malencontreuse, en donnant une mauvaise image du mouvement et en fermant des portes qui semblaient prêtes à s’ouvrir, du côté du Front National. Cette question correspond tout à fait à mon ressenti : je pense qu’une action illégale est contre-productive et fait fuir nombre de gens qui partagent les idées qui justifient cette action. Je suis donc consterné d’entendre Philippe Vardon répondre dans la plus pure langue de bois, comme n’importe quel politicien incapable de reconnaître ses erreurs, que tout au contraire cette action a permis d’ouvrir des portes : des millions de gens se sont reconnus en elle, elle a eu une grande répercussion médiatique et permis de faire connaître les identitaires à toute la France, elle a renforcé la prise de conscience des gens, toute la classe politique s’est positionnée par rapport à elle, etc. En outre, concernant la classe politique, ajoute Fabrice Robert, il y a une différence entre les déclarations publiques et les messages privés qu’il a reçus, « mais [il] n’en dir[a] pas plus ». Cette réponse me paraît symptomatique d’un certain enfermement sectaire incapable de percevoir la réaction majoritaire des gens, – mais en y réfléchissant à la fin de la journée, je changerai complètement d’opinion. Voir ma conclusion générale à la fin du troisième volet.
           
            La deuxième séquence de la Convention, intitulée « Anti-mondial / Pro-local » commence à 14h45, avec seulement trois quarts d’heure de retard. (Celle du matin avait pour titre générique « Hollande président, et maintenant ? », mais elle était assez fourre-tout). Pour commencer, Massimiliano Bastoni, jeune militant de la Ligue du Nord et conseiller municipal de Milan, vient adresser son salut aux identitaires français. Le programme prévoyait un discours d’une demi-heure sur « l’enracinement local, base de l’action politique », mais il ne prononce que quelques phrases banales pendant trois minutes.
 
