THÉOPHILE GAUTIER : CHOIX DE CITATIONS
16.03.2014
Je fais de Théophile Gautier (1811-1872) une présentation critique sur cette page connexe.
J'ai réparti les citations rassemblées en quatorze rubriques, accessibles d'un clic : Autoportrait Souveraineté de la mort La vie, le monde La condition humaine Psychologie Les femmes L'amour Morale Religion La société moderne La France Le Beau, l'Art Le public, les critiques L'artiste et la création artistique
. « Les deux vraies cordes de mon œuvre, les deux vraies grandes notes sont la bouffonnerie et la mélancolie noire – un emmerdement de mon temps, qui m’a fait chercher une espèce de dépaysement. […] Sainte-Beuve ne comprend pas que nous sommes tous les quatre ici des malades : ce qui nous distingue, c’est le sens de l’exotique. Il y a deux sens de l’exotique. Le premier vous donne le goût de l’exotique dans l’espace, le goût de l’Amérique, de l’Inde, des femmes jaunes, vertes, etc. Le second, qui est le plus raffiné, une corruption plus suprême, c’est ce goût de l’exotique dans le temps. Par exemple, voilà Flaubert, il voudrait baiser à Carthage ; vous, vous voudriez la Parabère ; et moi, rien ne m’exciterait comme une momie… » [1] (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 23 novembre 1863 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 1033).
. Mais nous, pauvres enfants dont nul ne sait la voix, / Qui fondons notre nom sur un sol qui chancelle, / Notre labeur est dur et notre front ruisselle, / Et nous nous surprenons à désirer parfois / Comme Luther à Worms voyant le cimetière / Le repos de ceux-là qui dorment sous la pierre. (Théophile Gautier, Dernières poésies, « Quand il touche le but… », vers 9-14 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 191).
. Je vis cloîtré dans mon âme profonde, / Sans rien d’humain, sans amour, sans amis, / Seul comme un dieu, n’ayant d’égaux au monde / Que mes aïeux sous la tombe endormis ! / Hélas ! grandeur veut dire solitude. / Comme une idole au geste surhumain, / Je reste là, gardant mon attitude, / La pourpre au dos, le monde dans la main. (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Le roi solitaire », vers 1-8 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 277).
. Mon âme est faite ainsi : dans mon corps en prison, / Elle cherche à son vol un plus large horizon ; / […] Car elle manque d’air, mon âme, dans ce monde / Où la presse en tous sens de son étreinte immonde / Une société qui retombe en chaos, / Du rouge sur la joue et la gangrène aux os ! (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Paris », vers 7-8 et 17-20 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 114-115).
. D’Albert : « Mais pourquoi l’amour m’est-il venu avant la maîtresse ? pourquoi ai-je soif sans avoir de fontaine où m’étancher ? ou pourquoi ne sais-je pas voler, comme ces oiseaux du désert, à l’endroit où est l’eau ? Le monde est pour moi un Sahara sans puits et sans dattiers. Je n’ai pas dans ma vie un seul coin d’ombre où m’abriter du soleil : je souffre toutes les ardeurs de la passion sans en avoir les extases et les délices ineffables ; j’en connais les tourments, et n’en ai pas les plaisirs. Je suis jaloux de ce qui n’existe pas ; je m’inquiète pour l’ombre d’une ombre ; je pousse des soupirs qui n’ont point de but. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 262).
. D’Albert : « Je vois couler les larmes de mes semblables du même œil que la pluie, à moins qu’elles ne soient d’une belle eau, et que la lumière ne s’y reflète d’une manière pittoresque et qu’elles ne coulent sur une belle joue. – […] Je laisserais bien rouer de coups un paysan ou un domestique […] ; celà tient plutôt à ma nonchalance et au mépris souverain que j’ai pour toutes les personnes qui me déplaisent, et qui ne me permet pas de m’en occuper, même pour leur nuire. – J’abhorre tout le monde en masse, et, parmi tout ce tas, j’en juge à peine un ou deux dignes d’être haïs spécialement. – Haïr quelqu'un, c'est s'en inquiéter autant que si on l'aimait ; – c'est le distinguer, l'isoler de la foule ; c'est être dans un état violent à cause de lui ; c'est y penser le jour et y rêver la nuit ; c'est mordre son oreiller et grincer des dents en songeant qu'il existe ; que fait-on de plus pour quelqu'un qu'on aime ? Pour haïr bien quelqu'un, il faut en aimer un autre. Toute grande haine sert de contrepoids à un grand amour. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. VIII ; Pléiade tome I, 2002, p. 359).
. D’Albert : « J’ai aimé les armes, les chevaux et les femmes : – les armes, pour remplacer les nerfs que je n’avais pas ; les chevaux, pour me servir d’ailes ; les femmes, pour posséder au moins dans quelqu’une la beauté qui me manquait à moi-même. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 327).
. D’Albert : « Je n’ai pas le degré de stupidité nécessaire pour devenir ce que l’on appelle absolument un génie, ni l’entêtement énorme que l’on divinise ensuite sous le beau nom de volonté, quand le grand homme est arrivé au sommet rayonnant de la montagne, et qui est indispensable pour y atteindre ; – je sais trop bien comme toutes choses sont creuses et ne contiennent que pourriture, pour m’attacher pendant bien longtemps à aucune et la poursuivre à travers tout ardemment et uniquement. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XI ; Pléiade tome I, 2002, p. 420-421).
. D’Albert : « Je n'ai pas d'espérance, car, pour espérer, il faut un désir, une certaine propension à souhaiter que les choses tournent d'une manière plutôt que d'une autre. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 248).
. Et portant, dans mon verre à côtes, / La santé du temps disparu, / Avec mes vieux rêves pour hôtes / Je boirai le vin de mon cru : / Le vin de ma propre pensée, / Vierge de toute autre liqueur, / Et que, par la vie écrasée, / Répand la grappe de mon cœur ! (Théophile Gautier, Émaux et Camées, « Après le feuilleton » (1861), vers 17-24 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 99-100).
