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29.01.2014

« QUAND JE ME CONSIDÈRE JE ME DÉSOLE, QUAND JE ME COMPARE JE ME CONSOLE » : PETITE ENQUÊTE BIBLIOGRAPHIQUE SUR UNE CITATION MAL ATTRIBUÉE

AVERTISSEMENT : J'ai récemment repris l'enquête de façon plus fine, et j'ai fait de nombreuses découvertes, qui vont m'obliger à refondre complètement cet article. Pour l'essentiel :
   - La première origine dans la bouche de Paul-Joseph Barthez est maintenue.
   - Néanmoins, l'idée se repère aussi, quoique de façon un peu plus floue, sous la plume de Mme du Deffand à peu près en même temps (lettre de 1776, publiée en 1810).
   - La formule qui sera reprise par Villiers : « Je vaux très peu quand je me considère, beaucoup quand je me compare » a été jetée pour la première fois par le cardinal Jean-Sifrein Maury (1746-1817), à son confrère de l'Académie Regnaud de Saint-Jean d'Angély, fin 1806 ou début 1807.
   - Sous cette forme, la sentence est assez répandue au XIXe siècle.
   - La forme alternative « Quand je me regarde je me désole, quand je me compare je me console » n'est pas attestée avant 1969.

 

            Cette belle sentence, à la fois lucide et rassérénante, est souvent citée selon des formes variées. Notamment : « Quand je m'examine, je m'inquiète, quand je me compare, je me rassure » ; « Je me déteste lorsque je m'évalue, je m'apprécie lorsque je me compare » ; « Je m'estime peu quand je m'examine ; beaucoup quand je me compare ». La dernière n’est pas mal, avec son antithèse peu/beaucoup ; mais c’est la première, celle que j’ai choisie en titre, qui me paraît nettement supérieure : c’est la mieux frappée, grâce à la rime désole/console et l’anaphore syllabique considère/compare qui créent un strict parallélisme des deux moitiés de l’antithèse. Mais qui en est l’auteur ? La multiplicité de formes va de pair avec une multiplicité d’attributions. Les auteurs les plus souvent mentionnés sont Talleyrand et Villiers de l’Isle-Adam, moins souvent Benjamin Disraëli et Rivarol.
            La dernière variante que j’ai donnée : « Je m'estime peu quand je m'examine ; beaucoup, quand je me compare », est la seule à pouvoir être très précisément sourcée. En effet, on la trouve chez Villiers de l’Isle-Adam, comme épigraphe à « Sentimentalisme », le quatorzième de ses vingt-huit Contes cruels (Pléiade, tome I, p. 642), dont la parution pré-originale, en journal, est de janvier 1876. Or Villiers attribue son épigraphe à « Monsieur Tout-le-monde ». Cela n’exclut pas qu’il considérât la phrase comme sienne, mais on peut commencer à douter. Une note (p. 1381) nous dit que P.-G. Castex a retrouvé la même phrase dans les papiers de Villiers, en tête d’un fragment autobiographique inédit. Même s’il appliquait l’idée à lui-même, cela ne prouve toujours pas qu’il considérât la phrase autrement que comme une citation empruntée à la sagesse des nations, à laquelle il aime justement recourir dans ses épigraphes pour s’en moquer. On pourrait néanmoins s’en tenir là et trancher en faveur de Villiers, puisque nous avons un texte sûr et signé.
            Mais la puissance de l’internet va nous permettre de mener une enquête très instructive.
            Bien interrogé, il nous aiguille rapidement sur un recueil d’anas du début du vingtième siècle, L’Esprit de Monsieur de Talleyrand. Anecdotes et bons mots, par Louis Thomas, chez Dorbon aîné, 1909. On y trouve ceci, page 83 : « Vous croyez donc valoir beaucoup ? disait un jour M. de Talleyrand à Barthez. — Très peu, quand je me considère, répondit Barthez ; beaucoup quand je me compare ». Le Barthez en question est Paul-Joseph Barthez (1734-1806), dont le nom est parfois orthographié Barthès, un des médecins les plus importants et les plus fameux du siècle des Lumières, qui contribua à remettre le vitalisme à la mode. Ainsi donc, d’après un recueil qui ramasse sans discernement et sans aucune enquête critique tous les bons mots attribués à Talleyrand, celui-ci ne serait pas du diable boiteux, mais de son médecin.