            C’est pour mieux laisser la place à Mario Borghezio : « La Reconquista, un modèle et une ambition » (prévu le lendemain à 12h30). Mario Borghezio est une figure de la Ligue du nord d’Umberto Bossi, et député au Parlement européen. Ce petit homme chenu à lunettes, un peu enveloppé, parle un français parfois approximatif mais néanmoins satisfaisant. On sent assez rapidement le tribun méditerranéen emporté et truculent, à la chaleur communicative, jamais en retard d’une galéjade, si bien qu’on finit par le prendre pour un pitre. Ses analogues sont à chercher du côté de Roger Holeindre, Charles Pasqua, Jean-Claude Gaudin, Georges Frêche… et Loulou Nicollin. Il commence par rebondir sur le nom de son jeune collègue, « Bastoni », pour dire qu’il faut bâtonner nos adversaires. Son discours, à ce qu’il m’a semblé, n’était pas un exposé charpenté, mais plutôt une suite de propos vigoureux et décousus. Nous sommes victimes d’un génocide culturel, nous ne devons pas accepter de laisser mourir notre peuple sans combattre, etc. Super-Mario rappelle aussi un épisode obscur qui prouverait que la démocratie n’est qu’une illusion : l’année dernière, en tant que parlementaire européen, il a tenté de s’introduire dans l’hôtel suisse où se tenait la réunion du Bilderberg, mais il a été refoulé. Ben oui, où est le problème ? C’était une réunion privée et il n’était pas invité ! Être député européen ne donne pas un laissez-passer universel dans tous les bâtiments de l’U.E., et encore moins de la Suisse, que je sache. Comme les gens de la Ligue du Nord ou du Bloc Identitaire s’égosilleraient si des députés européens gauchistes prétendaient s’introduire dans les réunions de leur comité directeur ! Heureusement qu’il ne s’est pas trop attardé sur cette guignolade, car je sentais poindre le délire complotiste. (En me renseignant sur lui aujourd’hui, je découvre avec accablement qu’il est aussi convaincu que les États gardent secrètes les observations sur les OVNI…).
            S’échauffant progressivement, Super-Mario devient lyrique, s’enthousiasme pour « notre soleil, notre ciel bleu, comme les yeux de nos femmes », et s’exclame un peu après, sous les ovations de la salle en délire : « Vive les Blancs de l'Europe ! vive notre identité, vive notre ethnie, vive notre race ! ». Je me pince, ayant le sentiment de vivre un « dérapage » en direct. Seuls des étrangers peuvent venir dire en France ce que nous ne pouvons plus dire nous-mêmes... Ensuite, il salue les croisés, nous exhorte à ne faire aucun compromis avec les mondialistes, qui nous font vomir, s’attardant un instant sur cette idée du vomissement, – ce qui ne vaut pas mieux que la rhétorique du « nauséabond » pratiquée par le camp d’en face : n’est pas Céline qui veut. En conclusion, il lance : « Pour nous enthousiasmer, il nous faudrait des poètes comme Brasillach », et mentionne les Poèmes de Fresnes. La salle applaudit à tout rompre, mais le lettré que je suis n’est pas dupe. Brasillach n’est pas du tout un patriote enflammé à la Déroulède. Borghezio n’a jamais dû ouvrir les Poèmes de Fresnes, qui sont très loin des Chants du soldat ou de Marches et sonneries, mais relèvent du lyrisme carcéral, voire de l’ars moriendi : des élégies qui chantent la douleur du prisonnier et du condamné à mort frère de Chénier, des évocations nostalgiques du passé, des déplorations de vaincus et des psaumes qui remettent une vie à Dieu en communion avec la passion de Jésus. Il n’y a rien qui puisse réchauffer l’ardeur d’un combattant patriote dans ces élégies tremblantes et un peu morbides, ce pour quoi il aurait plutôt fallu proposer Déroulède, Péguy ou même Aragon. En fait, Borghezio a pratiqué ce qu’on appelle en anglais du « name-dropping » (traduire : du nommage, ou mieux : du glisse-nom) : il a utilisé le nom de Brasillach comme marqueur idéologique, afin d’établir une connivence fachiste avec son public, à l’instar de ces romanciers des années 60 qui utilisaient comme épigraphes des citations de Karl Marx n’ayant aucun rapport avec leur œuvre [1]. Il termine d’ailleurs son discours en saluant « [s]on maître Julius Evola », mais ce second nommage, qui confirme le précédent, est à peine entendu, déjà couvert par les longs et nourris applaudissements finaux. Super-Mario les excite et les prolonge en tendant vigoureusement le bras, mettant un point final à sa proclamation d’appartenance fachiste, par ce qui m’a bien l’air d’être un pur salut « romain », bien que j’aie mal vu la position des doigts. De nombreux spectateurs l’imitent, mais en fermant le poing ou en faisant le chiffre 3 avec la main.

                                                   
            Après que cet ovni mussolinien a traversé notre ciel, il faut baisser les yeux et se remettre à considérer des choses terrestres, voire triviales. La transition est assurée par un message vidéo de Jean-Yves Le Gallou à 15h10 (prévu à 11h55). De Venise où il passe des vacances familiales prévues de longue date, il s’excuse de ne pouvoir être présent parmi nous et nous envoie ses vœux de belle réussite. Venise (mais je me demande si la vidéo a vraiment été enregistrée là-bas) lui permet de mentionner la victoire de Lépante contre le conquérant ottoman en 1571, puisque les galères chrétiennes en partirent. Tout cela est très bref (moins d’une minute), très creux et malheureusement entaché d’une faute de français (« les galères qui détruirent la flotte du Grand Turc »).
 
            Vers 15h15 (prévu à 12h) lui succède Claude Chollet : « Ils nous informent, informons-nous sur eux ». Il s’agit aussi d’une intervention très brève. Ce journaliste vient présenter l’O.J.I.M. (Observatoire des Journalistes et de l’Information Médiatique) qu’il a fondé récemment et préside. Ce nouvel organisme entend collecter et diffuser des informations permettant de mieux comprendre les menées, les non-dits, les gauchissements des médias « officiels ». En gros, il s’agit donc de faire comme Acrimed, mais du point-de-vue opposé. M. Chollet n’a pas choisi ce titre pour sa brève allocution, il aurait préféré quelque chose comme « les médias et la crise des identités », mais son explication n’est pas très claire. Je préfère celui que les organisateurs ont retenu.
 