. Du temple de mon âme, il ne reste debout / Que deux piliers d’airain, la haine et le dégoût. / Pourtant je suis à peine au tiers de ma journée ; / Ma tête de cheveux n’est pas découronnée ; / À peine vingt épis sont tombés du faisceau : / Je puis derrière moi voir encor mon berceau. / Mais les soucis amers de leurs griffes arides / M’ont fouillé dans le front d’assez profondes rides / Pour en faire une fosse à chaque illusion. / Ainsi me voilà donc sans foi ni passion, / Désireux de la vie et ne pouvant pas vivre, / Et dès le premier mot sachant la fin du livre. / Car c’est ainsi que sont les jeunes d’aujourdhui : / Leurs mères les ont faits dans un moment d’ennui. (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Thébaïde » (1837), vers 201-214 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 71).
. Octave de Saville : « La vie dont j’accomplis, autant que possible, la pantomime habituelle, pour ne pas chagriner mes parents et mes amis, me paraît si loin de moi, qu’il y a des instants où je me crois déjà sorti de la sphère humaine. » (Théophile Gautier, Avatar (1856), chap. I ; Pléiade tome II, 2002, p. 323).
. Je ne suis plus, hélas ! que l’ombre de moi-même, / Que la tombe vivante où gît tout ce que j’aime, / Et je me survis seul ; / Je promène avec moi les dépouilles glacées / De mes illusions, charmantes trépassées / Dont je suis le linceul. (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), IX, vers 19-24 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 46).
. Je n’aime rien parce que rien ne m’aime, / Mon âme usée abandonne mon corps ; / Je porte en moi le tombeau de moi-même, / Et suis plus mort que ne sont bien des morts. (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Le trou du serpent » (1834), vers 9-12 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 104).
. Si trois-cents ans plus tôt Dieu nous avait fait naître, / Parmi tous ces hauts noms l’on en eût mis peut-être / D’autres qui maintenant meurent désavoués : / Car nous n’étions pas faits pour cette époque immonde / Et nous avons manqué notre entrée en ce monde / Où nos rôles étaient joués…(Théophile Gautier, Dernières poésies, « À Jehan Duseigneur. Ode » (1831), V, vers 25-30 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 139).
. Quant à mes opinions politiques, elle sont de la plus grande simplicité. Après de profondes réflexions sur le renversement des trônes, les changements de dynastie, je suis arrivé à ceci — 0. (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 21).
. « Au fond, rien ne m’intéresse plus, il me semble que je ne suis plus un contemporain… Je suis tout disposé à parler de moi à la troisième personne, avec les aoristes des prétérits trépassés… J’ai comme le sentiment d’être déjà mort ! » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 2 mars 1872 ; Bouquins, 1989, tome II, p. 500). [2]
. Le travail de la mort ne s’arrête jamais. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. II ; Pléiade tome II, 2002, p. 535).
. Il arrive quelquefois que les mères, voyant ces beaux enfants vermeils, aux mains trouées de fossettes, à la peau blanche, aux talons roses, s’imaginent qu’ils sont à elles pour toujours ; mais Dieu ne donne rien, il prête seulement ; et comme un créancier oublié, il vient parfois redemander subitement son dû. (Théophile Gautier, L’Enfant aux souliers de pain (1849) ; Pléiade tome II, 2002, p. 172).
. Cessez donc, cessez donc, ô vous, les jeunes mères / Berçant vos fils aux bras des riantes chimères, / De leur rêver un sort ; / Filez-leur un suaire avec le lin des langes. / Vos fils, fussent-ils purs et beaux comme les anges, / Sont condamnés à mort ! (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), IV, vers 121-126 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 27).
. Oui, c’est bien vrai, la vie est un combat sans trêve, / Un combat inégal contre un lutteur caché, / Qui d’aucun de nos coups ne peut être touché ; / Et dans nos cœurs criblés, comme dans une cible, / Tremblent les traits lancés par l’archer invisible. / Nous sommes condamnés, nous devons tous périr ; / Naître, c’est seulement commencer à mourir, / Et l’enfant, hier encor chérubin chez les anges, / Par le ver du linceul est piqué sous ses langes. (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « L’horloge », vers 18-26 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 256-257).
. Les vivants sont charmants et les morts sont affreux. / – Oui ; mais le ver un jour rongera ton œil creux, / Et comme un fruit gâté, superbe créature, / Ton beau corps ne sera que cendre et pourriture ; / Et le mort outragé, se levant à demi, / Dira, le regard lourd d’avoir longtemps dormi : / « Dédaigneuse ! à ton tour tu donnes la nausée, / Ta figure est déjà bleue et décomposée, / Tes parfums sont changés en fétides odeurs, / Et tu n’es qu’un ramas d’effroyables laideurs ! » (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « En passant à Vergara », vers 67-76 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 266).
. La Mort n’a pas besoin que l’on aille au-devant ; / Marchands, hommes de guerre, orateurs et poëtes, / La Mort, de tout cela, fait de pareils squelettes ; / Pour sa gerbe elle prend l’épi comme la fleur, / Et ne respecte rien, ni forme ni couleur ; / Elle va, du coupant de sa courbe faucille, / Jetant bas le vieillard avec la jeune fille ; / Elle fauche le champ de l’un à l’autre bout, / Et dans son grenier noir elle serre le tout. / À quoi bon s’efforcer jusques à perdre haleine, / Courir à droite, à gauche, et prendre tant de peine, / Quand peut-être le fer, près de notre sillon, / Se balance et fait luire un sinistre rayon ? / Quelle chose est utile en ce monde où nous sommes ? / Et, quand la vieille a mis en tas ses gerbes d’hommes, / Qui peut dire lequel était Napoléon, / Ou l’obscur amoureux des roses du vallon ? / Qui le décidera ? L’existence est un songe / Où rien n’est sûr, sinon que le même ver ronge / Le corps du citoyen utile et positif / Et le corps du rêveur et du poëte oisif. / Entre la fleur qui s’ouvre et le cerveau qui pense, / Entre néant et rien quelle est la différence ? (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « À un jeune tribun », vers 178-200 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 119-120).
. Taisez-vous, ô mon cœur ! taisez-vous, ô mon âme ! / Et n’allez plus chercher de querelles au sort ; / Le néant vous appelle et l’oubli vous réclame. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Ténèbres », vers 1-3 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 56).
. L’homme, à qui un cercueil de deux pieds de large sur six de long suffit et au-delà après sa mort, n’a pas besoin dans sa vie de beaucoup plus de place. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 230).
