HALTE AUX CITATIONS MAL ATTRIBUÉES ! : synthèse de mes recherches
06.08.2014
Depuis toujours, des citations faussement attribuées circulent en toute impunité. Le scrupule philologique et le souci de vérifier ses sources étant des vertus rarissimes, les erreurs se reproduisent et s’étendent à chaque génération. Depuis une vingtaine d’années, le phénomène a pris une ampleur inouïe du fait de l’avènement de l’internet, qui est une calamité pour la rigueur intellectuelle : n’importe qui recopie n’importe quelle citation n’importe comment, en l’attribuant à n’importe qui, et la diffuse aux quatre vents. La mauvaise monnaie chassant la bonne, la Toile se retrouve infestée de citations fantaisistes. Mais comme la langue d’Ésope, l’internet est la pire et aussi la meilleure des choses : un outil d’une puissance fabuleuse, permettant de faire avec une rapidité incroyable des recherches d’une ampleur incommensurable. Quand on sait se servir de Google et qu’on est familier de l’univers de la bibliographie, il devient d’une grande facilité de mener des enquêtes très précises pour retrouver la forme exacte et l’origine première d’une phrase connue et transformée au fil de ses reprises par les esprits désinvoltes.
J’ai en chantier (parmi bien d’autres choses) un vaste inventaire de citations incorrectes, divisé en six parties : 1) citations mal attribuées ; 2) citations orales donc douteuses ; 3) citations possiblement voire probablement apocryphes ; 4) citations assurément inventées ; 5) citations déformées ; 6) citations mésinterprétées. À cette heure, ce sont environ 350 citations qui y figurent. Pour environ les deux tiers d’entre elles, mon enquête a abouti à un résultat tout-à-fait sûr. Je le publierai d’un coup quand j’estimerai avoir poussé mes recherches aussi loin que je pouvais pour chaque citation, ou peut-être en six fois, chacune des parties tour à tour. Quand l’enquête est particulièrement fouillée et intéressante, je la publie à part. Mais pour ne pas retarder cette contribution à l’hygiène des lettres, je donne tout-de-suite le squelette de la première partie. Voici donc cent-soixante-huit citations plus ou moins fameuses, avec le ou les noms au(x)quel(s) elles sont le plus souvent associées à tort, parfois depuis très longtemps et sans que personne avant moi s'en soit aperçu, et celui (ou ceux) à qui la vérité et la justice imposent de les redonner. Je prie le lecteur de croire que ces réattributions ne sont pas des hypothèses douteuses ou des propositions aléatoires. Chacune des citations du tableau a fait l’objet d’une enquête très minutieuse, que je publierai quand je l’aurai mise en forme. Je suis tout-à-fait certain des noms que je place dans la colonne de droite, pour la raison définitive que j’ai sous le coude une référence très précise et scrupuleusement vérifiée, que je peux fournir en cas de besoin. Et je défie quiconque de me prouver, source référencée à l’appui, qu’un nom de la colonne centrale soit l’auteur de la citation concernée, ou son auteur premier : J’ai mis en italiques les auteurs chez qui la phrase est bien attestée, mais qui ont dû faire une citation inconsciente ou masquée d’un autre qui les avait devancés, à moins qu’il ne s’agisse d’une citation tout-à-fait avouée dont on n’a pas tenu compte. (Le cas inverse existe aussi, plus rarement bien sûr : des auteurs qui, par étourderie ou malice, présentent comme des citations des phrases qui sont en réalité d'eux-mêmes).
On relèvera dans ce tableau de nombreuses applications de ce que Robert Merton a appelé l’effet Matthieu : les auteurs supposés sont souvent des auteurs célèbres, à qui on attribue des phrases dues en réalité à des auteurs peu connus, – de même que, dans l’espace intersidéral, les astres de grande taille captent des objets célestes qui gravitaient autour d’astres moins attractifs.
Ce tableau de citations mal attribuées est maintenant complété par un tableau de citations couramment déformées.
Citation répandue (donnée ici sous une forme courante |
Auteur(s) supposé(s) |
Auteur véridique (ou premier) |
La tolérance et l'apathie sont les dernières vertus d'une société mourante. |
Aristote, D. James Kennedy (1930-2007), pasteur évangéliste états-unien |
Jacques Crétineau-Joly (1803-1875) en 1845, à propos des souverains |
Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. |
Michel Audiard, Antoine Blondin |
Jean Paulhan en 1917 (sous une forme un peu différente: la forme connue est de Blondin) |
Je le crois parce que c’est absurde. |
Saint Augustin |
Tertullien (sous une forme légèrement différente) |
En amour, il y en a toujours un qui souffre et un qui s’ennuie. |
Balzac, Serge Gainsbourg, Oscar Wilde |
Maurice Donnay (1859-1945) en 1898, sous une forme légèrement différente |
Un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue, mais qui va jusqu'au bout de lui-même. |
Balzac |
Simenon (attribuant par erreur ce propos à Balzac) |
L'expérience s'achète par le malheur. |
Balzac |
Virginie Ancelot (1792-1875) en 1836 |
Il y aura toujours de la solitude pour ceux qui en sont dignes. |
Barbey d’Aurevilly |
Villiers de l’Isle-Adam en 1886 |
L'égalité devant la loi ne prouve qu'une chose, c'est qu'il n'y en a pas d'autres. |
Barbey d’Aurevilly |
Jules Lefèvre-Deumier (1797-1857) |
Lorsqu'il y a dix pas à faire vers quelqu'un, neuf n'est que la moitié du chemin. |
Barbey d’Aurevilly |
proverbe chinois cité par Mme de Staël |
Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des sages. |
Barbey d’Aurevilly |
Le chevalier de Boufflers (1738-1815) |
Nul homme réfléchi ne peut espérer. |
Maurice Barrès |
Hippolyte Taine en 1859 |
On peut fonder des empires glorieux sur le crime, et de nobles religions sur l'imposture. |
Joseph Ferrari (1811-1876), sous une forme légèrement différente |
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On dirait que la douleur donne à certaines âmes une espèce de conscience. C'est comme aux huîtres le citron. |
||
Nous savons que nous allons mourir, mais nous ne le croyons pas. |
Bossuet, Paul Bourget, Camille Flammarion |
Bourdaloue (sous une forme légèrement différente) |
Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur du monde. |
Albert Camus (présentant un livre de Brice Parain) |
Platon (par la bouche de Socrate), sous une forme différente. |
L’Afrique commence aux Pyrénées. |
Albert Camus, Alexandre Dumas, Théophile Gautier |
Abbé de Pradt (1759-1837) en 1816 |
C'est le travail des penseurs de ne pas être du côté des bourreaux. |
Albert Camus |
Howard Zinn (faisant référence à la pensée de Camus) |
Il faut rêver très haut, pour ne pas réaliser trop bas. |
Alfred Capus |
Maurice Donnay (1859-1945) en 1918 |
Rien n'est admissible ; sauf la vie, à condition de la réinventer chaque jour. |
Carl Hess-Rüetschi (1859-1912), sous une forme un peu différente. |
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Le bonheur n’est pas chose aisée. Il est très difficile de le trouver en nous, et impossible de le trouver ailleurs. |
La Rochefoucauld (sous une forme un peu différente) |
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L’homme arrive novice à chaque âge de la vie. |