            15h20 (prévue à 12h15). Table ronde : « Rencontre des esprits libres ». Dans la continuité de ce qui précède, cinq personnes viennent parler de leur activité médiatique à contre-courant, prouvant qu’il est possible, quoique très difficile, de faire entendre une autre voix. La critique du Système ne va pas sans quelques raccourcis simplificateurs, pour ne pas dire erronés. Par exemple, j’entends que Renaud Camus a été « viré par son éditeur historique ». C’est un peu plus compliqué que ça : d’une part, « l’éditeur historique » de R. Camus, ce serait plutôt P.O.L., que Fayard a remplacé en 2000 ; d’autre part, on ne peut pas dire qu’un auteur soit « viré » par son éditeur, car il n’est pas son employé. Mais le fait est que Fayard, au printemps dernier, a décidé de ne pas renouveler les contrats de Renaud Camus, officiellement pour raisons commerciales, alors que celui-ci venait d’annoncer son soutien à Marine Le Pen.
             Louise Demory parle du blogue belle et rebelle, une sorte d'Elle pas trop gauchiste sur la Toile, qui est un succès pour avoir rapidement franchi le cap des 500 visites par jour.
           Benoît Lœuillet est un librairie niçois qui, frappé du décalage entre la sensibilité politique des Niçois et le gauchisme de toutes les librairies de la ville, a senti une demande, et l’a satisfaite en ouvrant une librairie qui expose des livres superbement ignorés par ses confrères (ou cachés dans des rayons malaisément accessibles), même quand ils viennent de maisons d’édition ayant pignon sur rue. Naturellement, ces mêmes confrères ne lui ont pas fait bon accueil, voire le maintiennent en lisière de leur corporation. L’expression de « black-out médiatique » revient plusieurs fois : cet anglicisme m’exaspère, bande de colonisés ! (On dit « obscuration » au Québec et en Belgique ; les terminologues officiels proposent « silence radio », « occultation », « embargo », « silence gardé » ; Nina Catach : « blacout » ; l’indispensable Alfred Gilder : « noir de guerre » ou « déséclairage »).
            Lionel Baland est un journaliste et blogueur belge, spécialiste des droites populistes européennes. Il a publié récemment Jörg Haider, le phénix. Histoire de la famille politique libérale et nationale en Autriche, Éditions des Cimes, 2012, livre dans lequel il réfute, en s’appuyant sur des sources allemandes et en ayant enquêté sur place, la thèse officielle qui veut que J. Haider serait mort d’un accident de voiture, – conclusion à laquelle était déjà parvenu le « célèbre journaliste allemand Gerhard Wisniewski » (voir informations complémentaires dans cet article). Cette thèse de l’accident « ne tient pas la route » (haha !), dit-il très sérieusement, avec un jeu de mots qui m’a tout l’air de relever du comique involontaire. L. Baland insiste sur la vision complètement déformée que les médias francophones ont donnée de Jörg Haider, et sur diverses avanies auxquelles il est en butte en Belgique.
            Francis Puyalte est un journaliste retraité, qui a fait sa carrière à Paris-Jour, L’Aurore et Le Figaro. Il est effaré par la partialité de ses confrères, qui perdent toute crédibilité à force de déformer systématiquement la réalité en fonction de la vision de la gauche, par exemple en s’obstinant à parler des « jeunes » à l’origine de tel ou tel incident, alors que tout le monde comprend bien que ces « jeunes »-là ne se définissent pas seulement par leur âge. Dernier exemple en date de filtrage de l’information : la presse française n’a rien dit du récent revirement du gouvernement néerlandais, qui vient de durcir considérablement sa politique d’immigration. Pour avoir longtemps travaillé au Figaro, F. Puyalte estime que les deux tiers des 300 journalistes qui en composent la rédaction sont de gauche. Il fait état d’un petit sondage interne, réalisé au Centre de Formation des Journalistes à l’occasion des élections présidentielles, qui a révélé que 100% des étudiants ont voté à gauche. (Un chiffre faux, qui ne fait pas honneur à la rigueur professionnelle de M. Puyalte ! Si, en bon journaliste, il avait comme moi cherché à recouper son information, il se serait aperçu que c’était moins simple : il y a eu 13% pour Bayrou et 13% de blancs : voir cette mise au point. Ce qui n’empêche pas, certes, que les journalistes français soient de gauche à une écrasante et très problématique majorité, comme le montre l’enquête de Valeurs actuelles. Mais il faut être précis et scrupuleux quand on dénonce quelque chose. Il serait aussi intéressant d’établir une comparaison avec les autres pays occidentaux). Francis Puyalte a publié L’Inquisition médiatique, Dualpha, 2011, avec une préface de Christian Millau : voir résumé ici.
            Enfin Philippe Carlin, journaliste qui est passé au Figaro où il a connu F. Puyalte, et a travaillé à la municipalité de Nice, ce qui lui a inspiré un pamphlet accusatoire contre le maire actuel : Enquête à Estrosi City. Autopsie d’un leurre, Le Spot, 2012. Il explique qu’il est d’ores et déjà mis en examen pour diffamation et injures envers corps constitué. Comme on a du mal à s’attaquer au contenu du livre (qui est, selon lui, en béton), on tente de le déstabiliser en s’attaquant à sa personne : aussi est-il accusé un peu partout des choses les plus ignobles : viol, pédophilie, escroquerie, fraudes diverses, etc.
           