            Continuons à chercher. Nous découvrons vite que Louis Thomas n’a fait que recopier une anecdote déjà publiée dans la Revue de thérapeutique médico-chirurgicales, au n°10 du Journal des connaissances médico-chirurgicales, 15 mai 1858, où elle figure page 279, (quasiment) sous la même forme, à la fin du numéro, au milieu de deux pages d’autres anecdotes médicales.
            Mais les employés de Google ont déjà numérisé beaucoup de choses, y compris de nombreuses revues scientifiques complètement caduques, qui ne doivent plus être consultées qu’une fois tous les cinq ans par un thésard en histoire de la médecine. Dans la Gazette médicale de Paris, 2ème série, tome VIII, 18 juillet 1840, n°29, nous lisons page 454 un récit passionnant. Il se trouve vers la fin d’un long article intitulé « Philosophie médicale ; sur la nécessité d’étudier les cas rares pour le perfectionnement de la science de la nature humaine. – Première leçon du cours de physiologie », par M. Lordat, article une première fois publié dans le Journal de médecine pratique de Montpellier. J’en recopie ce passage-clef : paul-joseph barthez« Un jour qu’il [Barthez] était chez M. de Périgord, dans une société nombreuse de prélats et de seigneurs de la province qui tenaient les états, et dans laquelle se trouvait, par parenthèse, un jeune abbé devenu depuis si célèbre sous le nom de prince de Talleyrand, l’archevêque de Narbonne voulut le plaisanter doucement sur cette réputation juste ou calomnieuse [ses confrères, humiliés par lui, s’en vengeaient en « le représentant partout comme un être insupportable, bouffi d’un amour-propre immodéré, offensif et ridicule »].  Quoique le trait fût accompagné de toute la grâce possible, Barthez en sentit toute la portée, et il se hâta de l’arrêter avant que l’agacerie tournât en raillerie : "Ceux qui parlent de mon orgueil, dit-il, ne m’ont pas toujours vu. Quand je pense seul à la science en général, et surtout à celle que je cultive spécialement, je me sens confondu, humilié, et je me prosterne. Mais quand je suis à la Faculté ou dans d’autres lieux de réunion, je me compare… et alors je ne tarde guère à me consoler et à me redresser". Tous ces mots furent accompagnés d’un jeu très expressif ». (Signalons encore que le même article a aussi été reproduit dans l’Encyclographie des sciences médicales, 4ème série, Vol. II n°3, août 1840 : notre passage y est page 625). Ainsi donc, Barthez serait bien le premier à avoir lancé cette antithèse autovalorisante, et Talleyrand n’y aurait aucune part, même comme déclencheur.                  
          Avec ces quatre jalons, nous voilà en mesure de reconstituer le cheminement plausible de notre phrase. D’abord, dans les années 1770, une anecdote met en scène une célébrité d’époque (Barthez) qui énonce une idée intéressante, dans un discours un peu développé. L’anecdote se transmet encore plus de 60 ans plus tard, mais comme la célébrité commence à s’estomper dans les mémoires, on relève l’intérêt de l’anecdote en signalant, comme pur témoin muet de la scène, la présence d’une future gloire nationale (Talleyrand). Dix-huit ans plus tard (1858), basculement capital : la gloire nationale se voit promue au rang d’acteur de l’anecdote. Désormais, c’est lui qui donne la réplique à l’ancienne célébrité, et non plus cet archevêque de Narbonne qu’on ne connaît plus. Quant à la nombreuse assistance, elle a disparu. En même temps, le discours du protagoniste principal est resserré pour devenir une formule concise et frappante. C’est sans doute ce qui va assurer la popularité de la réplique, dont témoigne le fait que fin 1875, Villiers peut la recueillir sous une forme légèrement modifiée et l’attribuer à l’esprit public. Néanmoins l’intervention de la gloire nationale ne se laissera plus oublier, et par un glissement hélas trop naturel, c’est lui qui va devenir l’auteur de la formule. Le recueil d’anas de Louis Thomas y aura sans doute aidé, quand bien même il donne encore le véritable auteur. Mais ses lecteurs qui auront été frappés par la réplique auront ensuite oublié ce nom de Barthez qui ne leur disait rien, pour ne plus retenir que celui de Talleyrand.        