La Rochefoucauld (sous une forme légèrement différente) |
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L'amour décroît quand il cesse de croître. |
Chateaubriand |
Rétif de la Bretonne en 1774 (sous une forme légèrement différente) |
L’amour charnel ? Le plaisir est momentané, la position ridicule, le coût exorbitant. |
Lord Chesterfield |
Evelyn Waugh en 1954 |
Quand on n’est pas de gauche à vingt ans, c’est qu’on n’a pas de cœur, quand on l’est encore à trente c’est qu’on n’a pas de tête. |
Churchill, Clemenceau, Guizot, Disraëli |
Première attestation due à Anselme Batbie (1828-1887), qui curieusement l’attribue à Edmund Burke, chez qui on ne trouve rien de semblable. |
Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la répéter. (ou : Un peuple qui oublie son passé se condamne à le revivre.) |
Churchill, Karl Marx, Edmund Burke, Aldous Huxley, Primo Levi, Confucius | George Santayana en 1905 (sous une forme légèrement différente) |
Il n'y a que deux espèces de plans de campagne, les bons et les mauvais ; les bons échouent presque toujours par des circonstances imprévues qui font souvent réussir les mauvais. |
Churchill |
Napoléon de façon moins paradoxale ; formule améliorée par Balzac |
Une nation peut survivre à ses fous, et même à ses ambitieux. Mais elle ne peut pas survivre à la trahison de l’intérieur. Un ennemi aux portes est moins redoutable, car il est connu et il porte sa bannière ouvertement. Mais le traître se déplace librement parmi ceux qui sont à l’intérieur des murailles, ses murmures pervers bruissent à travers les ruelles, et on les entend dans les allées même du pouvoir. Un traître ne ressemble pas à un traître ; il parle avec une voix familière à ses victimes, et il porte leur visage et leurs arguments ; il en appelle à la bassesse qui se trouve ancrée dans le cœur des hommes. Il pourrit l’âme d’une nation, travaillant en secret, inconnu dans la nuit, sapant les piliers de la ville. Il contamine le corps politique qui ne peut plus résister. Un assassin est moins à craindre. Le traître c’est la peste. |
Cicéron | Millard F. Caldwell (1897-1984), imaginant en 1965 le discours tenu par Cicéron juste avant son exil. |
L’arbre est deux fois plus utile que les fruits. |
Cicéron |
Virgile (avec un sens différent) |
L’anglais n’est que du français mal prononcé. |
Clemenceau, Alfred Assollant |
Alexandre Dumas en 1845 |
L’homme absurde est celui qui ne change jamais. |
Clemenceau, Boileau |
Auguste Barthélemy (1796-1867) en 1832 |
Il n’y a pas d’amour, il n’y a que des preuves d’amour. |
Jean Cocteau |
Pierre Reverdy |
On ne chante bien que dans les branches de son arbre généalogique. |
Jean Cocteau, Max Jacob, René Char, Guillaume Apollinaire |
Francis Poulenc [SOURCE À VÉRIFIER] |
La beauté est une promesse de ruine, la passion une promesse de satiété et d'oubli et le train du monde est une énorme farce coupée de répits illusoires, de visions chimériques, d'espoirs infondés. |
Albert Cohen | Georges Anex (dans un article sur Belle du Seigneur) |
Je me suis souvent repenti d'avoir parlé, jamais de m'être tu. |
Philippe de Commynes, Xénocrate (396-315 av. J.C.), saint Arsène de Scété (350-445) |
Simonide de Céos (556-467 avant J.C.)
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Longtemps encore l'humanité aura besoin qu'on lui fasse du bien malgré elle. Gouverner pour le progrès, c'est gouverner de droit divin. |
Ernest Renan en 1848 |
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On doit la vérité aux gens intelligents, mais on doit le mensonge aux imbéciles. |
Maurice Donnay (1859-1945) en 1927 |
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Le Christ a pardonné à la femme adultère. – Parbleu ! Ce n'était pas la sienne. | Courteline | Miguel Zamacoïs (1866-1955) en 1905 |
On ne détruit bien que ce qu’on remplace. (Enquête fouillée à paraître) |
Danton, Napoléon III, Auguste Comte |
Napoléon (attribution non prouvée mais probable) |
Le martyre, c'est le seul moyen de devenir célèbre quand on n'a pas de talent. |
George-Bernard Shaw en 1901 |
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Il ne suffit pas d’être heureux, encore faut-il que les autres soient malheureux. |
Jules Renard en 1894 (sous une forme légèrement différente) |
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Quand un philosophe me répond, je ne comprends plus ma question. |
Pierre Desproges |
André Gide (sous une forme légèrement différente) en 1895 |
Chassez le naturel, il revient au galop. |
Destouches (1680-1754) |
Horace (parlant de la nature) |
Responsable mais pas coupable. |
Georgina Dufoix |
Rachilde (1860-1953) en 1930, à propos de Willy. |
L’humour est la politesse du désespoir. |
Georges Duhamel, Boris Vian, Oscar Wilde, Pierre Desproges |
Chris Marker (1921-2012) en 1950 |
La culture est ce qui fait d'une journée de travail une journée de vie. |
Georges Duhamel (1884-1966) |
Jacques Duhamel (1924-1977) en 1971, ministre de la Culture, sous une forme légèrement différente |
Il y a des services si grands qu'on ne peut les payer que par l'ingratitude. |
Alexandre Dumas, Mme de Sévigné |
Chateaubriand en 1811 |
On tombe toujours du côté où l'on penche. |
Guizot en 1837 |
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Rien ne réussit comme le succès. |
Alexandre Dumas, Mme de Staël, Alexandre Dumas fils |
Jules Janin en 1835 |
Quand tu souffriras beaucoup, regarde ta douleur en face : elle te consolera elle-même et t'apprendra quelque chose. |
Alexandre Dumas fils |
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L’Écriture affirme que la femme est la dernière chose que Dieu ait faite ; il a dû la faire le samedi soir ; on sent la fatigue. |
Alexandre Dumas fils |
Un ami d’Alexandre Dumas fils, non nommé par celui-ci. |
Deux choses sont infinies : l’univers et la bêtise humaine. Mais pour l’univers, je n’en suis pas tout à fait sûr. |
Einstein, Ernest Renan |
Flaubert en 1880, sous une forme un peu différente (et sans la seconde phrase). |
On ne guérit jamais de son enfance. |
Léon-Paul Fargue, Jean Ferrat, Robert Mallet |
Lucie Delarue-Mardrus en 1902 (sous une forme légèrement différente) |
Ne prenez pas la vie au sérieux ; de toute façon, vous n'en sortirez pas vivant. |
Fontenelle |
Elbert Hubbard (1856-1915) en 1911 |
Assurons-nous bien du fait, avant de nous inquiéter de la cause. […] Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. |
Fontenelle |
Montaigne (qui exprime l’idée différemment, mais c’est bien la même) |
De toutes les aberrations sexuelles, la pire est la chasteté. |
Anatole France, George-Bernard Shaw |
Remy de Gourmont en 1903 (sous une forme légèrement différente) |
L'enfant à qui sa mère n'a point souri n'est digne ni de la table des dieux ni du lit des déesses. |
Anatole France |
Virgile |
Le bien ne fait pas de bruit, le bruit ne fait pas de bien. |
Saint François de Sales, saint Vincent de Paul. |
Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803). Mais sous réserve : la pensée est imprimée en italiques. |
Dieu est du côté des gros bataillons. |