             16h (prévu à 14h). « Vers un retour de la frontière : localisme/protectionnisme contre mondialisation », par Arnaud Naudin. C’est un discours assez bref, ou plutôt un article lu rapidement, assez abstrait. Je n’en ai rien retenu.
 
           16h05 (prévu à 14h20). « Démocratie réelle, locale et participative : le modèle helvétique », par Jean-David Cattin. Cet identitaire de Romandie revient sur la victoire obtenue lors de la votation qui approuva l’interdiction de construire de nouveaux minarets, en novembre 2009. Il fait l’éloge de la démocratie suisse (sans pour autant la dépeindre comme un régime parfait), ce qui me laisse assez sceptique, car je ne crois guère à cette vieille idée, qui remonte au moins à Napoléon III, selon laquelle le peuple serait foncièrement conservateur, si bien qu’il suffirait de lui laisser le plus souvent faire lui-même ses choix politiques pour contrecarrer la subversion gauchiste. Je pense plutôt que le peuple, par principe, ne pense pas, et qu’il incline donc dans le sens de ceux qui soufflent le plus fort. Je suis radicalement anti-démocrate, et mon modèle idéal serait plutôt une combinaison de monarchie et d’aristocratie.
            J.-D. Cattin fait également l’éloge du régionalisme, qui selon lui renforce le patriotisme plutôt qu’il ne le dessert. Là encore, je suis plus que réservé. La France est un pays foncièrement centralisateur, qu’on le veuille ou non, et ce « jacobinisme » ne date même pas de la Révolution, mais de Louis XIV, voire de François Ier, voire des premiers Capétiens. Le modèle helvétique est-il transposable à la France ? Chez nous, affirmer une identité régionale, c’est avant tout prendre ses distances à l’égard de Paris, et les régions qui ont l’identité la plus forte, comme l’Alsace et la Bretagne, sans oublier la Corse, sont justement, à la périphérie, celles dont la francité est la moins prégnante, et l’usage de la langue française le plus remis en cause. Leur lâcher la bride, ce serait céder aux pressions centrifuges et leur permettre de s’arracher à la France pour rejoindre qui la sphère celtique, qui la sphère germanique, qui la sphère italique (auxquelles s’ajouteraient vite la sphère basque pour l’Iparralde, la sphère catalane pour le Roussillon, la sphère flamande pour le Nord). J’observe donc les revendications régionalistes non pas avec une hostilité farouche, mais disons une grande circonspection, et cela me sépare des identitaires.
 