. Toute âme est un sépulcre où gisent mille choses ; / Des cadavres hideux dans des figures roses / Dorment ensevelis. / On retrouve toujours les larmes sous le rire, / Les morts sous les vivants, et l’homme est à vrai dire / Une Nécropolis. (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), IV, vers 67-72 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 25).
. Où donc poser le pied qu’on ne foule une tombe ? (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), IV, vers 115 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 27).
. Où ne trouve-t-on pas, en fouillant, un squelette ? / Quel foyer réunit la famille complète / En cercle chaque soir ? / Et quel seuil, si riant et si beau qu’il puisse être, / Pour ne pas revenir n’a vu sortir le maître / Avec un manteau noir ? (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), IV, vers 97-102 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 26).
. Après la vie obscure une mort ridicule ; / Après le dur grabat, un cercueil sans repos / Au bord d’un carrefour où la foule circule. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Ténèbres », vers 67-69 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 58).
. « À quoi bon vivre ! à quoi bon travailler, s'exténuer le tempérament, devenir un homme supérieur, amasser des trésors de science et d'expérience ? Un jour, sans avoir été prévenu, on est arrêté en pleine course, en recevant un grand coup de faux à travers le ventre, et tout votre talent, laborieusement acquis, ne vous sert plus qu'à engraisser les racines d'une touffe d'herbe. Ma parole d'honneur, c'est dégoûtant ! [Et] malheureusement, dans ma pensée, la seconde vie est pire que celle-ci. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XXXVIII ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 228-229).
. Grands hommes, obstrués et masqués par les sots, / Comme les hautes tours sur les toits de la ville, / De loin vos fronts grandis montent dans l’air tranquille ! (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Perspective », vers 12-14 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 312).
. Je n’ai pas la forfanterie de me croire des ennemis et des envieux ; c'est un bonheur qui n'est pas donné à tout le monde. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 220).
. D’Albert : « Comme, au premier mot vrai que je lâcherais, ce serait un hourra et un tollé général, j’ai préféré garder le silence, ou, si je parle, ne dégorger que des sottises reçues et ayant droit de bourgeoisie. – […] Pour les hommes, je ne peux pas non plus leur dire en face qu’ils ont tort de ne pas aller à quatre pattes ; et, en vérité, c’est ce que je pense de plus favorable à leur égard. – Je n’ai pas envie de me faire une querelle à chaque mot. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 374).
. Malheureusement pour la vertu, le vice a souvent la peau fine, la dent blanche et le teint pur. (Théophile Gautier, Les Roués Innocents (1846), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 1045).
. D’Albert : « Quelquefois j’envie sa stupidité plus que sa beauté. – Le mot de l’Évangile sur les pauvres d’esprit n’est pas complet : ils auront le royaume du ciel ; je n’en sais rien, et celà m’est bien égal ; mais à coup sûr ils ont le royaume de la terre, – ils ont l’argent et les belles femmes, c’est-à-dire les deux seules choses désirables qui soient au monde. – Connais-tu un homme d’esprit qui soit riche, et un garçon de cœur et de quelque mérite qui ait une maîtresse passable ? » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 368).
. Théodore/Madelaine : « La fortune aime assez à donner des pantoufles à ceux qui ont des jambes de bois, et des gants à ceux qui n'ont pas de mains ; – l’héritage qui aurait pu vous faire vivre à votre aise vous vient ordinairement le jour de votre mort. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XII ; Pléiade tome I, 2002, p. 452).
. Roderick : « Chaque femme comme chaque homme a son idéal ; on meurt quelquefois en le cherchant. Un an de vie de plus, on l’aurait trouvé. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Sous la table » ; Pléiade tome I, 2002, p. 30).
. C’est ainsi qu’il en est de toutes nos chimères : / La face en est charmante et le revers bien laid. / Nous leur prenons le sein, mais ces mauvaises mères / N’ont pas pour notre lèvre une goutte de lait. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Le sphinx », vers 13-16 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 123).
. Théodore/Madelaine : « C’est une chose qui vous leurre et vous trompe que de penser que toutes les aventures et tous les bonheurs n’existent qu’aux endroits où vous n’êtes pas, et c’est un mauvais calcul que de faire seller son cheval et de prendre la poste pour aller à la quête de son idéal. Beaucoup de gens font cette faute, bien d’autres encore la feront. – L’horizon est toujours du plus charmant azur, quoique, lorsque l’on y est arrivé, les collines qui le composent ne soient ordinairement que des glaises décharnées et fendues, ou des ocres lavées par la pluie. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XV ; Pléiade tome I, 2002, p. 494).
. Hélas ! que vais-je faire et que vais-je chercher ? / L’horizon charme l’œil : à quoi bon le toucher ? / Pourquoi d’un pied réel fouler les blondes grèves / Et les rivages d’or de l’univers des rêves ? / Poëte, tu sais bien que la réalité / A besoin, pour couvrir sa triste nudité, / Du manteau que lui file à son rouet d’ivoire / L’imagination, menteuse qu’il faut croire ; / Que tout homme en son cœur porte son Chanaan, / Et son Eldorado par-delà l’Océan. / N’as-tu pas dans tes mains assez crevé de bulles, / De rêves gonflés d’air et d’espoirs ridicules ? / Plongeur, n’as-tu pas vu sous l’eau du lac d’azur / Les reptiles grouiller dans le limon impur ? / L’objet le plus hideux, que le lointain estompe, / Prend une belle forme où le regard se trompe. / Le mont chauve et pelé doit à l’éloignement / Les changeantes couleurs de son beau vêtement ; / Approchez, ce n’est plus que rocs noirs et difformes, / Escarpements abrupts, entassements énormes, / Sapins échevelés, broussailles aux poils roux, / Gouffres vertigineux et torrents en courroux. / Je le sais, je le sais. Déception amère ! / Hélas ! j’ai trop souvent pris au vol ma chimère ! / Je connais quels replis terminent ces beaux corps, / Et la sirène peut m’étaler ses trésors : / À travers sa beauté je vois, sous les eaux noires, / Frétiller vaguement sa queue et ses nageoires. (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Départ », vers 63-90 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 253-254).
. Pour la grisette et pour l'artiste, / Pour le veuf et pour le garçon, / Une mansarde est toujours triste : / Le grenier n'est beau qu'en chanson. (Théophile Gautier, Émaux et Camées, « La mansarde » (1872), vers 25-28 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 114).