Frédéric II de Prusse, Voltaire, Napoléon |
Bussy-Rabutin en 1677 |
La laideur a ceci de supérieur à la beauté qu’elle dure. |
Serge Gainsbourg, Jean-Edern Hallier, Lichtenberg, Daniel Mussy |
Léon Bloy en 1897 (sous une forme un peu différente) |
L'autorité d'un seul homme compétent, qui donne de bonnes raisons et des preuves certaines, vaut mieux que le consentement unanime de ceux qui n'y comprennent rien. |
Galilée |
Thomas-Henri Martin (1813-1884) en 1875, expliquant la pensée de Galilée |
Le patriotisme, c'est aimer son pays. Le nationalisme, c'est détester celui des autres. |
Charles de Gaulle |
Romain Gary en 1956 et 1965 (sous une forme légèrement différente) |
Je mettrai l’orthographe même sous la main du bourreau. |
Baudelaire (attribution improuvable mais très probable) |
|
Il n'y a qu'une date pour les femmes, et à laquelle elles devraient mourir, c'est quand elles ne sont plus aimées. |
Delphine de Girardin, Sophie Gay |
Mme de Suchtelen |
Il me semble que la bureaucratie ait, en France, pour unique fonction de ne rien faire et de tout empêcher. Si tel est en effet son rôle, il faut convenir qu'elle le remplit d'une façon irréprochable. |
Delphine de Girardin |
Émile de Girardin |
L'art de gouverner, c'est l'art de choisir ses hommes. |
Émile de Girardin |
Wilhelm Butte (1772-1833) en 1812, sous une forme un peu différente |
Montrez-moi un homme heureux, moi, je vous montrerai la suffisance, l’égoïsme, la malignité, à moins que ce ne soit la totale ignorance. |
Graham Greene en 1948 |
|
Le mariage est un échange de mauvaises humeurs le jour et de mauvaises odeurs la nuit. |
Sacha Guitry, Montherlant |
Commerson (1802-1879) ; formule améliorée et répandue par Maupassant. |
Être dans le vent : une ambition de feuille morte. |
Jean Guitton, Milan Kundera |
Gustave Thibon en 1976 (sous une forme un peu différente) |
Il n’y a pas de héros pour son valet de chambre. (Enquête fouillée à paraître) |
Hegel, Goethe, Napoléon, Voltaire |
Montaigne pour l’idée. — Mme Cornuel (1605-1694) pour la forme. |
La culture, c'est ce qui reste quand on a tout oublié. |
Édouard Herriot, Émile Henriot |
Un « pédagogue japonais » ou un « moraliste oriental » non identifié par Herriot. |
L'homme est un loup pour l'homme. |
Thomas Hobbes |
Plaute |
Ouvrir une école, c’est fermer une prison. |
Victor Hugo |
Victor Duruy (1811-1894) ou peut-être Louis Jourdan (1810-1881) |
Je ne puis regarder une feuille d'arbre sans être écrasé par l'univers. |
Victor Hugo |
Jules Renard en 1900 |
Un homme n'est grand que lorsqu'il ne tient sa grandeur ni de l'obéissance ni du commandement. |
Victor Hugo |
Alfred de Vigny en 1831 |
Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente. […] Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. […] Ensuite, on poursuivrait le conditionnement en réduisant de manière drastique l’éducation, pour la ramener à une forme d’insertion professionnelle. […] On diffusera massivement, via la télévision, des divertissements flattant toujours l’émotionnel ou l’instinctif. On occupera les esprits avec ce qui est futile et ludique. Il est bon, dans un bavardage et une musique incessante, d’empêcher l’esprit de penser. On mettra la sexualité au premier rang des intérêts humains. Comme tranquillisant social, il n’y a rien de mieux. […] Toute doctrine mettant en cause le système doit d’abord être désignée comme subversive et terroriste et ceux qui la soutiennent devront ensuite être traités comme tels. |
Aldous Huxley, Günther Anders |
Serge Carfantan en 2007 |
[aux étudiants de mai 68 :] Rentrez chez vous : dans dix ans vous serez tous notaires ! |
Jouhandeau, Lacan, Dali |
Ionesco |
Une erreur ne devient une faute que si l'on refuse de la corriger. |
John F. Kennedy, Orlando Aloysius Battista | Ernst Jünger en 1939 (sous une forme légèrement différente) |
Vous ne m’aimez plus ; vous croyez plus ce que vous voyez que ce que je vous dis. |
Ninon de Lenclos, Mlle Fontette de Sommery |
Une femme non identifiée par Helvétius, premier publieur de la phrase. |
Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat. |
George Sand en 1843 (avec « propreté » à la place de « charme ») |
|
Le roi de France ne venge pas les injures faites au duc d’Orléans. |
Louis XII |
Transposition d’un mot de l’empereur Hadrien. |
La fin justifie les moyens. |
Machiavel |
Ovide |
La femme est un chameau qui aide l'homme à traverser le désert de la vie. |
Mahomet (dans le Coran ou dans un hadith) |
Balzac en 1839 (sous une forme un peu différente et sous réserve d'une autre attestation antérieure). |
L’empire russe est une monarchie absolue tempérée par l’assassinat. (Enquête fouillée à paraître) |
Joseph de Maistre, Pouchkine, Astolphe de Custine, Nicolas Tourgueniev, Fustel de Coulanges (à propos du régime mérovingien) |
Pour l'idée : Mme de Staël. — Pour la forme : en 1830 chez Louis Pierre Édouard Bignon (1771-1841), 13 ans avant Custine où elle est aussi. |
Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé, le courage de changer ce qui peut l'être, et la sagesse de distinguer l'un de l'autre. |
Marc Aurèle, Aristote, Thomas d’Aquin, Boèce, Friedrich Christoph Oetinger |
Reinhold Niebuhr (1892-1971) en 1932 |
Ils n’ont pas de pain ? Qu’ils mangent de la brioche ! |
Marie-Antoinette |
Une princesse non identifiée (anecdote racontée par J.-J. Rousseau vers 1767). |
La vie serait impossible si l'on se souvenait, le tout est de choisir ce que l'on doit oublier. |
Roger Martin du Gard (1881-1958) | Maurice Martin du Gard (1896-1970) en 1944 |
Je veux bien mourir pour le peuple, mais certainement pas vivre avec lui ! |
François Mauriac |
Stendhal, sous une forme différente et moins sacrificielle. [1] |
La politique est l'art d'obtenir de l'argent des riches et des suffrages des pauvres, sous prétexte de les protéger les uns des autres. |
Peut-être Gustave Vapereau (1819-1906) ? |
|
L’homme est comme le lapin, il s’attrape par les oreilles. |
Mirabeau |
La Bruyère (sous une forme un peu différente) |
Les femmes acceptent aisément les idées nouvelles, car elles sont ignorantes ; elles les répandent facilement, parce qu'elles sont légères ; elles les soutiennent longtemps, parce qu'elles sont têtues. (Enquête fouillée à paraître) |
Mirabeau, Joseph-Alexandre de Ségur, Jérôme de Stridon |
Abbé Honoré Tournely (1658-1729) en latin ; formule traduite en français et répandue par Diderot. |
Je ne connais pas d’endroit où il se passe plus de choses que dans le monde. |
Henri Monnier |
Auteur anonyme ; mot recueilli par Charles-Gabriel Potier dans son recueil de bons mots Potieriana (1814). |
Philosopher c’est apprendre à mourir. |
Paraphrase de Cicéron, qui lui-même paraphrase Platon. |
|
Tous les jours vont à la mort : le dernier y arrive. |
Sénèque |
|
Éduquer, ce n’est pas remplir un vase mais c'est allumer un feu. |
Plutarque (sous une forme légèrement différente) |
|
Un bon mariage serait celui d'une femme aveugle avec un mari sourd. |
Montaigne, Érasme |
Alphonse V d’Aragon (1396-1458) |
Si la vie n'est qu'un passage, sur ce passage au moins semons des fleurs. |