            16h25. Christian Vanneste. C’est peut-être là le clou de la Convention, car l’ancien député du Nord est assurément le plus notoire de tous les invités. Son invitation est le plus beau « coup » des identitaires pour cette convention, leur meilleur démultiplicateur de publicité. D’ailleurs les médias radiophoniques l’ont interrogé sur sa venue ici avant même son départ. Il n’était annoncé, dans le programme, que pour une participation à la table ronde du matin. Il est arrivé il y a quelques minutes, et le voilà presque aussitôt invité à s’exprimer à la tribune (au début de l’après-midi, j’ai aussi observé l’arrivée de Renaud Camus et Pierre Cassen, qui ont pris place au premier rang pour écouter attentivement les interventions. Ils ne s'exprimeront que demain).
            M. Vanneste m’inspire des sentiments mêlés. Parmi toutes les personnalités de l’UMP, c’était sans aucun doute celui dont je me sentais le moins éloigné. Maintes fois il a fait des déclarations qui ont heurté de plein fouet la bien-pensance droidlomiste, et que j’ai accueillies avec une grande jubilation. En particulier sur l’homosexualité, qu’il juge inférieure à l’hétérosexualité et nuisible à l’intérêt général. Il considère la loi Taubira sur la traite des noirs comme une loi anti-française, il a voulu faire reconnaître le rôle positif de la présence française outre-mer, il est pour la peine de mort, il est contre l’Hadopi, contre la redevance télévisuelle, contre le travail du dimanche, contre le délit d’opinion mis en place par la Halde, contre les remises en cause du mariage et de la famille. Il a voté contre la révision constitutionnelle de 2008, avant hélas de se raviser en seconde lecture et voter pour. On notera qu’il lui est arrivé la même chose qu’à Y.-M. Laulan : il a été condamné par un tribunal correctionnel (en 2006) et une cour d’appel (en 2007) pour « injures en raison de l’orientation sexuelle », avant que ce double jugement soit annulé par la Cour de cassation en 2008, qui a estimé que les propos incriminés « ne dépassaient pas les limites de la liberté d’expression » : toujours le même flottement dans ces absurdes délits d’opinion !
            Avec de telles positions, je ne comprenais pas qu’il restât à l’UMP. Ou bien il s’illusionnait sur ce parti de crypto-gauchistes qu’est l’UMP, et un tel aveuglement n’est pas à son honneur ; ou bien il savait très bien à quoi s’en tenir, mais il y restait pour garder et renouveler ses mandats électoraux, et un tel opportunisme est carrément méprisable. Bref, un mélange de courage et de lâcheté qui met mal à l’aise : des idées dignes du FN, mais une carrière de politicien au pire sens du mot. Puisqu’il ne voulait pas tirer les conséquences de ses opinions, ses petits camarades de l’UMP les ont tirées pour lui, en lui refusant l’investiture pour les législatives de juin 2012. Une exclusion aurait inéluctablement suivi, s’il ne l’avait devancée en claquant enfin la porte de l’UMP. Il s’est aussitôt inscrit au RPF, parti microscopique qui n’est pas le mouvement fondé par Pasqua et Villiers en 1999, contrairement à ce que tout le monde croit (celui-ci s’appelle R.P.F.I.E.). Il a du coup recouvré sa pleine liberté de mouvement, ce qui lui permet de venir ici aujourd’hui, geste assez hardi qui va encore braquer l’Établissement contre lui ; mais on ne peut guère mettre cette liberté à son crédit, puisqu’elle lui a en quelque sorte été imposée. Si Copé et les autres dirigeants avaient passé l’éponge sur ses dernières provocations et l’avaient investi comme d’habitude pour sa réélection dans la 10ème circonscription du Nord, il ne fait guère de doute qu’il aurait continué à servir les intérêts de ce parti de natio-traîtres.