         On peut ainsi considérer que Paul-Joseph Barthez est le principal auteur de l'aphorisme, même s'il l'a exprimé (d'après la version Lordat de 1840) dans une forme trop personnelle et trop peu ramassée pour avoir du succès. Celui qui, le premier, en a tiré une phrase brève, antithétique et bien balancée, mériterait d'être salué comme le co-auteur.  Reste à savoir qui c'est

            En attendant, j’ai cherché à vérifier si la présence de Talleyrand dans la scène originaire pouvait être attestée. Cette scène nous est racontée par Jacques Lordat (1773-1870), médecin de Montpellier et doyen de la faculté de médecine entre 1818 et 1831. C’est dailleurs dans le journal médical de Montpellier que son article paraît la première fois. Barthez est né et mort à Montpellier, ville où il a passé la majeure partie de sa vie et où il fut chancelier de l’université. Les deux hommes sont plus que des compatriotes : ils étaient amis, et le second, héritier de tous les papiers médicaux du premier, s’institua son principal disciple. Aussi publia-t-il, après la mort de son maître, ses Consultations de médecine (chez Giguet et Michaud, Paris, 1810, deux tomes), qu’il assortit d’une préface, puis une Exposition de la doctrine médicale de P.-J. Barthez et mémoires sur la vie de ce médecin, Montpellier, J. Martel le jeune, 1818 (notre anecdote, curieusement, n’y figure pas, quoique Lordat parle de l’orgueil de Barthez).  Il est donc raisonnable de penser qu’il tenait de Barthez lui-même la scène qu’il retranscrit en 1840. Des témoins en avaient-ils fait état avant, le bon mot s’était-il déjà répandu par un autre canal ? Je n’en sais rien. Dans la version de Lordat, la scène a eu lieu pendant une réunion des États du Languedoc, donc forcément à Montpellier, car c’est dans cette ville qu’ils ont été fixés à partir de 1737, où ils se tenaient pendant six semaines tous les ans. Ils étaient présidés par l’archevêque de Narbonne, qui fut entre 1762 et 1790 Arthur Dillon, important prélat français apparenté à la comtesse de Boigne, laquelle en parle dans ses mémoires, – cet archevêque dont Lordat nous dit qu’il fut le déclencheur de la réplique qui nous occupe. Que la bonne société de la province se réunît alors chez « M. de Périgord » est naturel : il s’agit de Gabriel-Marie de Talleyrand, comte de Périgord (1726-1795), demi-oncle et parrain du diable boiteux (et dailleurs boiteux comme lui), qui eut, parmi d’autres fonctions, celle de commandant en chef du Languedoc à partir de 1771. Or, justement, dès son premier séjour à Montpellier pour les États de 1771, Barthez le guérit d’une hémoptysie, ce qui contribua fortement à la réputation du médecin auprès des seigneurs languedociens : il devait être un familier de la maison du comte de Périgord quand celui-ci descendait à Montpellier pour les États. Si l'hôte nous fournit un terminus ab quo en 1771, l'auteur de la formule nous permet de placer un terminus ad quem en 1781, car Barthez vécut à Paris à partir de cette année et jusqu'au déclenchement de la Révolution. Et Talleyrand, que faisait-il entre 1771 et 1781 ? Né en 1754, le futur diplomate fut élève au séminaire de Saint-Sulpice entre 1770 et 1774, d'où il ne devait guère s'échapper. Mais entre 1775 et 1778, il fut inscrit à la Sorbonne comme « hospes » (hôte) puis « socius » (associé), d’où il sortit licencié en théologie. Il confesse dans ses mémoires qu’il y fut « occupé de tout autre chose que de théologie ». A-t-il, pendant cette période ou juste après, accompagné son oncle et parrain pour un bref séjour à Montpellier ? La chose n’a rien d’impossible, quoique ses biographes (Waresquiel, Morlot, Lacour-Gayet, Orieux, Madelin, Castelot) soient muets à ce sujet. Et cela devient encore plus crédible quand on relève dans ses mémoires que, évoquant sa vie durant les années 1780, Talleyrand dresse une liste des invités récurrents de ses déjeuners de la rue de Bellechasse : Barthez y figure deux fois, au côté de célébrités telles que Mirabeau, Chamfort, Delille, Dupont de Nemours, Choiseul-Gouffier, Gontaut-Biron, Narbonne-Lara (Mémoires, chapitre II ; éd. Plon, 1982, p. 57-58). On peut donc imaginer que Talleyrand et Barthez ont fait connaissance à Montpellier chez le comte de Périgord vers 1775-1780, avant de se retrouver à Paris dans les années 1780. Il n'est ainsi pas tout-à-fait exclu que Talleyrand, tenant directement le mot de Barthez, l'ait répandu lui-même dans son entourage, d'où une transmission orale qui aurait émergé en 1858 sans dépendre du récit de Lordat. Cependant un effet rétroactif n’est pas impossible : Lordat a pu glisser le nom de Talleyrand (qui venait de mourir en 1838) dans la scène montpelliéraine pour la seule raison que son maître lui avait raconté avoir été lié avec ce dernier à une certaine époque. Lordat ne pouvait en tout cas pas connaître les mémoires de Talleyrand en  1840, car ils ne furent publiés qu’en 1891.