François-Augustin de Moncrif (1687-1770) |
|
Le véritable exil n'est pas d'être arraché de son pays ; c'est d'y vivre et de n'y plus rien trouver de ce qui le faisait aimer. |
Montalembert |
Edgar Quinet en 1854 |
Qui me rend visite me fait honneur. Qui ne me rend pas visite me fait plaisir. |
Montherlant, Claudel, Antoine Louis, Julie de Lespinasse |
Louis Morin (1635-1715) |
La politique d’un État est dans sa géographie. |
Napoléon |
Paul Deschanel en 1915 (sous une forme légèrement différente) |
On ne monte jamais si haut que quand on ne sait pas où on va. |
Napoléon |
Oliver Cromwell |
C'est l'imagination qui perd les batailles. |
Napoléon |
Joseph de Maistre |
Il faut qu'une constitution soit courte et obscure. |
Napoléon |
Talleyrand |
Je n'ai jamais permis les critiques. On demande à un médecin qu'il guérisse la fièvre et non qu'il fasse une satire contre elle. |
Napoléon |
Frédéric II de Prusse en 1774 |
L'ambition de dominer sur les esprits est la plus forte de toutes les passions. |
Napoléon |
Voltaire en 1767 |
Bien analysée, la liberté politique est une fable convenue, imaginée par les gouvernants pour endormir les gouvernés. |
Napoléon |
Jean-Baptiste Delisle de Sales (1741-1816) en 1802 |
Le premier qui compara une femme à une rose était un poète, le second était un imbécile. (Enquête fouillée à paraître) |
Gérard de Nerval, Paul Éluard, Guillaume Apollinaire |
Pour l’idée : Voltaire. — Pour la forme : Arsène Houssaye en 1868. |
La mélancolie est une maladie qui consiste à voir les choses comme elles sont. |
Gérard de Nerval, d’Alembert, Alain Ferry |
Nicolas-Hubert Mongault (1674-1746). |
L'avenir est un fantôme aux mains vides qui promet tout et qui n'a rien. |
Gérard de Nerval |
Victor Hugo en 1837 |
Rien ne vaut rien ; Il ne se passe rien ; Et cependant tout arrive ; Mais cela est indifférent. |
Nietzsche |
|
Tel est le triste sort de tout livre prêté, souvent il est perdu, toujours il est gâté. |
Charles Nodier |
René-Charles Guilbert de Pixérécourt (1773-1844) |
Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. |
Pascal |
Montaigne (sous une forme un peu différente) |
L’âme ne voit rien qui ne l’afflige quand elle y pense. |
Pascal, abbé Charles Bossut |
Les éditeurs de Port-Royal sous le nom de Pascal, très vraisemblablement Pierre Nicole |
C'est grande pitié quand beauté manque à cul de bonne volonté. |
Rabelais |
Clément Marot en 1535 |
Ma pièce est faite : je n’ai plus qu’à l’écrire. |
Ménandre |
|
Si tu buvais pas, tu serais caporal. – Oui, mais quand je suis saoul, je me crois colonel. |
Charles-Ferdinand Ramuz, André Gide |
Ralph Soupault (1904-1962) en 1925 (sous une forme légèrement différente) |
Dieu a fait l’homme avant la femme pour lui permettre de placer quelques mots. |
Peut-être Jean Rigaux (1909-1991) ? |
|
Fort / Belle, / Elle / Dort. / Sort / Frêle ! / Quelle / mort ! / Rose / close, / La / Brise / L’a / Prise. |
Jules de Rességuier |
Paul de Rességuier (1816-1904), son fils, en 1835. |
On ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment. (Enquête fouillée à paraître) |
Cardinal de Retz, cardinal de Bernis, François Mitterrand |
Un homme politique libanais de la 1ère moitié du XXe siècle, non identifié |
On compte ses ancêtres quand on ne compte plus. |
Cardinal de Retz |
Chateaubriand en 1844 |
Faire une loi et ne pas la faire exécuter, c'est autoriser la chose qu'on veut défendre. |
Cardinal de Retz |
Richelieu |
La politique est l’art de rendre possible ce qui est nécessaire. |
Richelieu, Robert Buron, Jacques Chirac |
Antonio Canovas del Castillo, homme politique espagnol (1828-1897). |
La santé est un état précaire qui ne présage rien de bon. |
Le docteur Knock, personnage de Jules Romains |
Louis-Hubert Farabeuf (1841-1910) |
Le roman est un miroir que l’on promène le long d’un chemin. |
Saint-Réal |
Stendhal |
Ne pas choisir, c'est encore choisir. |
Jean-Paul Sartre |
Jules Payot (1859-1940) en 1899 |
Inutile de le nier : la femme n’est pas pareille à l’homme. |
Jean-Paul Sartre |
Gina Lombroso (1872-1944) en 1929 |
L'époque la plus favorable pour la répression d'un abus, c'est le jour où on le découvre. |
Jérémie Bentham |
|
L'Amour d'un sexe pour l'autre nous donne, pour ainsi dire, un autre amour de nous-mêmes ; il transporte notre amour-propre dans les autres. |
Senancour |
Saint-Lambert (1716-1803) |
Le cœur n'a point de rides, il est toujours jeune. |
Mme de Sévigné |
Victor Hugo en 1830 |
Je n’ai pas eu le temps de faire court. |
Mme de Sévigné, Racine, Voltaire, Boileau, Karl Marx, Mark Twain, Paul-Louis Courier |
Pascal en 1656 |
Ce qui me dégoûte de l’Histoire, c’est de penser que ce que je vois aujourd’hui sera l’Histoire un jour. |
Mme de Sévigné |
« Une femme de beaucoup d’esprit » selon J.-B. Suard (1732-1817) qui rapporte la phrase le premier. Peut-être Mme du Deffand ?? |
La liberté et la santé se ressemblent ; on n'en connaît bien le prix que lorsqu'elles vous manquent. |
Henry Becque en 1895 |
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L'amour est un égoïsme à deux. |
Antoine de La Salle (1754-1829) en 1788 |
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En France, on ne permet qu'aux événements de voter. |
« Un homme d’esprit » non nommé par Mme de Staël. |
|
Un homme doit savoir braver l'opinion ; une femme s'y soumettre. |
Suzanne Curchod, épouse Necker (sous une forme un peu différente). |
|
Il ne faut pas se mettre en colère contre les choses : cela ne leur fait absolument rien. |
Mme de Staël, Talleyrand, Marc-Aurèle |
Euripide |
La mort d’un homme, c’est une tragédie. La mort d’un million d’hommes, c’est une statistique. |
Staline, Oscar Wilde, Jacques Bainville |
Un diplomate français (très probablement Philippe Berthelot). Le mot est publié par Kurt Tucholsky en 1925, et repris dans un roman par J. Bainville en 1927. |
Que d'hommes se croient vertueux parce qu'ils sont austères, et raisonnables parce qu'ils sont ennuyeux! |
Stendhal |
Helvétius |
Tout sentiment qu'on n'éprouve plus est un sentiment dont on n'admet point l'existence. |
Stendhal |
Helvétius en 1758 |
Les aveux vraiment flatteurs ne sont pas ceux que nous faisons, ce sont ceux qui nous échappent. |
Stendhal, Ninon de Lenclos |
Louis Damours (1720-1788) en 1750 (ou peut-être Crébillon fils) |
Le crime augmente en raison du plus grand nombre de liens que le coupable a rompus. |
Stendhal |
Chateaubriand en 1802 |
L'amour a ceci de singulier qu'il ne s'accomplit pas dans son accomplissement. |
Stendhal |
Thierry Maulnier en 1977 |
Quand je me considère je me désole, quand je me compare je me console. |
Talleyrand, Villiers de l’Isle-Adam |
Paul-Joseph Barthez (1734-1806) pour l’idée, vers 1775. — Le cardinal Jean-Sifrein Maury vers 1806 pour la formule ramassée : « Je vaux très peu quand je me considère, beaucoup, quand je me compare ». |
La parole a été donnée à l’homme pour déguiser [variante : cacher] sa pensée. |
Talleyrand, Malagrida, Stendhal |
Charles-Jean Harel (1790-1846), radicalisant une idée qu’on trouve de façon partielle chez Fléchier et chez Voltaire, ainsi que chez plusieurs Anglais dont Edward Young. |