. D’Albert : « Quelle ironie sanglante qu’un palais en face d’une cabane, que l’idéal en face du réel, que la poésie en face de la prose ! […] Poëtes, peintres, sculpteurs, musiciens, pourquoi nous avez-vous menti ? Poëtes, pourquoi nous avez-vous raconté vos rêves ? Peintres, pourquoi avez-vous fixé sur la toile ce fantôme insaisissable qui montait et descendait de votre cœur à votre tête avec les bouillons de votre sang, et nous avez-vous dit : « Ceci est une femme » ? […] Musiciens, pourquoi avez-vous écouté, pendant la nuit, le chant des étoiles et des fleurs, et l’avez-vous noté ? Pourquoi avez-vous fait de si belles chansons que la voix la plus douce qui nous dit : « Je t’aime ! » nous paraît rauque comme le grincement d’une scie ou le croassement d’un corbeau ? – Soyez maudits, imposteurs !… » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 267).
. Car je sais maintenant que vaut cette fumée / Qu’au-dessus du néant pousse une renommée. / J’ai regardé de près et la science et l’art : / J’ai vu que ce n’était que mensonge et hasard. (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Thébaïde » (1837), vers 23-26 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 65-66).
. Chaque heure fait sa plaie et la dernière achève ! (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « L’horloge », vers 63-90 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 253-254).
. Le monde est ainsi fait : loi suprême et funeste ! / Comme l’ombre d’un songe au bout de peu d’instants / Ce qui charme s’en va, ce qui fait peine reste : / La rose vit une heure et le cyprès cent ans. (Théophile Gautier, Poésies (1830), « Méditation », vers 13-16 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 3).
. Marbre, perle, rose, colombe, / Tout se dissout, tout se détruit ; / La perle fond, le marbre tombe, / La fleur se fane et l'oiseau fuit. (Théophile Gautier, Émaux et Camées, « Affinités secrètes » (1849), vers 17-20 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 4).
. D’Albert : « On peint l'Amour avec un bandeau sur les yeux ; c'est le Destin qu'on devrait peindre ainsi. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 246).
. Ennana : « L’énigme que garde le sphinx n’a pas de mot, et la grande Pyramide ne recouvre que le néant de son énorme mystère. » (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. XVI ; Pléiade tome II, 2002, p. 628).
. D’Albert : « J’évite la compagnie des vieillards ; celà me contriste et m’affecte désagréablement, parce qu’ils sont ridés et déformés, quoique cependant quelques-uns aient une beauté spéciale ; et, dans la pitié que j’ai d’eux, il y a beaucoup de dégoût : – de toutes les ruines du monde, la ruine de l’homme est assurément la plus triste à contempler. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 325).
. Lady Eleanor : « Aucune perte n'est irréparable ; tout se remplace, et un homme en vaut un autre ; croyez-en ma vieille expérience. » (Théophile Gautier, Partie carrée (1848), chap. VI ; Pléiade tome II, 2002, p. 51).
. Mon Dieu ! que c’est une sotte chose que cette prétendue perfectibilité du genre humain dont on nous rebat les oreilles ! On dirait en vérité que l'homme est une machine susceptible d'améliorations, et qu'un rouage mieux engrené, un contrepoids plus convenablement placé peuvent faire fonctionner d'une manière plus commode et plus facile. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 231-232).
. Se croire le pivot de la création / Est une erreur commune à toute ambition ; / L’on est persuadé qu’on est indispensable, / Et l’on ne pèse pas le poids d’un grain de sable / Aux balances d’airain des grands événements. / L’on tombe chaque jour en des étonnements / À voir quel peu d’écume au torrent de l’abîme / Fait un homme jeté de la plus haute cime, / Et comme en peu de temps pour grand qu’il ait passé, / Par le premier qui vient on le voit remplacé. / Nos agitations ne laissent pas de trace : / C’est la bulle sur l’eau qui crève et qui s’efface ; / En vain l’on se raidit. Toujours d’un flot égal, / Le fleuve à travers tout court au gouffre fatal, / Et dans l’éternité mystérieuse et noire / Entraîne ce gravier que l’on nomme l’histoire. / Quand votre nom serait creusé dans le rocher, / L’intarissable flot qui semble le lécher, / Ainsi qu’un chien soumis qui veut flatter son maître, / De sa langue d’azur le fera disparaître, / Et, si profondément qu’ait fouillé le ciseau, / Le rocher à coup sûr durera moins que l’eau. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « À un jeune tribun », vers 65-86 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 116).
. Théodore : « Tu es donc matérialiste ? » — Roderick : « Je le suis, tous les hommes d’esprit le sont ; c’est plus sûr. Tu devrais bien l’être aussi, car il est bien évident qu’il existe cent et quelques livres de chair qu’on nomme Théodore, et l’existence de son esprit est au moins problématique, à entendre la sotte conversation que nous menons ensemble. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Sous la table » ; Pléiade tome I, 2002, p. 29).
. D’Albert : « En vérité, je crois que l’homme, et par l’homme j’entends aussi la femme, est le plus vilain animal qui soit sur la terre. Ce quadrupède qui marche sur ses pieds de derrière me paraît singulièrement présomptueux de se donner de son plein droit le premier rang dans la création. Un lion, un tigre sont plus beaux que les hommes, et dans leur espèce beaucoup d’individus atteignent à toute la beauté qui leur est propre. Cela est extrêmement rare chez l’homme. – Que d’avortons pour un Antinoüs ! que de Gothons pour une Philis ! » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 261).
. Vains projets ! notre esprit est pareil à la plume ; / Un souffle d’air l’emporte hors de son droit chemin, / Et nul ne peut prévoir ce qu’il fera demain. (Théophile Gautier, Poésies (1830), « Le jardin des plantes », vers 24-26 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 69-70).
. On m’a dit plusieurs fois qu’il faudrait faire quelque chose, penser à mon avenir. Le mot n’est-il pas ridicule dans notre bouche, à nous qui ne sommes pas sûrs d’une heure ? (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 20).