            Il resterait un dernier aspect à élucider. Sur l’internet, le nom de Villiers est fréquemment associé à la forme « Je m'estime peu quand je m'examine ; beaucoup quand je me compare » pour des raisons évidentes : le texte des Contes cruels impose à lui seul un grand nombre d’occurrences. Par contre, le nom de Talleyrand domine largement pour la variante « Quand je me considère je me désole, quand je me compare je me console », qui n’est pourtant pas celle transmise par Louis Thomas. Il doit donc y avoir un chaînon manquant que je n’ai pu repérer. C’est dommage, car l’auteur de cette nette amélioration serait à mes yeux le co-auteur de l’aphorisme.

                 Pour être complet, je signale qu’un blogueur humanitaire, du nom de « Plume solidaire », a publié le 28 septembre 2013 une interprétation à contre-courant de l’aphorisme, qu’il cite dans la dernière variante donnée ci-dessus, et dans lequel il voit non plus une proclamation d’orgueil relatif, mais une sorte de leçon d’humilité : « en regardant la misère dont souffrent nombre de personnes de mon entourage, j’en conclus aisément que mon sort est bien plus enviable. C’est une invite à regarder mes soucis, éventuellement avec un peu d’ironie dans le regard que je me porte, pour ce qu’ils sont : dérisoires en comparaison des leurs ». Cette compréhension singulière, soit dit en passant, nous amène au cœur d’une problématique que je compte explorer dans un vaste article en chantier, où j’examine près d'une centaine de citations déformées, mal attribuées ou mal comprises : qu’est-ce qui importe dans une citation, sa pureté originelle ou son avatar vulgaire ? Si dans une citation, ce qui compte essentiellement, c’est le rapport qu’elle entretient avec son auteur, Plume solidaire commet un contresens total : ma petite enquête prouve que l’aphorisme, tel que Barthez l’a produit le premier, est bel et bien une justification de l’orgueil des hommes supérieurs. Mais si on choisit d’écarter tout contexte historique, si on ne veut considérer qu’une phrase en elle-même sans se soucier de son auteur ni de son origine, après tout pourquoi pas ? Rien ne nous oblige à comparer nos petits mérites avec les mérites encore plus petits de nos voisins : nous pouvons tout aussi bien comparer nos gros ennuis avec les ennuis encore plus gros de nos voisins.