            Christian Vanneste va s’exprimer une demi-heure, sans aucune note, d’une façon agréable et très fluide. C’est là l’avantage des hommes politiques : comme ils répètent tout le temps la même chose, leur discours est bien rôdé, et ils le dévident chaque fois avec une grande maîtrise. En l’écoutant, je me fais cette réflexion que les trois orateurs à cheveux blancs de la journée (Yves-Marie Laulan, Mario Borghezio et Christian Vanneste) ont largement enfoncé leurs "concurrents" plus jeunes, bien bredouillants ou bien empruntés en comparaison. Et le lendemain matin, Pierre Cassen et Renaud Camus n’ont pas démenti cette impression ! Est-ce seulement parce que la maîtrise oratoire s’acquiert avec l’âge, ou bien est-ce que les nouvelles générations ne sont pas à la hauteur des anciennes ? Rendez-vous dans vingt ans pour comparer…
            Le contenu du discours est également très bon, même si, comme pour Borghezio, j’ai plus perçu une suite de propos décousus qu’une thèse charpentée. C’est un discours de gaulliste, à la fois ferme et nuancé. Il explique que la France est un fleuve, et qui dit fleuve dit affluents. Image intéressante, puisqu’au bout de quelques kilomètres au plus, les eaux de l’affluent se sont fondues dans celles du fleuve et sont devenues indiscernables. Vanneste se définit lui-même comme un immigré : petit-fils d’un Flamand qui a fait 25 km pour franchir la frontière. Il explique qu’il n’a pas de problème avec l’islam, mais à condition que les musulmans soient patriotes et laïcs. Pas de problème non plus avec la notion d’identité, une identité qu’on peut enrichir mais qu’il faut aussi préserver. Il était ce matin à Paray-le-Monial, et un professeur d’histoire-géographie lui a rapporté ce propos ahurissant d’un inspecteur : « Jeanne d’Arc est au programme… mais évitez d’en parler ». Ce n’est pas en effaçant Jeanne d’Arc qu’on retrouvera la fierté d’être nous-mêmes. L’immigration n’est possible qu’avec une assimilation rigoureuse, qui par exemple exclut la double nationalité. Ainsi Rama Yade, rappelle-t-il, est non seulement restée sénégalaise, mais elle a dit un jour qu’en cas de guerre entre la France et le Sénégal, elle choisirait le Sénégal [2] : et Sarkozy en a fait une ministre de la France !!
            Il revient sur sa fameuse proposition de loi sur le bilan positif de la colonisation. L’amendement qu’il avait rédigé comportait deux piliers : d’une part une reconnaissance de l’action de la France là-bas, d’autre part une reconnaissance de l’apport des troupes coloniales à nos armées. Cet amendement, nous raconte-t-il, a été adopté trois fois, deux à l’Assemblée et une au Sénat. Une motion socialiste qui voulait l’annuler a été « écrasée ». Les choses étaient en bonne voie d’aller au bout, quand Chirac a mis son véto, puis le Conseil Constitutionnel. Un peu plus tard, quand le film Indigènes est sorti, on s’est mis à vouloir rendre hommage aux soldats coloniaux… et Chirac a été tout surpris d’apprendre que c’est lui qui avait refusé un texte qui lui donnait une forme officielle ! – On voit qu’une bonne partie de l’allocution de Vanneste peut s’entendre comme un procès lancé à Chirac et Sarkozy… mais bon sang, qu’a-t-il fait si longtemps à l’UMP !...
            En tout cas, le voilà maintenant décidé à n’avoir aucun ennemi à droite. Il est conscient qu’en tant que gaulliste, il n’est pas d’accord sur tout avec les identitaires. Pour autant, « on peut être réunis par nos ennemis communs : ceux qui sont contre l’identité nationale ». Il croit à la sagesse profonde du peuple et fait l’éloge de la votation suisse. Pour moi cette croyance relève de l’acte de foi : infimes sont les Français qui seraient vraiment prêts à tout faire pour sauver l’identité française, avec tous les sacrifices que ça implique. Aux dernières législatives, sous l’étiquette RPF, Vanneste, pourtant solidement implanté et double sortant de la circonscription, n’a fait qu’un minable 13,18 % qui l’a éliminé dès le premier tour. Une cuisante défaite qui devrait faire réfléchir à deux fois les notables tentés de larguer cette machine à trahir la France qu’est l’UMP…
           