. L’avenir menaçant, dans ses noires ténèbres, / Ne présente à nos yeux que visions funèbres ; / Un aveugle destin au gouffre nous conduit : / Pour guider notre esquif sur cette mer profonde, / Dont tous les vents ligués fouettent en grondant l’onde, / Pas une étoile dans la nuit ! (Théophile Gautier, Dernières poésies, « À Jehan Duseigneur. Ode » (1831), I, vers 13-18 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 134).
. Y a-t-il quelque chose d'absolument utile sur cette terre et dans cette vie où nous sommes ? Dabord, il est très peu utile que nous soyons sur terre et que nous vivions. Je défie le plus savant de la bande de dire à quoi nous servons. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 229).
. Puisque rien ne vous veut, pourquoi donc tout vouloir ; / Quand il vous faut mourir, pourquoi donc vouloir vivre, / Vous qui ne croyez pas et n’avez pas d’espoir ? (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Ténèbres », vers 94-96 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 60).
. On s’assoit sur un tertre ; on dessine une vue, / On fait des vers, on lit, ou l’on passe en revue / Ses jeunes souvenirs et ses rêves d’amour, / Si longtemps caressés et perdus sans retour ; / On rebâtit sa vie au néant écroulée, / On voit ce qu’elle était, ou joyeuse ou troublée, / On examine à fond ses plaisirs, ses douleurs, / Et souvent la balance est du côte des pleurs. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché, « Le retour » (1831), vers 49-56 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 95).
. Hier, j’étais heureux. J’étais ! Mot doux et triste ! / Le bonheur est l’éclair qui fuit sans revenir. / Hélas ! et pour ne pas oublier qu’il existe, / Il le faut embaumer avec le souvenir. / J’étais. Je ne suis plus. Toute la vie humaine / Résumée en deux mots, de l’onde et puis du vent. / Mon Dieu ! n’est-il donc pas de chemin qui ramène / Au bonheur d’autrefois regretté si souvent ? (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Après le bal » (1834), vers 29-36 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 99).
. Toi, le coude au genou, le menton dans la main, / Tu rêves tristement au pauvre sort humain : / Que pour durer si peu la vie est bien amère, / Que la science est vaine et que l’art est chimère, / Que le Christ, à l’éponge, a laissé bien du fiel, / Et que tout n’est pas fleurs dans le chemin du ciel. (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Melancholia » (1834), vers 127-132 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 86-87).
. D’Albert : « Beaucoup de choses sont ennuyeuses : il est ennuyeux de rendre l’argent qu’on avait emprunté, et qu’on s’était accoutumé à regarder comme à soi ; il est ennuyeux de caresser aujourd’hui la femme qu’on aimait hier ; […] il est ennuyeux d’être portier ; il est ennuyeux d’être empereur ; il est ennuyeux d’être soi, et même d’être un autre ; il est ennuyeux d’aller à pied parce que l’on se fait mal à ses cors, à cheval parce que l’on s’écorche l’antithèse du devant, en voiture parce qu’un gros homme se fait immanquablement un oreiller de votre épaule, sur le paquebot parce que l’on a le mal de mer et qu’on se vomit tout entier ; – il est ennuyeux d’être en hiver parce que l’on grelotte, et en été parce qu’on sue. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XI ; Pléiade tome I, 2002, p. 403).
. Maintenant c’est le jour. La veille après le rêve ; / La prose après les vers : c’est le vide et l’ennui ; / C’est une bulle encor qui dans les mains nous crève, / C’est le plus triste jour de tous ; c’est aujourd’hui. / Ô Temps ! que nous voulons tuer et qui nous tues, / Vieux porte-faux, pourquoi vas-tu traînant le pied, / D’un pas lourd et boiteux, comme vont les tortues, / Quand sur nos fronts blêmis le spleen anglais s’assied ? (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Après le bal » (1834), vers 17-24 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 98-99).
. D’Albert : « Que Platon avait raison de vouloir vous bannir de sa république, et quel mal vous nous avez fait, ô poëtes ! Que votre ambroisie nous a rendu notre absinthe encore plus amère ! et comme nous avons trouvé notre vie encore plus aride et plus dévastée après avoir plongé nos yeux dans les perspectives que vous nous ouvrez sur l’infini ! que vos rêves ont amené une lutte terrible contre nos réalités ! et comme, durant le combat, notre cœur a été piétiné et foulé par ces rudes athlètes ! » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 266).
. Il prenait cependant son mal en patience. / – C’est un très grand fléau qu’une grande science ; / Elle change un bambin en Géronte ; elle fait / Que, dès les premiers pas dans la vie, on ne trouve, / Novice, rien de neuf dans ce que l’on éprouve. / Lorsque la cause vient, d’avance on sait l’effet ; / L’existence vous pèse et tout vous paraît fade. / – Le piment est sans goût pour un palais malade. / Un odorat blasé sent à peine l’éther : / L’amour n’est plus qu’un spasme, et la gloire un mot vide, / Comme un citron pressé le cœur devient aride. / – Don Juan arrive après Werther. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Albertus », LXX ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 162).
. Le bonheur est une chose si rare en ce monde, que l'homme n'a pas songé à inventer des paroles pour le rendre, tandis que le vocabulaire des souffrances morales et physiques remplit d'innombrables colonnes dans le dictionnaire de toutes les langues. (Théophile Gautier, Avatar (1856), chap. III ; Pléiade tome II, 2002, p. 336).
. D’Albert : « Les bienfaiteurs de l’humanité ont de la boue jusqu’au ventre et sont crottés comme des chiens, à moins qu’ils n’aient voiture. La création se moque impitoyablement de la créature et lui décoche à toute minute des sarcasmes sanglants. Tout est indifférent à tout, et chaque chose vit ou végète par sa propre loi. Que je fasse ceci ou celà, que je vive ou que je meure, que je souffre ou que je jouisse, que je dissimule ou que je sois franc, qu’est-ce que celà fait au soleil et aux betteraves et même aux hommes ? Un fétu de paille est tombé sur une fourmi et lui a cassé la troisième patte à la deuxième articulation ; un rocher est tombé sur un village et l’a écrasé : je ne crois pas que l’un de ces malheurs arrache plus de larmes que l’autre aux yeux d’or des étoiles. Tu es mon meilleur ami, si ce mot-là n’est pas aussi creux qu’un grelot ; je mourrais, il est bien évident, si éploré que tu sois que tu ne te passeras pas de dîner seulement deux jours, et que, malgré cette épouvantable catastrophe, tu n’en continueras pas moins de jouer fort agréablement au trictrac. – Quel est celui de mes amis, quelle est celle de mes maîtresses qui saura mes nom et prénoms dans vingt ans d’ici, et qui me reconnaîtrait dans la rue, si je venais à y passer avec un habit percé au coude ? – Oubli et néant, c’est tout l’homme. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 375).
