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16.05.2012

HOLLANDE : PREMIÈRE JOURNÉE, QUATRE PREMIÈRES FAUTES

              En cette journée du 15 mai 2012, la première de son mandat présidentiel, François Hollande a déjà commis pas moins de quatre fautes importantes.

            La première a consisté à prononcer à l’Élysée, dès la passation des pouvoirs, un court discours qui s’entendait surtout comme une critique du sarkozysme.  Après un bref bilan très sévère de l’état de la France, Hollande reprenait la thématique de la déjà célèbre tirade du débat, « Moi, Président de la République, je… », insistant sur le rassemblement et réconciliation, l’exemplarité, le refus de l’omniprésidence, la « scrupuleuse sobriété dans le comportement », l’impartialité dans les nominations : autant d’accusations en creux contre les pratiques présidentielles de Sarkozy. Cette coloration directement polémique du discours était confirmée par la péroraison : énumérant tous ses prédécesseurs de la Vème République pour rendre un hommage spécifique à chacun, il se contentait, s’agissant du dernier, de lui adresser ses meilleurs vœux pour sa nouvelle vie, ce qui résonnait comme une insolence sous le masque d’une fausse urbanité. N’ayant jamais adhéré au mythe funeste de la « France unie », et tenant la recherche permanente du « clivage »  pour l’une des rares bonnes choses du sarkozysme, je ne conteste pas à un Président de la République le droit d’avoir des opinions arrêtées, et je ne suis pas choqué quand il rappelle qu’il entend mener une politique conforme à une certaine idéologie. Mais tout ne peut pas être dit n’importe où et n’importe quand. Il y a des circonstances où on peut prononcer des discours « clivants », et d’autres où on doit prononcer des discours œcuméniques. L’investiture présidentielle est par excellence une circonstance de la seconde catégorie : cette petite cérémonie dans laquelle le nouveau Président est solennellement proclamé, et revêtu du collier de Grand-Maître de la Légion d’honneur (même s’il ne fait que le regarder depuis Giscard d’Estaing), est un succédané du sacre des rois. C’est le moment où la personne du Président se dissout dans la fonction. En profiter alors pour humilier son prédécesseur, et attaquer de front les convictions des 48,36% de suffrages exprimés qui ont voulu le réélire, est la dernière chose à faire. Il y a même un funeste aveuglement, dailleurs parfaitement typique de la gauche, à donner dans le sectarisme au nom même du rassemblement. Sans doute en verrons-nous bien d’autres exemples dans les cinq ans à venir.

            Un peu après dans la journée, le nouveau Président rendit hommage à Jules Ferry en prononçant un autre court discours au pied de sa statue du jardin des Tuileries. Un choix original, qui permet de mettre l’accent sur deux priorités du nouveau Président : l’éducation et la laïcité. De fait, le 6 mai, il avait annoncé que son action pour la jeunesse était l’un des deux critères sur lesquels il proposait d’être jugé au terme de son quinquennat (avec son action en faveur de la justice). Malheureusement, la France d’aujourd’hui est ce qu’elle est, et il n’est à peu près aucun personnage qu’on ne puisse pas, d’une manière ou d’une autre, relier aux heures-les-plus-sombres-de-notre-histoire. Pour beaucoup de droidlomistes hystériques, le nom de Jules Ferry suscite, en un réflexe pavlovien, l’accusation de racisme et de colonialisme. François Hollande avait là une excellente opportunité de marquer d’emblée son indépendance par rapport aux lobis communautaires qui pourrissent le débat public. Las ! il a choisi de leur céder dès le premier jour : « Je n'ignore rien de certains de ses égarements politiques. Sa défense de la colonisation fut une faute morale et politique. Elle doit, à ce titre, être condamnée ». Le signal est clair : tout ce qui, d’une manière ou d’une autre, rappelle une attitude non « équitable »  de nos ancêtres à l’égard des peuples étrangers doit faire l’objet de notre repentance. (Je reviendrai sur cette relance du chantage à la repentance coloniale dans un prochain article). Certes, l’heureux choix de Jules Ferry tranche sur les icônes habituels de la gogôche : Jaurès (néanmoins cité dans le discours), Victor Schœlcher, Gandhi, Aimé Césaire, Nelson Mandela, Martin Luther King et autres héros de la fraternité inter-raciale. Mais le nouveau Président a aussi rendu hommage, une heure plus tard, à Marie Curie. Comme il n’a pas prononcé de nouveau discours à cette occasion, le doute reste permis, et on peut penser qu’il a voulu honorer la chercheuse, ce qui fait paire avec Jules Ferry, l’un ayant cherché à donner un savoir élémentaire à tous les petits Français, l’autre ayant élevé le savoir au plus haut niveau d’excellence : la pyramide du système éducatif, en quelque sorte. Mais il est impossible de ne pas voir en Marie Curie aussi une femme et une immigrée : si F. Hollande avait osé rendre hommage à Lavoisier, Laplace, Claude Bernard, Pasteur ou Henri Poincaré, il eût fallu s’incliner bien bas devant cette reconnaissance désintéressée de la pure recherche scientifique. Mais avec Marie Curie, on ne peut guère s’empêcher d’entendre un message politique, c’est-à-dire la promotion de ces minorités sanctifiées par les droidlomistes, à qui nous devons rendre grâce de venir contrebalancer l’odieuse tyrannie du mâle blanc français de souche. Et c’est bien l’explication fournie par Vincent Peillon dimanche sur Radio J : il faut y voir l'affirmation « du respect d'une femme », d'une personne « d'origine étrangère accueillie en France et qui aujourd'hui fait partie de la fierté commune française », du « progrès scientifique » et du « rayonnement de la France ». Bref, une gratitude exprimée à « l'intelligence qui vient de l'étranger ».