            Cependant Plume solidaire ne balaye pas a priori toute considération sur l’origine de cet aphorisme. Bien qu’il concède en note que « certains l’attribuent à Talleyrand », il est convaincu qu’elle provient… de l’épître aux Galates de saint Paul ! Avec un tel postulat, sa lecture à contre-courant devient tout de suite plus crédible. Mais l’attribution est-elle sérieuse ? La référence qu’il donne est « 2,16.19-21 ». Ciel, comme voilà justifiée ma manie des références exactes ! Qu’il est bon d’exhiber ses sources afin de donner au lecteur la possibilité de vérifier si on ne lui raconte pas n’importe quoi. Plume solidaire a eu ce geste louable, hélas pour lui. Car voici Galates 2,15-21. Je mets entre crochets les versets 15, 17 et 18, puisqu’ils sont censés ne pas être concernés ici. « [15. Nous, nous sommes Juifs de naissance, et non de ces pécheurs de païens.] 16. Néanmoins, sachant que ce n'est pas par la pratique de la Loi que l'homme est justifié, mais seulement par la foi en Jésus-Christ, nous aussi nous avons cru en Jésus-Christ, afin d'être justifiés par la foi dans le Christ et non par la pratique de la Loi, parce que personne ne sera justifié par la pratique de la Loi. [17. Mais, tandis que nous cherchons à être justifié par le Christ, si nous étions aussi nous-mêmes trouvés pécheurs, le Christ serait-il au service du péché ? Loin de là !18. Car, si je rebâtis les choses que j'ai détruites, je me convaincs moi-même de transgression.] 19. Car c'est par la Loi que je suis mort à la Loi, afin de vivre pour Dieu : je suis crucifié avec le Christ. 20. et si je vis, ce n'est plus moi qui vis, c'est le Christ qui vit en moi ; si je vis maintenant dans la chair, je vis dans la foi au Fils de Dieu, qui m'a aimé et qui s'est livré lui-même pour moi.21. Je ne rejette pas la grâce de Dieu : car si la justice s'obtient par la Loi, le Christ est donc mort en vain. »Il y a de quoi écarquiller les yeux, n’est-ce pas ? La dialectique de ce fou de la Croix est assez absconse, mais pour autant qu’on parvienne à la saisir, on ne voit vraiment pas le rapport entre ce passage paulinissime et l’aphorisme de Barthez. On se demande d’ailleurs comment une phrase aussi simple pourrait être tirée de quatre versets, qui plus est coupés par deux autres. Plume solidaire a dû avoir une hallucination en croyant que la réplique de Barthez venait de ce passage.
            J’ai toutefois une petite explication à proposer : on trouve sur le net une homélie de Marc Lambret, curé parisien, datée du 17 juin 2007, qui porte notre formule en titre : « Quand je me considère, je me désole, mais quand je me compare, je me console ». Elle s’appuie sur quatre passages de la Bible, dont Gal. 2,16.19-21. Marc Lambret ne songe pas un instant à repérer la formule chez Paul (à qui il ne consacre qu’une phrase), pas plus que dans l’un des trois autres textes bibliques. Il part d’une formule courante de la sagesse des nations, qu’il interprète comme tout le monde (« C’est la maxime des mauvais sujets. Ils savent bien, au fond, qu’ils ne sont pas bons ; mais ils trouvent toujours pire qu’eux, et ça les tranquillise »), et il explique que si nous avons raison de nous désoler en considérant nos péchés, nous avons tort de nous comparer aux autres car Jésus veut pardonner à chacun de nous. Je suppose donc que Plume solidaire a lu ce texte un peu rapidement, et qu’il a, par pure méprise, cru que la formule venait de Gal. 2,16.19-21. Ce que c’est que de prendre et redonner des références sans les vérifier soi-même !  — Par acquit de conscience, j’ai néanmoins relu l’épître aux Galates. J’y ai trouvé un autre passage qui peut avoir un très léger rapport avec notre aphorisme. C’est 6,3-4 : « Car si quelqu’un estime être quelque chose alors qu’il n’est rien, il se fait illusion. Que chacun examine sa propre conduite et alors il trouvera en soi seul et non dans les autres l’occasion de se glorifier ». Est-ce à cela que pensait Plume solidaire ? J’en doute très fort, car si on trouve bien dans ces versets l’idée d’un auto-examen et une certaine relation à autrui, c’est pour dire l’inverse de Barthez : l’amour du Christ ne nous invite pas à la concurrence avec les autres, tout au contraire ! Bref, plutôt que la source véritable de notre aphorisme, je verrais plutôt là une preuve qu’en cherchant bien, on finit par trouver n’importe où un rapport quelconque avec n’importe quoi. Quant à l’attribution à Paul de Tarse de l'aphorisme de Barthez, concluons derechef que c’est une hallucination chrétienne. Une de plus.