. Le voyage est un maître aux préceptes amers : / Il vous montre l’oubli dans les cœurs les plus chers, / Et vous prouve – ô misère et tristesse suprême ! – / Qu’ingrat à votre tour, vous oubliez vous-même ! / Pauvre atome perdu, point dans l’immensité, / Vous apprenez ainsi votre inutilité. / Votre départ n’a rien dérangé dans le monde, / Déjà votre sillon s’est refermé sur l’onde. / Oublié par les uns, aux autres inconnu, / Dans des lieux où jamais votre nom n’est venu, / Parmi des yeux distraits et des visages mornes, / Vous allez sur la terre et sur la mer sans bornes. (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Départ », vers 103-114 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 254).
. « … si jamais tu es atteint de ce déplorable prurit du voyage, ce dont le ciel te préserve, mon cher enfant ! Il n'y a rien au monde de plus fatal au bonheur, et le besoin du déplacement s'accroît de toutes les satisfactions qu'on lui donne ; rien ne l'assouvit, et c'est une passion dont on meurt ! Moi, par exemple, c'est ce qui me tue. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 5, Charpentier, 1879, p. 125).
. L’esprit humain, même le plus éclairé, garde toujours un coin sombre, où s’accroupissent les hideuses chimères de la crédulité, où s’accrochent les chauves-souris de la superstition. La vie ordinaire elle-même est si pleine de problèmes insolubles, que l’impossible y devient probable. On peut croire ou nier tout : à un certain point de vue, le rêve existe autant que la réalité. (Théophile Gautier, Jettatura (1856), chap. VIII ; Pléiade tome II, 2002, p. 441).
. « Comment ! tu n'en as pas encore assez ? Quoi ! depuis près de cinquante ans que tu es au monde, tu n'es pas encore fatigué d'assister perpétuellement au spectacle de l'imbécilité triomphante, de l'éternel succès des médiocres et des méchants, de l'impossibilité ou nous sommes de faire le bien ? / Revivre autre part ! dans un monde différent, sur une autre planète… peut-être !… mais ici ! sur cette terre infâme où tout ce qui est beau est conspué, où les bons sont tous torturés, où l'intelligence est et sera toujours dévorée par la sottise !… Tu m'en donnes envie de vomir ! » (Théophile Gautier, propos oral vers 1869, rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XL ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 236-237).
. « Rien ne sert à rien, et dabord il n’y a rien, cependant tout arrive, mais celà est bien indifférent ! » (Théophile Gautier, propos oral fréquemment répété à la fin de sa vie et rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 4, Charpentier, 1879, p. 119-120). [3]
. Le rugissement d’un lion fait taire les miaulements d’une troupe de chacals. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. III ; Pléiade tome II, 2002, p. 537).
. On s’ennuie à marcher dans un sentier connu. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Albertus », LXXI ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 162).
. [Il] avait cédé à ce besoin de changer de place qui agite les cœurs tourmentés d’une passion inassouvie. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. X ; Pléiade tome II, 2002, p. 584).
. L’homme d’un jour n’aime qu’un jour. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Albertus », XCVI ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 175).
. D’Albert : « Rien au monde n'est plus maussade qu'une folie raisonnable. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 258).
. D’Albert : « Les hommes de génie sont très bornés, et c’est pour cela qu’ils sont hommes de génie. Le manque d’intelligence les empêche d’apercevoir les obstacles qui les séparent de l’objet auquel ils veulent arriver ; ils vont, et, en deux ou trois enjambées, ils dévorent les espaces intermédiaires. – Comme leur esprit reste obstinément fermé à certains courants, et qu’ils ne perçoivent que les choses qui sont les plus immédiates à leurs projets, ils font une bien moindre dépense de pensée et d’action : rien ne les distrait, rien ne les détourne, ils agissent plutôt par instinct qu’autrement, et plusieurs, tirés de leur sphère spéciale, sont d’une nullité que l’on a peine à comprendre. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XI ; Pléiade tome I, 2002, p. 421).
. Les plus grands cœurs, hélas ! ont les plus grandes peines ; / Dans la coupe profonde il tient plus de douleurs ; / Le ciel se venge ainsi sur les gloires humaines. (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Ribeira », vers 52-54 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 275).
. Tahoser : « Qu’importent toutes les choses qu’on possède, si l’on n’a pas la seule qu’on souhaite ? Un désir non satisfait rend le riche aussi pauvre dans son palais doré et peint de couleurs vives, au milieu de ses amas de blé, d’aromates et de matières précieuses, que le plus misérable ouvrier des Memnonia qui recueille avec de la sciure de bois le sang des cadavres, ou que le nègre demi-nu manœuvrant sur le Nil sa frêle barque de papyrus, à l’ardeur du soleil de midi. » (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. II ; Pléiade tome II, 2002, p. 528).
. L’enveloppe humaine, qui a si peu de force pour le plaisir, et qui en a tant pour la douleur, n’aurait pu supporter une plus haute pression de bonheur. (Théophile Gautier, Le Cleube des hachichins (1846) ; Pléiade tome I, 2002, p. 1015).
. D’Albert : « Je ne trouve rien d’absurde à cette loi qui obligeait les juges à n’entendre plaider les avocats que dans un lieu obscur, de peur que leur bonne mine, la grâce de leurs gestes et de leurs attitudes ne les prévinssent favorablement et ne fissent pencher la balance. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 324).
. Le pouvoir de la beauté est sans bornes, l’étrangeté fait naître le caprice. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. III ; Pléiade tome II, 2002, p. 540).
. L’esprit de l’homme n’a point de bornes en ses aberrations. (Théophile Gautier, Les Grotesques, chap. IV (1834) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 173).
. La corruption a des attraits inexplicables même pour les âmes les plus honnêtes. (Théophile Gautier, Les Roués Innocents (1846), chap. III ; Pléiade tome I, 2002, p. 1052).