            La troisième erreur de la journée, selon moi, réside dans le choix de Jean-Marc Ayrault comme Premier Ministre. D’une part, il n’a aucune expérience ministérielle, à l’instar de F. Hollande. Si ce n’était le cas que de l’un des deux, ce ne serait pas trop grave. Mais que ce soit le cas des deux têtes de l’exécutif à la fois, c’est un peu gênant, tout de même. D’autre part, M. Ayrault a fait l’objet d’une condamnation, en décembre 1997, à une peine de six mois d’emprisonnement avec sursis et 4 600 € d’amende pour délit de favoritisme dans l’attribution d’un marché public par la municipalité de Nantes. Or F. Hollande avait annoncé il y a un mois qu’il ne nommerait pas des personnes jugées et condamnées ! Il y a donc, dès le premier jour, une entorse flagrante aux propres règles qu’il a posées. Je note par ailleurs que Jean-Marc Ayrault est plus vieux (de quatre ans et demi) que François Hollande. Ce cas de figure est quasiment unique sous la Vème République : seul Raymond Barre a été un Premier Ministre plus âgé que son Président, en l’occurrence V. Giscard d’Estaing (d’un peu moins de deux ans), mais il était totalement inconnu du grand-public avant sa propulsion à Matignon (comme Pompidou). On verra si leur relation en est affectée. On a beaucoup répété qu’une des raisons du choix en faveur de cet ancien prof d’allemand était sa connaissance de l’Allemagne. J’espère que c’est une plaisanterie ou une bêtise des journalistes, qui s’imaginent que le Premier ministre n’est qu’un simple conseiller  du Président (il est vrai que le prédécesseur d’Hollande le considérait comme un « collaborateur ») et que notre soumission à l’Allemagne est déjà telle que le chef du gouvernement, nouveau Laval, a pour mission principale d’obtenir les bonnes grâces du Reich. Certes, à part Ayrault, Hollande n’avait qu’un éventail restreint à sa disposition. Manuel Valls eût été un choix intéressant et audacieux, peut-être trop audacieux. À la place du Président, j’aurais sans doute nommé son vieil ami Michel Sapin, déjà ministre délégué à la Justice dans le gouvernement Cresson, ministre des Finances sous Bérégovoy et de la Fonction publique sous Jospin.

            Enfin, la quatrième erreur a été de se rendre si vite chez la chancelière allemande Angela Merkel. Certes, la gravité de la situation économique et l’importance des décisions à prendre bientôt imposait une rencontre assez rapide pour prendre contact et entamer un nouveau « dialogue franco-allemand ». Mais cette façon de se précipiter à Berlin avant même de s’être installé dans son bureau de l’Élysée donne une impression calamiteuse : non pas Canossa comme on l'a dit par hyperbole polémique, mais plutôt l'image d’un adolescent qui, le jour de sa majorité, court demander la bénédiction parentale pour se voir confirmer l’autonomie que la société lui reconnaît officiellement. Ou d’un étudiant qui, devenant à son tour professeur, va consulter son vieux maître pour savoir comment mener son premier cours. Il paraît que, pendant de longues années après l’indépendance des pays africains, tout nouveau chef d’État avait pour premier geste de venir rendre une visite à Jacques Foccart, dans sa villa de Luzarches, pour s’y faire adouber. On songe aussi au film Le Président, avec sa forte scène d’une visite nocturne que le Président du Conseil désigné, Philippe Chalamont (Bernard Blier) doit faire au vieil Émile Beaufort (Jean Gabin), pour convaincre celui-ci de ne pas mettre de véto à sa nomination… La diplomatie est aussi (et peut-être dabord) une affaire de signes, et celui que François Hollande vient d’envoyer est pour le moins maladroit. Il jure totalement avec sa volonté affirmée de contrecarrer l’hégémonie allemande en Europe et de renégocier le pacte de stabilité si obstinément voulu par Mme Merkel. Celle-ci, contre les usages établis, l’avait snobé pendant la campagne. Il fallait donc lui rendre la monnaie de sa pièce, en la battant froid pendant quelques jours avant de l’inviter à Paris. Au contraire, aller dîner chez elle, quand on n’a pas encore une seule fois dîné à l’Élysée en tant que maître des lieux, c’est donner l’image d’un rapport de subordination, qui est de bien mauvais augure pour la suite du quinquennat.