Sire, c’est plus qu’un crime, c’est une faute. |
Talleyrand, Fouché |
Boulay de la Meurthe |
Je connais une arme plus terrible et plus meurtrière que la calomnie, c’est la vérité. |
Talleyrand |
Jacques Crétineau-Joly (1803-1875) en 1859 |
« Oui » et « non » sont les mots les plus courts et les plus faciles à prononcer, et ceux qui demandent le plus d'examen. |
Talleyrand |
Balthasar Gracian (sous une forme légèrement différente) |
De nos jours les peuples sont trop éclairés pour produire quelque chose de grand. |
Léon Tolstoï |
Napoléon en 1804 |
La religion a commencé quand le premier escroc a rencontré le premier imbécile. |
Mark Twain |
Voltaire (sous une forme différente) en 1756 |
Les civilisations savent maintenant qu’elles sont mortelles. |
Paul Valéry |
Rutilius Namatianus en 418 (sous une forme légèrement différente) |
La mort n’est pas une excuse. (Enquête fouillée à paraître) |
Probablement Auguste Vermorel (1841-1871). |
|
On ne peut pas juger quelqu'un à ses fréquentations ; Judas, par exemple avait des amis irréprochables. [2] |
Verlaine, Hemingway, Oscar Wilde, Baudelaire, Tristan Bernard |
Georges Elgozy en 1967, sous une forme différente |
Quand les libéraux sont les maîtres, nous leur demandons la liberté parce que c'est leur principe ; et, quand nous sommes les maîtres, nous la leur refusons parce que c'est le nôtre. |
Louis Veuillot |
Charles de Montalembert (1810-1870) en 1857, mais pour expliquer qu'il s'oppose à cette mentalité. |
Belle comme la nuit et comme elle peu sûre. |
Alfred de Vigny, Villiers de l’Isle-Adam |
Anatole France en 1873 |
Dieu montre le peu de cas qu'il fait de l'argent par la qualité de ceux à qui il le donne. |
Villiers de l’Isle-Adam, Lamennais, La Bruyère, Alexandre Dumas fils, Swift |
Sénèque (sous une forme un peu différente) |
L'homme qui t'insulte n'insulte que l'idée qu'il a de toi – c'est-à-dire lui-même. |
Villiers de l’Isle-Adam |
La Bruyère (sous une forme différente et moins vigoureuse) |
Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai pour que vous ayez le droit de le dire. |
Voltaire |
Evelyn Beatrice Hall (1868-1956) en 1906, résumant à sa façon la pensée de Voltaire |
Pour savoir qui vous dirige vraiment, il suffit de regarder ceux que vous ne pouvez pas critiquer. |
Voltaire |
Kevin Alfred Strom (1956-…) en 1993 |
Le genre humain ne sera heureux que lorsqu'on aura étranglé le dernier des rois avec les boyaux du dernier des prêtres. |
Voltaire, Diderot, Chamfort, La Harpe, d’Holbach |
Jean Meslier (1664-1729), attribuant le propos, sous une forme un peu différente, à un homme du peuple. La forme reçue est attribuée à partir de 1791 à Diderot (qui a écrit quelque chose de proche), en tant que propos oral courant. Elle figure aussi chez Chamfort. |
La politique est le moyen pour des hommes sans principes de diriger des hommes sans mémoire. |
Voltaire, Paul Valéry |
Jean Mistler en 1976 (sous une forme légèrement différente), [SOURCE À VÉRIFIER] |
Les femmes nous inspirent des chefs-d'œuvre qu'elles nous empêchent toujours de réaliser. |
Alexandre Dumas fils en 1864 (sous une forme légèrement différente) |
|
Lorsque les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières. |
Adage antique exprimé en particulier par Juvénal (sous une forme un peu différente). |
|
Le cynisme n'est rien d'autre que l'art de voir les choses comme elles sont plutôt que comme elles devraient être. |
Robert Smythe Hitchens (1864-1950) en 1894 |
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Je ne lis jamais un livre dont je dois faire la critique : on se laisse tellement influencer… |
Oscar Wilde |
Sydney Smith (1771-1845) |
Je ne remets jamais au lendemain ce que je peux remettre au surlendemain. | Oscar Wilde | Mark Twain en 1870 (sous forme impérative) |
Je ne vous reconnaissais pas… j’ai tellement changé ! | Oscar Wilde | Émile Faguet en 1912 (sous réserve d’une autre attribution antérieure) |
La nouvelle génération est épouvantable… j’aimerais tellement en faire partie ! |
Georges Feydeau |
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La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue lorsqu'on les poursuit. |
William Faulkner en 1929 |
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Il faut viser la lune car même en cas d'échec on atterrit dans les étoiles. (Aim for the Moon. If you miss, you may hit a Star.) |
Création états-unienne collective, par transformations successives depuis le milieu du XIXe. Le jalon central appartiendrait à Phileas Barnum avant 1891. La forme actuelle est due à W. Clement Stone en 1996, mais des formes presque identiques apparaissaient depuis longtemps, en particulier dans une interviou de Jane Russel en 1941. |
[1] Je ne garantis pas que Mauriac n’ait jamais écrit ni dit cette boutade. En tout cas on ne trouve nulle part une référence qui permettrait d’en être sûr. Alors qu’on lit dans la Vie de Henry Brulard, au chapitre XIV : « J’abhorre la canaille (pour avoir des communications avec), en même temps que sous le nom de peuple je désire passionnément son bonheur » ; au chapitre XV : « J’aime le peuple, je déteste les oppresseurs, mais ce serait pour moi un supplice de tous les instants que de vivre avec le peuple. » ; et au chapitre XXVI : « J’avais et j’ai encore les goûts les plus aristocrates. Je ferais tout pour le bonheur du peuple, mais j’aimerais mieux, je crois, passer quinze jours de chaque mois en prison que de vivre avec les habitants de boutiques. »
[2] J’ai un léger doute pour celle-ci : elle ne se trouve pas dans l’œuvre de Verlaine, mais je n’exclus pas qu’elle puisse se trouver dans sa correspondance, ou plus encore dans le récit d’un témoin qui aurait rapporté cette boutade orale. Cependant la plus vieille attribution à Verlaine que j’aie trouvée ne date que de 1974. L’attribution à Hemingway, quoique répandue ici, semble très rare dans le monde anglo-saxon, ce qui me permet de ne pas lui accorder une grande considération.
43 commentaires
Très intéressant article, je salue le travail que vous avez fourni. Vous signalez à plusieurs reprise que de nombreuses citations ont été modifiées au fil du temps
Auriez vous justement un exemple d'une citation qui aurait justement été améliorée à plusieurs reprises par leurs différents auteurs/utilisateurs ?
merci
Olivier
Merci pour votre compliment.
Il y a justement sur mon blogue un article qui répond à votre demande : http://dernieregerbe.hautetfort.com/archive/2011/10/29/stendhal-sa-chemise-et-l-italie-petit-eloge-paradoxal-des-fa-5632461.html
Parmi les nombreuses citations améliorées que j'ai repérées, voici quelques autres exemples.
Chamfort a écrit : « Les passions font vivre l’homme, la sagesse le fait seulement durer. » De Gaulle l'a cité sous cette forme meilleure qui s'est répandue : « Les passionnés ont vécu, les raisonnables ont duré. »
Du même Chamfort : « Le bonheur n’est pas chose aisée. Il est très difficile de le trouver en nous, et impossible de le trouver ailleurs. » Citation inconsciemment améliorée par Jean Dutourd : « On trouve rarement le bonheur en soi, jamais ailleurs ».