. Plus de gens qu’on ne le pense, et celà parmi les plus forts et les plus spirituels, vivent pour obtenir l’approbation d’individus quelquefois sans mérite. (Théophile Gautier, Les Roués Innocents (1846), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 1045).
. Il était dans cette situation atroce où se trouve tout homme qui a inventé quelque chose et qui ne rencontre personne pour y croire. (Théophile Gautier, Les Jeunes-France, « Onuphrius » (1832) ; Pléiade tome I, 2002, p. 45).
. Il est douloureux de voir un autre s'asseoir au banquet où l'on n'est pas invité, et coucher avec la femme qui n'a pas voulu de vous. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 220).
. Peu de gens ont le courage d’être lâches devant témoins. (Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse (1863), chap. IX ; Pléiade tome II, 2002, p. 863).
. Thamar : « Ô jeunesse imprudente ! ô jeunesse folle, qui ne sait rien voir, et qui marche dans la vie pleine de confiance, sans croire aux embûches, à la ronce cachée sous l’herbe, au charbon couvert de cendre, et qui caresserait volontiers la vipère, prétendant que ce n’est qu’une couleuvre ! » (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. XI ; Pléiade tome II, 2002, p. 595).
. Je suis trop jeune encor, je veux aimer et vivre, / Ô mort… et je ne puis me résoudre à te suivre / Dans le sombre chemin ; / Je n’ai pas eu le temps de bâtir la colonne / Où la gloire viendra suspendre ma couronne ; / Ô mort, reviens demain ! (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), IX, vers 25-30 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 46).
. Penser une chose, en écrire une autre, celà arrive tous les jours, surtout aux gens vertueux. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 211).
. Les existences les plus claires ont leurs coins ténébreux ; les poèmes les plus intelligibles leur passage indéchiffrable ! (Théophile Gautier, Les Roués Innocents (1846), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 1071).
. D’Albert : « Je n’aime pas beaucoup les mamans, et j’aime encore moins les petites filles. Je dois avouer aussi que les femmes mariées n’ont qu’un très médiocre attrait pour moi. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 253).
. D’Albert : « Je suis peu épris de ce qu'on appelle candeur virginale, innocence du bel âge, pureté de coeur, et autres charmantes choses qui sont du plus bel effet en vers ; j'appelle tout bonnement celà niaiserie, ignorance, imbécilité ou hypocrisie. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 253).
. D’Albert : « Celles qui auraient assez de jeunesse n’ont pas assez de beauté ou d’agréments dans l’esprit ; celles qui sont belles et jeunes sont d’une vertu ignoble et rebutante, ou manquent de la liberté nécessaire. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 253).
. D’Albert : « Je vois tant d’hommes, ignobles sous tous les rapports, avoir de belles femmes dont ils sont à peine dignes d’être les laquais, que la rougeur m’en monte au front pour elles – et pour moi. Celà me fait prendre une pitoyable opinion des femmes de les voir s'enticher de tels goujats qui les méprisent et les trompent, plutôt que de se donner à quelque jeune homme loyal et sincère qui s’estimerait fort heureux, et les adorerait à genoux ; à moi, par exemple. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 252).
. Roderick : « Y a-t-il dans le monde une femme qui n’ait jamais failli, je ne dis pas en action, il y en a, mais en pensée ? je ne le crois pas. […] À bien fouiller la vertu des femmes, il ne reste à l’analyse que des vices, l’orgueil et la peur. Quelle est la femme qui, sûre du secret, aura la force de résister ? aucune ; c’est ce qui explique pourquoi les prêtres avaient tant de femmes autrefois. Quelle est la femme qui, arrivée au bout de sa carrière, ne se soit pas repentie d’avoir été vertueuse ? quelle est la femme qui n’a pas souhaité d’être homme ? / Il y a des femmes qui restent vertueuses pour se donner le plaisir de déchirer celles qui ne le sont pas : celles-ci par la crainte qu’elles ont de celles-là ; d’autres par nonchalance ou faute d’occasions ; d’autres enfin par impuissance ou froideur naturelle, parce qu’elles n’ont ni cœur, ni entrailles, parce qu’elles ne sentent ni ne comprennent rien : ce sont les pires de toutes et les plus communes. / Au fond, il n’y a guère que le moyen de corruption qui varie ; elles sont toutes corruptibles. Une cède parce que son orgueil est flatté, parce que vous êtes pair de France, que vous êtes duc, que vous avez une célébrité quelconque ; une parce qu’elle aime les parures, les diamants et les plumes ; l’autre, pour tout autre motif, pour avoir quelqu’un à qui parler, à qui donner le bras ; c’est un grand hasard quand il y en a une qui cède par amour : ce sont là les vertueuses, à mon sens. / Celle qui tient encore à cent-milles francs, céderait à deux-cents. […] Il n’y a pas de différence de la femme qui se livre pour un million à la fille qui se prostitue pour cent sous. / Cette femme est vertueuse, c’est bien, je veux le croire ; qui vous dit qu’il faut lui en avoir d’obligation ? Un coup de sonnette, une porte ouverte brusquement, sont peut-être la seule cause de cette vertu intacte dont elle fait tant d’étalage. / Un bon verrou bien tiré, et une porte dérobée en cas d’accident, il n’y a pas de vertu avec celà. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Sous la table » ; Pléiade tome I, 2002, p. 29-30).
. D’Albert : « La femme qui a un mari et un amant est une prostituée pour l'un des deux, et souvent pour tous deux. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 253).
. « La prostitution est l'état ordinaire de la femme, je l’ai dit. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 22 juin 1863 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 976).
. D’Albert : « Il est bien entendu qu’on est toujours le premier amant d’une femme. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 254).
. Les femmes sont curieuses : fassent le ciel et la morale qu'elles contentent leur curiosité d'une manière plus légitime qu'Ève leur grand-mère, et n'aillent pas faire des questions au serpent ! (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 225).
. Quelle est la femme, si parfaite qu'elle soit, qui n'ait pas de vanité ? (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. XIII ; Pléiade tome II, 2002, p. 610).