            17h (prévue à 14h45). Table ronde : « Refaire un peuple ». Six jeunes militants viennent parler de leur action locale. Il y a là Pierre-Louis Mériguet de Tours, Loriane Vardon de Nice, Pierre Robesson de Lyon, Édouard Maillet de Dunkerque, Pierre Larti de Paris, et un sixième non annoncé sur le programme, qui parle d’un lieu ou d’un quartier appelé La Desouchière (je n’ai pas très bien compris de quoi il s'agissait, et encore moins où ça se trouvait).
            Tous insistent sur la nécessité de s’enraciner localement, de tisser des liens avec les voisins, de faire connaître le mouvement identitaire autour d’eux, de s’adapter au contexte, de mener des actions concrètes qui concernent les gens, etc. Il ne faut pas être obnubilé par la pure politique, mais mettre de la politique dans la vie quotidienne. Tout cela est très positif, et très banal. Je dresse le sourcil, néanmoins, quand pointe la revendication régionaliste, en particulier chez le Dunkerquois. Son mouvement s’appelle « Westhoek en alerte » : un toponyme qu’on aurait bien dû assimiler, depuis le temps. Lui et ses camarades du coin se sont mobilisés contre la tendance de certaines municipalités du Nord à traduire les noms de rue flamands en français : ainsi une « rue noire » (« Zwartestraat », sans doute) rebaptisée « rue d’Alger ». M. Maillet confond ici deux choses très différentes. Qu’une municipalité transforme les odonymes pour dissoudre l’identité française, c’est évidemment scandaleux, – car, dans notre France « Black-blanc-beur », on ne fera croire à personne qu’une « rue d’Alger » soit innocente comme le seraient une « rue de La Paz » ou une « rue d’Oulan-Bator », et ne sonne pas comme une invitation à mieux accueillir ces chers immigrés arabes qui nous apportent tant, afin de nous métisser irréversiblement avec le Magrèbe. Mais simplement traduire des noms flamands, donc franciser la nomenclature officielle du territoire français, relève d’une toute autre démarche, que j’approuve autant que je condamne la précédente. La langue française est chez elle partout en France, elle n’a pas à composer avec un idiome germanique ! J’entends là une tragique confirmation de mes craintes d’il y a une heure. Dans l’esprit de ces militants, l’affirmation régionaliste se fait bien contre l’affirmation nationale, puisque le flamand s’oppose directement au français. Que veulent-ils donc, ces identitaires flamands ? Qu’une fois que la Flandre sera indépendante, elle revendique la récupération de la Flandre flamingante (ou Westhoek français), c’est ça ? Et sur sa lancée, qu’elle se mette aussi en tête de vouloir reflandriser la Flandre gallicante, que Lille redevienne Rijsel peut-être ?!! C’est peu de dire que je suis diamétralement opposé à cette perspective, puisque je préconise pour ma part la (re)francisation de toute la rive gauche du Rhin (même s’il est vrai que c’est un programme sur le très long terme…). Ne nous cachons pas qu’il y a là un grave point d’achoppement pour un bonapartiste comme moi. Qu'on donne plus d’autonomie aux régions, admettons (mais il faudrait redessiner celles-ci). Qu'on encourage l’Auvergne, la Bourgogne, le Dauphiné, la Normandie, l’Aquitaine, la Picardie et quelques autres à retrouver leurs racines, fort bien. Mais si c’est pour voir la France amputée de ses régions périphériques, sans façon, merci ! Quand on voit que même en Savoie il y a des indépendantistes... Travaillons plutôt au rattachement de la Wallonie, de la Romandie, du Val d’Aoste et de l’archipel de la Manche.
 