Voltaire : « Plus nous serons des êtres raisonnables, plus nous serons des êtres libres. » Citation par Condorcet : « Plus les hommes seront éclairés, plus ils seront libres. »
Voltaire : « Il y a des gens qui ont résolu toutes ces questions [sur les premiers temps historiques]. Sur quoi un homme d’esprit et de bon sens disait un jour d’un grave docteur : "Il faut que cet homme-là soit un grand ignorant, car il répond à tout ce qu’on lui demande". » Citation par Paul Morand : « C’est un imbécile, il a réponse à tout. »
Alexandre Vialatte : « Quand on est jeune, on s'imagine que la vieillesse va donner l'impression à l'homme de se désagréger dans un monde qui survit ; elle lui donne au contraire l'impression qu'il survit au sein d'un monde qui se désagrège. » Citation par Alain Finkielkraut : « Quand on est jeune, on se figure que vieillir, c'est se désagréger dans un monde qui dure. Quand on vieillit, on pense que vieillir, c'est durer dans un monde qui se désagrège. »
J'en ai environ 80 comme cela. Je n'en donne ici qu'une poignée où le citateur-améliorateur est identifié, ce qui est exceptionnel. Le plus souvent, la version seconde n'a pas de provenance clairement repérable (à moins d'un colossal et assez vain travail de recherche).
Notez que dans quelques jours, je vais ajouter à ce tableau une quinzaine de citations mal attribuées, avec leur véritable auteur.
Merci!!! Je me permet de vous en soumettre une autre: "il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre ni de réussir pour persévérer" qui est généralement attribué à Guillaume d'Orange mais que j'ai vu attribuer à une auteure dont j'ai malheureusement oublié le nom, dans un roman dont j'ai également oublié et le titre et l'auteur! Sauriez-vous m'aider?
En tout cas bravo!
Merci.
J'ai l'impression que c'est Romain Gary qui, dans son roman /La Danse de Gengis Cohn/, attribue cette phrase à l'impératrice Messaline, la femme de Claude. Mais il doit s'agir soit d'une complète méprise, soit d'une fantaisie ludique, car il est bien le seul à donner cette attribution !
La phrase est universellement attribuée à Guillaume le Taciturne, y compris par son biographe Bernard Quilliet.
Pour la citation de Tertullien attribuée à Augustin sous la forme 'Credo quia absurdum", il y a sans doute confusion avec :
« Crois d’abord, et tu comprendras [...] Comprends ma parole pour arriver à croire, et crois à la parole de Dieu pour arriver à la comprendre. » (Augustin d'Hippone, Il faut croire pour comprendre, Sermon XLIII, 4 et 9). Déjà l’éloge de la pseudo-logique circulaire commune au christianisme et au marxisme …
Tertullien :
« Le fils de Dieu est mort; il faut y croire, puisque c’est absurde. Enseveli, il est ressuscité; c’est certain, puisque c’est impossible. ». Tertullien, vers 160 / vers 230, La Chair du Christ, V, 4.
" [Lord Alton : ] Vous avez trop d'esprit, trop de raison, pour donner dans les principes subversifs de la Révolution française. Il est possible que tous les hommes soient égaux ; mais je n'en crois rien. L'égalité devant la loi ne prouve qu'une chose, c'est qu'il n'y en a pas d'autres ; d'ailleurs le duc de K*** est immensément riche... " (Sir Lionel d'Arquenay, par Jules Lefèvre-Deumier, ou Le Fèvre-Deumier, page 106 ; Paris, Firmin-Didot, 1884 ; Genève, Slatkine Reprints, 1973)
Merci, c'est bien en effet ce que j'avais trouvé et que j'ai consigné dans le vaste fichier qui contient toutes les références justificatives de ce tableau synthétique, que je publierai sans doute un jour lorsqu'il sera complètement au point !
Montaigne : " ce qu'on dit, homo homini ou Deus ou lupus [homme dieu ou loup pour l’homme] " Essais, III, v, page 852 de l'édition Villey.
Plaute, Asinaria, vers 495 : Lupus est homo homini, non homo, quom, qualis sit, non gnovit : quand on ne le connaît pas, l'homme est un loup pour l'homme. Cf Érasme, Adages, I ; Rabelais, Tiers livre, III ; formule reprise partiellement par Francis Bacon puis par Thomas Hobbes.
" Ne pas choisir, c'est encore choisir.
Jean-Paul Sartre
Jules Payot (1859-1940) en 1899 "
Idée voisine chez Karl Marx :
« Toute action humaine peut être envisagée comme une abstention de son contraire. »
Le Capital, XXIV, iii.
Ah, merci, ça je ne l'avais pas repéré ; ça, je l'ajoute à mes notes.
Bon, celà dit, l'idée n'étant pas d'une originalité fracassante, elle a dû être exprimée bien des fois auparavant sous d'autres formes. Nous en trouverons sans doute d'autres.
" L'ambition de dominer sur les esprits est la plus forte de toutes les passions.
Napoléon
Voltaire "
À ce sujet, j'ai mis un lien, avec un merci, au début du B / de ma page http://laconnaissanceouverteetsesennemis.blogspot.fr/2009/03/liberte-dexpression-et-politiquement.html
Merci beaucoup, c'est bien aimable, mais là pour le coup vous avez trouvé tout seul une autre citation que la mienne ! Celle qui est attribuée à Napoléon (par Balzac) est la première phrase de l'avant-propos de l' /Examen important de Milord Bolingbroke/. Voltaire s'est répété, à un mot près...
" L’homme est comme le lapin, il s’attrape par les oreilles.
Mirabeau
La Bruyère (sous une forme un peu différente) "
Ou par la q...e...
Là, on se rapproche de Léautaud ! « On dit que c'est le cul qui mène le monde, moi je dirais plutôt que c'est la queue. S'il n'y avait pas de queue, on se passerait bien du cul. »
Je constate avec plaisir que je ne suis pas le seul à me soucier de la véracité, ou de l'exactitude des citations.
Continuez et merci de partager ce précieux savoir.
Le souci de l'exactitude des citations n'est qu'un cas particulier du souci général de l'exactitude de l'établissement des textes. Jadis, cela s'appelait la philologie.
Un exemple de faute d'édition : dans les traductions françaises de Schopenhauer et dans le Journal de Gide (précédente édition en Pléiade), "basse fondamentale" (terme de musique) devenait "base fondamentale"...
Quand une citation n'est pas référencée, il y a de grandes chances qu'elle soit corrompue. Par ailleurs elle peut être mal découpée, et perdre ainsi une grande part de son intérêt.
Les seules citations qui vaillent sont les notes de lecture ; la reprise d'une citation sans retour à l'original n'est pas un bon signe d'honnêteté intellectuelle.
Sur l'anti-citationnisme, voir le § D / de ma page http://laconnaissanceouverteetsesennemis.blogspot.fr/2011/08/xlviii-la-philosophie-noyee-dans-le.html
Dernière remarque : les citations les plus colportées, et donc déformées ou falsifiées, ne sont généralement pas les plus intéressantes.
Merci beaucoup ! Je suis heureux que le scrupule philologique ne soit pas une vertu totalement disparue. Oui, nous sommes encore quelques dinosaures survivants...
N'hésitez pas à faire connaître ce blogue autour de vous !
Je vous signale qu'au cours de ce mois devrait paraître un second tableau analogue à celui-ci, consacré aux citations couramment DÉFORMÉES. Il y en a une petite centaine, avec à chaque fois la citation littérale et l'indication de sa source.
