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25.07.2012

MATTHIEU KASSOVITZ : INFORMER SUR HITLER, C’EST LUI DÉGUEULER DESSUS

            Dans un article publié en avril 2012 sur un livre de Jean-Denis Bredin, L’Infamie, j’énonçais ce principe essentiel du droidlomisme : ce n’est pas manquer à l’objectivité que de blâmer le fachisme. Je viens de tomber inopinément sur une magnifique illustration de cette règle éthique et épistémologique. La chaîne France 2 a coproduit il y a deux ans un documentaire en deux parties, réalisé par Isabelle Clarke et Daniel Costelle : Apocalypse Hitler. C’est Mathieu Kassovitz qui en a assuré la narration, en voix hors-champ. Pour accompagner la première diffusion, le journal 20 minutes a demandé à celui-ci une brève interviou, publiée le 25 octobre 2011. Les deux réponses centrales de ce bref commentaire de M. Kassovitz sur le téléfilm sont extraordinairement édifiantes. 

Justement votre manière de narrer est particulière et très empathique mathieu kassovitz

Daniel Costelle, le co-réalisateur, a une aversion pour tout ce qui vient du nazisme. Il me disait donc de « dégueuler » certains mots. J’ai retenu un peu en arrière, je me demandais pourquoi utiliser tel adjectif ou prononcer les mots de manière dégueulasse. Moi j’aurais préféré mettre moins l’accent sur nos opinions. Mais Daniel avait besoin d’appuyer sur ce point. 

Vous comprenez pourquoi ?

Bien sûr. Normalement, c’est vrai qu’un texte de documentaire ne dit pas « ils ont tort » ou « ils ont raison ». Mais bon, sur Adolf Hitler, dire « c’est un salopard », cela ne pose pas problème. Surtout, qu’il convient de guider un peu les jeunes téléspectateurs que nous visons. Si un enfant voit ces images de défilés, des drapeaux, tout ce graphisme hitlérien, cela peut l’attirer, cela a été conçu pour. Donc le commentaire aide à mettre une distance. 

            C’est avouer ingénument que ce documentaire, financé en partie par le contribuable français, ne se veut pas informatif ni objectif, mais résolument partial et propagandaire. L’exception Hitler est résolument assumée. La norme d’un documentaire, Kassovitz le reconnaît, c’est de chercher à expliquer, donc de s’abstenir de tout jugement moral. Mais avec le nazisme, la norme n’a plus cours. On peut en toute bonne conscience l’accabler de son mépris et de sa haine, on peut sans scrupule l’injurier grossièrement. Non seulement ce n’est pas une faute morale et scientifique, mais c’est une démarche salubre, hautement pédagogique, bref une attitude citoyenne. Pour n’importe quel sujet historique, on attend de l’historien qui se propose de l’expliquer qu’il fasse preuve d’un minimum d’empathie (c’est-à-dire d’identification [1]). Mais cette règle ne s’applique pas avec le fachisme, où personne ne trouve à redire que celui qui se propose de l’expliquer aux jeunes générations le considère avec « aversion » (en tant qu’elle implique une répugnance physique, donc un recul, l’aversion s’oppose encore plus à l’empathie qu’à la sympathie). C’est même le contraire qui serait suspect. Tout ce qui a rapport avec le fachisme est nauséabond : il ne faut donc pas le traiter sur un autre mode que celui du dégueulis. Dire qu’Hitler est un salopard n’est pas un jugement, mais un constat. Qu’importe d’ailleurs ce qu’on entend exactement par « salopard » : l’essentiel est de manifester son horreur des heures les plus sombres de notre histoire et de protéger la lumière contre les ténèbres toujours menaçantes [2]. Car le Bien et le Mal sont des essences absolues, et le droidlomisme est une Vérité universelle. Catéchisons les petits enfants, au nom de la liberté. Formatons les esprits, au nom de la diversité.

 

Complément — Un ami m'écrit ceci, qui correspond tellement bien à ma pensée que j'aurais pu l'écrire moi-même et que je le rajoute à cet article : Personnellement, j'avais trouvé la narration insupportable. Cette façon de qualifier tout ce qui touchait aux nazis de « sinistre », de « barbare », d'« inhumain », d'« atroce » ou que sais-je, était ridicule au plus haut point et sentait d'ailleurs la méthode Coué pour quelqu'un redoutant de ressentir de l'empathie pour son sujet : on aurait mis des images d'Hitler mangeant une assiette de pâtes que Kassovitz nous aurait dit qu'il prenait un « funeste repas pour nourrir ses entrailles emplies de haine et d'énergie destructrice »... À un moment, il faut savoir dire : « Hitler mangeait souvent des pâtes ».



[1] L’ « empathie », mot à la mode, tend à se confondre avec la « sympathie », ce qui est un grave appauvrissement. L’interviouteur de 20 minutes l’emploie dailleurs de façon curieuse : on attendrait plutôt « antipathique » ! Je présume qu’il veut dire niaisement que le narrateur cherche l’empathie non pas avec le sujet, mais avec le téléspectateur, en se faisant le porte-parole de son dégoût instinctif devant ce qu’il voit. Kassovitz est un peu moins borné, en indiquant dans sa réponse suivante que ces images peuvent au contraire séduire des esprits fragiles.

[2] Malheureusement, comme dans toute époque subissant une religion d’État, aucun inquisiteur n’est assuré de ne jamais se retrouver lui-même un jour sur le bûcher des hérétiques. Et Mathieu Kassovitz le sait mieux que personne ! Suite à ses déclarations de 2009 donnant crédit à la thèse complotiste sur le 11-septembre, il s’est lui-même vu comparé à Joseph Goebbels par un blogueur (dont il a obtenu la condamnation), qualifié de « révisionniste » par un journaliste de France Info et comparé à Robert Faurisson par un journaliste de L’Express (qui tous deux ont été relaxés). Eh oui, il ne suffit pas de dégueuler sur Hitler pour ne pas être soi-même suspect d’accointances infâmes avec le nazisme ! Ne jamais déraper exige une attention de tous les instants. Le diable s’insinue partout, mais – grâce à Dieu, ou à la vigilance citoyenne permanente à laquelle le Système nous contraint – un pur trouve toujours un plus pur qui l’épure.