            17h35 (prévu à 16h). Jacques Bompard, le député-maire d’Orange, était programmé pour venir faire un discours d’une demi-heure : « Défendre les gens d’ici », mais finalement il s’est abstenu. Une question d’un journaliste, tout à l’heure, montre que ce désistement est interprété comme une prise de distance. Cependant Bompard a envoyé son adjoint à la culture, le Dr Gilles Vivien, qui vient lire un court message de bienvenue aux Identitaires, approuvant globalement leurs idées et leurs combats. Aux dernières régionales, le nouveau parti de J. Bompard, la Ligue du Sud, s’était allié aux identitaires niçois. Le B.I. a beau jeu de dire que si Bompard était en froid avec eux, il n’aurait pas envoyé un proche pour y lire son message. Mais vu qu’il est la puissance invitante, il est tout de même étrange qu’il n’ait pas fait au moins une brève apparition d’un quart d’heure. Il y a peut-être des tensions dans leur alliance ? Je ne le sais pas et à vrai dire je m’en fiche.
 
            17h40 (prévu à 16h30). Discours de Philippe Vardon : « Municipales 2014 : des élus identitaires pour la Reconquête ! ». Ce discours assez creux n’a guère fait que délayer son titre. Les Identitaires aimeraient bien (pardon : « veulent ») avoir des élus aux prochaines élections municipales. Voilà. C’est un discours de combat adressé aux militants, et qui fut assez pénible à entendre, car M. Vardon ne peut pas parler dans un micro sans se sentir obligé d’y hurler.
 
            18h. La parole est donnée à Mme Josyane Solari, qui vient de la part de Paul-Marie Coûteaux, dont on sait qu’il a quitté le minuscule RIF pour fonder l’encore plus minuscule SIEL (Souveraineté, Indépendance et Libertés), un parti gaulliste et « fronto-compatible ». D’ailleurs Mme Solari a été candidate aux dernières législatives sous l’étiquette du Rassemblement Bleu Marine. Mais elle est timide et se contente d’une phrase assez piteuse, qui doit être à peu près : « Excusez-moi, je n’ai rien préparé, alors je vous dis juste que je suis contente d’être ici et que je vous souhaite à tous une bonne convention ». L’excellent Coûteaux vient tout juste de faire le chemin que j’ai fait il y a environ vingt-cinq ans : comprendre qu’être gaulliste aujourd’hui, c’est se sentir proche du Front National et voter pour lui plutôt que pour quiconque. Mieux vaut tard que jamais.
           
            C’est enfin la pause, avec une heure de retard. La troisième séquence s’intitule : « Nous sommes la génération identitaire ! ». D’après le programme, les trois interventions et la table ronde prévues vont surtout être l’occasion pour les militants de parler aux militants, de se congratuler entre militants, de faire le bilan de leurs actions militantes, d’envisager de nouveaux projets militants, non sans se mettre mutuellement en garde sur les risques de la vie militante. C’est fort bien, mais tout cela ne m’intéresse absolument pas et je préfère rejoindre les amis qui m’ont invité.
            J’avais prévu en revanche de participer au banquet du soir, et d’assister au concert de musique alternative qui doit le suivre. Mais des obligations personnelles m’en empêchent. Cette riche journée s’achève donc maintenant pour moi. Je reviendrai demain matin.
 
 

(À suivre)

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[1] Voir Gérard Genette, Seuils, Seuil, 1987, p. 147-148, pour l’hommage nominal comme troisième fonction possible de l’épigraphe. Pour Marx, il donne l’exemple de Sarah et le lieutenant français de John Fowles. 

[2] Affirmation un peu rapide. Dans un livre rassemblant plusieurs entretiens individuels (Comment je suis devenu français, par Jacqueline Rémy, Seuil, 2007), Rama Yade déclare qu'en devenant française à 21 ans, donc en 1997, elle a reçu une lettre de bienvenue du président Jacques Chirac, où l'on peut lire : « Vous allez adhérer aux préceptes républicains et à l'Histoire de France ». Ce qui l’a profondément troublée : « Soudain, avec cette lettre de Chirac, j'ai eu l'impression de trahir mes racines. À cette époque, je me disais souvent que, s'il y avait une guerre entre le Sénégal et la France, je choisirais mon pays d'origine. Aujourd’hui je ne sais pas ». Voir par exemple cette brève. Cependant, elle voudrait se faire enterrer dans son pays, le Sénégal, lorsqu’elle sera morte, comme elle le dit ici : « Pourquoi me ferais-je enterrer seule dans un cimetière des Hauts-de-Seine, alors que je peux être dans un endroit si reposant, au soleil, avec les miens ? C’est là que je dois revenir quand je serai morte ». Sur un site sénégalais disparu, on apprenait aussi  qu’elle est « de confession musulmane (elle est encore maintenant pratiquante et même volontiers prosélyte) ».