Scrupule mis en pratique par cet excellent auteur
Othon Guerlac, professeur à Cornell University, Ithaca (New-York)
dans
Les Citations françaises. Recueil de passages célèbres, phrases familières, mots historiques, avec l'indication exacte de la source, suivi d'un index alphabétique par auteurs et par sujets.
Paris, libr. Armand Colin, 1931. (30 décembre.) In-8, 443 pp.
Réédité en 1933, 1952 et 1953.
Bonjour,
Pour commencer, toutes mes félicitations pour votre blogue. Merci en particulier d'avoir partagé vos recherches en matières de citations mal attribuées, un sujet assez fascinant à vrai dire.
Pourriez-vous je vous prie m'indiquer la source précise de la citation de l'historien Jacques Bainville ("la mort d'un homme, c'est une tragédie...). Je n'arrive pas à mettre la main dessus.
Cordialement,
Daniel
Merci pour vos félicitations. N'hésitez pas à faire connaître ce blogue autour de vous !
J'ai écrit que j'avais la référence des mes attributions sous le coude et que je pouvais la fournir en cas de besoin. Vous me donnez l'occasion de prouver que ce n'est pas une parole en l'air.
La citation qui vous arrête provient en effet de Jacques Bainville. Elle se trouve dans son petit roman /Jaco et Lori/, Grasset, 1927, au chapitre XII et dernier, page 259, prêtée à un homme politique qui est plus ou moins une satire de Briand. Dans le volume de la collection Bouquins (R. Laffont), 2011, intitulé /La Monarchie et les lettres/, c'est page 981.
Voici le texte exact : « La mort d’un homme, répondit Anatole Baratin, c’est un drame. La mort d’un million d’hommes, ce n’est que de la statistique et je vous ai dit que je ne consultais pas les statistiques. »
In 1925 a journalist and satirist named Kurt Tucholsky wrote a piece in a German newspaper that included a statement that was similar to the quotation. Here was the original text together with an English translation:
Darauf sagt ein Diplomat vom Quai d’Orsay: „Der Krieg? Ich kann das nicht so schrecklich finden! Der Tod eines Menschen: das ist eine Katastrophe. Hunderttausend Tote: das ist eine Statistik!”
At which a diplomat from French Ministry of Foreign Affairs replies: “The war? I can’t find it too terrible! The death of one man: that is a catastrophe. One hundred thousand deaths: that is a statistic!”
http://quoteinvestigator.com/2010/05/21/death-statistic/
Diable, Tucholsky aurait devancé Bainville de deux ans !
Et surtout, Bainville n'aurait rien inventé, puisque Tucholsky attribue le mot à un diplomate français. Le mot devait donc se répandre oralement dans le milieu politico-journalistique parisien, et Bainville n'aurait fait que l'emprunter pour le mettre dans la bouche de son personnage.
Est-ce que ce ne serait pas Philippe Berthelot ?? L'hypothèse me paraît particulièrement séduisante, puisque c'était un cynique consommé (on lui prête des mots d'un cynisme effroyable), et que c'était l'homme-lige de Briand : d'où l'emprunt du mot par Bainville pour le mettre dans la bouche d'un personnage inspiré de Briand. Anatole Baratin serait ainsi un composé de Briand et Berthelot.
Hum, je crois que j'ai gagné.
Le mot est en effet attribué à Philippe Berthelot par Maurice Schumann dans un article de 1985 (c'est tardif, mais Schumann a été le patron du Quai, où la tradition du mot a pu se perpétuer), et dans un article de /L'Illustration/ de 1942.
Bainville change de case :)
Oui, tout-à-fait ! je viens de faire la modification.
Pour la bonne bouche, un exemple de mot de Berthelot, rapporté par E. Berl : « Untel m'a manqué de respect. Pour me venger, dois-je plutôt le faire passer pour un espion ou pour un pédéraste ? »
Un autre : « Mon frère a eu le plus grand succès littéraire que je connaisse : il a écrit une lettre d'injures à quelqu'un, et celui-ci s'est suicidé. » (Ce qui est la "mise en mot" d'une anecdote attribuée à un poète grec, Anacréon je crois).
Archiloque de Paros aurait, par ses poèmes, provoqué la mort d'une certaine Néoboulé et de la famille d'icelle.
Archiloque, oui, bien sûr !
Je me doutais que ce ne fût pas le doux Anacréon , mais je n'avais pas le temps de rechercher le bon.
Si je me souviens bien, un père lui a refusé la main de sa fille, et du coup il a écrit une lettre incendiaire pour ruiner la réputation du père et de la fille ?
Il y a lieu de croire que ce fait biographique (les suicides qui en ont résulté) est aussi légendaire que la cécité d'Homère...
"Le problème avec les citations sur Facebook, c'est qu'il est difficile de savoir si elles sont authentiques."
Napoléon Bonaparte
"Le problème avec les citations sur Facebook, c'est qu'il est difficile de savoir si elles sont authentiques."
Napoléon Bonaparte.
Le mathématicien Michel Chasles eut un peu le même problème avec des lettres de Jésus écrites en bon français.
Mais non, voyons, c'est une citation d'Abraham Lincoln !
https://dragonscanbebeaten.files.wordpress.com/2015/11/the-problem-with-quotes-on-the-internet.jpg
J'ai reçu ça :
" En allant voir la référence que vous indiquiez sur dernieregerbe.hautetfort.org, je tenais d'une part à vous remercier pour ce gros travail, mais d'autre part à émettre une réserve sur la méthode : il me paraît dans bien des cas difficile de chercher à attribuer une formule (et plus encore une pensée) à son "premier auteur". Dans ces quatre cas, notamment :
- lorsqu'un auteur en cite un autre sans s'en apercevoir (éventuellement en le déformant un peu), par réminiscence inconsciente
- lorsqu'un auteur A cite de mémoire un auteur B, attribuant à tort à B une formule dont lui-même (A) est l'inventeur
- lorsqu'un auteur en cite délibérément (et exactement) un autre, mais en donnant à sa formule un sens nouveau. cf. Hegel qui reprend le mot de Térence ("Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger") en lui donnant une portée nouvelle dans les Leçons d'Esthétique
- lorsqu'un auteur réinvente une formule de lui-même, sans avoir connaissance de sa formulation antérieure (et comment faire la différence entre une citation inconsciente et une réinvention ?)
Dans chacun de ces cas, il ne me semble pas faux d'attribuer à l'auteur le plus récent une forme de paternité de la formule — sans quoi il deviendrait difficile d'attribuer de façon sûre une formule à qui que ce soit. La question devrait surtout être, à mon sens : telle personne a-t-elle dit ou écrit cela ? Et qu'est-ce que cela signifie dans ce contexte précis ? "
J'ai bien précisé en retour que ce "gros travail" n'était pas de moi.
J'ai répondu :
" C'est le vieux débat entre l'esprit et la lettre... Mais je pense qu'avant de lire entre les lignes, il convient de lire les lignes. "
Bonjour,
Je cherchais à vérifier l'authenticité de la citation attribuée à Mirabeau, relative aux oreilles et aux lapins, et je vois que vous l'attribuez à La Bruyère.
Il est vrai que je ne la trouve nulle part dans l'oeuvre de Mirabeau, mais pas plus dans celle de La Bruyère (disponible sur Google books).
Vous plairait-il de m'en dire un peu plus sur cette citation ? Sous quelle forme l'avez-vous dénichée et si possible dans quel ouvrage ?
J'écris moi-même des articles et j'ai une certaine aversion pour les citations tronquées ou apocryphes qui fleurissent comme jamais depuis l'avènement des réseaux sociaux. On poste n'importe quoi, on présente des mauvaises paraphrases d'Orwell pour les attribuer à Goebbels; bref, je partage votre préoccupation.
Du coup, cette citation, qui vient si bien à propos dans un monde où la démagogie et le populisme l'emportent souvent sur le fond, j'aimerais bien la citer... Et être sûr de la source, puisqu'il semble que vous soyez mieux informé que moi sur ce point.
Variante qui me paraît plus pertinente :
" Les femmes, c'est comme les lapins : ça s'attrape par les oreilles "
Bonsoir.
Bravo pour votre louable souci d'authenticité dans l'attribution des citations et de littéralité dans leur formulation !
Mirabeau disait : « Ce sont deux drôles d'animaux bien bêtes que l'homme et le lapin une fois qu'ils sont pris par les oreilles ». Voir Étienne Dumont, /Souvenirs sur Mirabeau/ (1832), PUF, 1951, p. 36.
Mais /Les Caractères/, XI, 154 : « Il faut aux enfants les verges et la férule ; il faut aux hommes faits une couronne, un sceptre, un mortier, des fourrures, des faisceaux, des timbales, des hoquetons. La raison et la justice dénuées de tous leurs ornements ni ne persuadent ni n’intimident. L’homme, qui est esprit, se mène par les yeux et les oreilles. »
Voyez mon autre tableau : http://dernieregerbe.hautetfort.com/archive/2016/05/10/attention-aux-citations-deformees-synthese-de-mes-recherches-5799775.html
À votre service !
Un grand merci, votre tableau est un outil précieux, il me donne un peu le vertige quand j'imagine le boulot que cela doit représenter.
En tout cas, cette citation étant reprise plusieurs centaines de fois un peu partout, il est bon de savoir que c'est attribué (indirectement) à Mirabeau.
Et accessoirement, la formule originale est nettement plus élégante, c'est peu de le dire.
Bonjour !
Bravo pour ce travail utile.
Concernant la citation que vous attribuez à Ionesco ("Rentrez chez vous : dans dix ans, vous serez tous notaires."), n'est-elle pas assez précisément une référence consciente ou inconsciente à la chanson "Les Bourgeois", composée et interprétée par Jacques Brel dès 1962 et qui développe précisément cette idée ?
Bien cordialement,
Bonjour Monsieur,
Merci pour votre aimable compliment.
La suggestion que vous faites est très intéressante. Il est en effet très possible que Ionesco se soit souvenu de la chanson de Brel. Cependant ce n'est pas nécessaire, car l'idée de jeunes étudiants gauchistes qui se rangent la maturité venue, au point d'endosser un habit de notaire, figure emblématique de la bourgeoisie, cette idée n'est pas d'une originalité fracassante, et n'importe qui pouvait l'avoir sans connaître la chanson de Brel.
En outre, quand bien même on serait certain que Ionesco se soit souvenu de la chanson de Brel, il me semble qu'il a effectué un saut qualitatif. Car Brel ne parle que de trois garnements qui sont devenus notaires. Alors que pour Ionesco, c'est une génération de gauchistes tout entière qui est destinée à s'embourgeoiser.
À vrai dire, cette citation n'est pas la mieux localisée de tout le tableau. Je n'ai trouvé aucune attestation certaine pour Jouhandeau, ni Lacan ni Dali. Pour Ionesco, la seule chose que j'aie trouvée, c'est le /Journal inutile/ de Paul Morand qui, le 28 juillet 1968 (deux mois et demi après...), rapporte le témoignage de Simone Gallimard, chez qui, en ouvrant une fenêtre, Ionesco aurait lancé aux manifestants : « Dans trois semaines, vous serez des notaires ! » (tome 1 p. 36). Témoignage de troisième main, mais c'est tout de même mieux que rien.
On notera aussi que, selon une remarque faite dans l'introduction au tableau des citations déformées, la version courante est meilleure que la version authentique : dans celle-ci, le délai de trois semaines est caricaturalement court, et surtout il manque le pronom "tous", qui fait presque à lui seul tout le sel de la phrase, comme dit précédemment. Mais comme la rigueur dans le rapport des faits et des dits n'est pas la qualité majeure de Morand, on peut supposer que sa version n'est justement pas la version authentique. Du reste, comme le journal de Morand n'a été publié qu'en 2001, et comme cette formule était connue dès les années 70, il est certain que Simone Gallimard, ou Ionesco lui-même (ou Morand) l'ont répandue oralement. Il y a peut-être quelque part une source plus directe et moins tardive que le journal de Morand ? Si vous trouvez une autre attestation écrite, de première, deuxième ou troisième main - mais par attestation j'entends la mention ferme d'un contexte et d'un témoin -, je suis preneur !
Bien cordialement
Bonjour !
Je tiens d’abord à vous féliciter très chaleureusement pour votre blogue. À partir de Google, je le consulte avec grand plaisir, surtout en ce qui concerne les citations mal attribuées ou déformées.
Je collectionne les citations depuis plus de 50 ans. Il y en a au moins sept dont je n’arrive pas à déterminer l’auteur. Les voici :
• « Pourquoi contredire une femme ? Il est tellement plus simple d’attendre qu’elle change d’avis »… Feydeau ou Anouilh ?
• « Nos pires ennemis, et qui sont ceux que nous devons combattre prioritairement, sont en nous »… Cervantès ou Bossuet ?
• « Une seconde chance ne veut rien dire si tu n’as rien compris à ta première erreur »… Jean d’Ormesson ?
• « L’homme a deux oreilles et une seule langue, pour écouter deux fois plus qu’il ne parle ». Zénon de Citium ou Confucius ?
• « Ne remettez pas à demain ce que vous pouvez faire aussi bien après-demain »… Wilde, Franklin, Twain ou Allais ?
• « Qui paye ses dettes s’enrichit : c’est un mot que font courir les créanciers »… Cigonas ?
• La dernière et la plus difficile, selon moi : « Tous les matins, j’apporte à ma femme le café au lit; elle n’a plus qu’à le moudre »… Doris, Desproges, Coluche ou Churchill ?
Si vous pouvez m’aider, j’en serais très heureux et je vous en serais extrêmement reconnaissant.
Cordialement,
Pierre Cossette, Québec
Sur l'attribution à Talleyrand de " Tout ce qui est excessif est insignifiant ", je ne trouve aucune référence confirmative. J'ai cherché vainement dans les Mémoires.
Comme beaucoup de mots attribués à Talleyrand (la plupart ?), celui-ci n'est pas de lui.
Il est de Pigault-Lebrun.
Bonjour, et bravo pour ce travail de "ré-attribution" de citations à leurs auteurs premiers; j'ai découvert ce blogue (à part) tout à fait par hasard. Une remarque : quand un homme formule une sentence (éventuellement belle,spirituelle ....) dont il ignore qu'elle a déjà été énoncée avant lui, je me demande si ,en ce cas, on ne peut pas parler de re- création... ?
Si la sentence est tant soit peu élaborée, il y a peu de chances pour qu'elle soit reformulée telle quelle. Elle peut en revanche être enrichie ; ainsi
" Errare humanum est, perseverare diabolicum sed rectificare divinum.
Le problème se pose parfois, influence ou rencontre des grands esprits, comme pour ces deux-là :
Voltaire : « Je vous prédis que ceux qui tournerons les sottises de ce monde en
raillerie (en dérision) seront toujours les plus heureux. » (Lettre au pasteur Johann de Formey, fin décembre 1752).
Horatio Walpole, letter to Sir Horace Mann, 31 December 1769 : " I have often said, and oftener think, that this world is a comedy to those that think, a tragedy to those that feel. "
Citations qu'on peut rapprocher de :
Montesquieu, avant 1755 :
" Deux sortes d'hommes : ceux qui pensent, et ceux qui s'amusent. " (Mes Pensées).
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