. D’Albert : « Je n'ai jamais demandé aux femmes qu'une seule chose, – c'est la beauté ; je me passe très volontiers d'esprit et d'âme. – Pour moi, une femme qui est belle a toujours de l'esprit ; – elle a l'esprit d'être belle, et je ne sais pas lequel vaut celui-là. […] Je préfère une jolie bouche à un joli mot, et une épaule bien modelée à une vertu, même théologale : je donnerais cinquante âmes pour un pied mignon. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 322).
. D’Albert : « J'ai pour les femmes le regard d'un sculpteur et non celui d'un amant. Je me suis toute ma vie inquiété de la forme du flacon, jamais de la qualité du contenu. J’aurais eu la boîte de Pandore entre les mains, je crois que je ne l’eusse pas ouverte. Tout à l’heure je disais que le Christ n’était pas venu pour moi ; Marie, l’étoile du Ciel moderne, la douce mère du glorieux bambin, n’est pas venue non plus. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 369-370).
. D’Albert : « La Vénus sort de la mer pour aborder au monde – comme il convient à une divinité qui aime les hommes –, toute nue et toute seule. – Elle préfère la terre à l’Olympe et a pour amants plus d’hommes que de dieux : elle ne s’enveloppe pas des voiles langoureux de la mysticité ; elle se tient debout, son dauphin derrière elle, le pied sur sa conque de nacre ; le soleil frappe sur son ventre poli, et de sa blanche main elle soutient en l’air les flots de ses beaux cheveux où le vieux père Océan a semé ses perles les plus parfaites. – On la peut voir : elle ne cache rien, car la pudeur n’est faite que pour les laides, et c’est une invention moderne, fille du mépris chrétien de la forme et de la matière. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 371).
. D’Albert : « Et cependant, je dois l’avouer, malgré tout le respect que je porte à cette intéressante moitié du genre humain, ce qu’on est convenu d’appeler le beau sexe est diablement laid : sur cent femmes il y en avait à peine une de passable. […] En général, que de fatigue sur ces figures ! comme elles sont flétries, étiolées, usées ignoblement par de petites passions et de petits vices ! Quelle expression d’envie, de curiosité méchante, d’avidité, de coquetterie effrontée ! et qu’une femme qui n’est pas belle est plus laide qu’un homme qui n’est pas beau ! » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 260).
. D’Albert : « Je considère la femme, à la manière antique, comme une belle esclave destinée à nos plaisirs. – Le christianisme ne l’a pas réhabilitée à mes yeux. C’est toujours pour moi quelque chose de dissemblable et d’inférieur que l’on adore et dont on joue, un hochet plus intelligent que s’il était d’ivoire ou d’or, et qui se relève lui-même si on le laisse tomber à terre. – On m’a dit, à cause de celà, que je pensais mal des femmes ; je trouve, au contraire, que c’est en penser fort bien. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 372).
. D’Albert : « Il est vrai que les femmes ne s’entendent pas plus en poésie que les choux et les roses, ce qui est très naturel et très simple, étant elles-mêmes la poésie ou tout au moins les meilleurs instruments de poésie : la flûte n’entend ni ne comprend l’air que l’on joue sur elle. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 372-373).
. Rodolphe : « La Mariette, à qui je n’ai jamais fait de madrigal ni dit un seul mot d’amour, m’accorde libéralement et du meilleur cœur du monde, ce qu’une femme comme il faut me ferait attendre six mois, et ne me donnerait qu’avec force tartines sur la morale, les convenances et l’oubli des devoirs. Puisque le but est le même, le chemin le plus court est le meilleur. Mariette est le plus court, je prends par Mariette. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 99).
. Rodolphe : « Retiens ceci, et serre-le dans un des tiroirs de ton jugement pour t'en servir à l'occasion. Toute femme en vaut une autre, pourvu qu’elle soit aussi jolie : la duchesse et la couturière sont semblables à de certains moments, et la seule aristocratie possible maintenant chez les femmes, c’est la beauté ; chez les hommes, c’est le génie. Aie du génie et une belle femme, et je t’appellerai monsieur le comte, et ta femme madame la comtesse. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 100-101).
. « Il est très certain que tous les hommes, et les artistes surtout, ont besoin de se soustraire quelquefois à l'influence dissolvante de la femme. Le commerce de la femme, par sa douceur même, excite à l'improduction, ou tout au moins il débilite les facultés mères de l'esprit. Hercule aux pieds d'Omphale finit par filer la quenouille. Le café répond à cette nécessité véritable que le mâle éprouve de hanter le mâle et de sortir parfois du gynécée. / Encore cette nécessité n'eût-elle point engendré une habitude universelle si la femme moderne avait un sens plus juste de son rôle et si les romanciers ne lui avaient point faussé l'idée de l'amour. Mais il faut bien le dire, soit résultat d'une éducation étroite, soit effet d'une vraie infériorité intellectuelle, la femme ne connaît plus la mesure de sa fonction ; ou elle n'aime pas, ou elle aime trop. C'est entre ces deux exagérations que se classe le sentiment calme d'où naît la famille. Or, à Paris du moins, la famille se meurt. Le mariage moderne a fait de la femme tout excepté la compagne de l'homme. Ce qu'on appelle le foyer n'est qu'un tas de cendres où nul ne se réchauffe, ni le père, ni la mère, ni les enfants, et lorsque dans une union l'heure de la désillusion sensuelle a sonné, lorsque la femme a découvert qu'elle n'était pas tout, absolument tout, dans la vie de l'homme, lorsque l'homme aussi s'est aperçu que la femme l'absorbait trop, une scission trop fatale se produit et le mâle se sent dégoûté de la femelle. C'est alors que le café, le café où il n'y a pas de femmes, ouvre au malheureux son antre de consolations fumeuses, et qu'il se sent soulagé du cotillon. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 10, Charpentier, 1879, p. 178-180).
. « La femme s’en va, il n’y a plus de fond. Elle n’est plus qu’une petite gymnastique vénérienne et un petit fonds de sentimentalité. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 1er mars 1862 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 778).
. Ne regardez jamais une femme, et marchez toujours les yeux fixés en terre, car, si chaste et si calme que vous soyez, il suffit d’une minute pour vous faire perdre l’éternité. (Théophile Gautier, La Morte amoureuse (1836), excipit ; Pléiade tome I, 2002, p. 552).
. Lecteur, sans hyperbole elle était vraiment belle, / – Très belle ! – C’est-à-dire elle paraissait telle, / Et c’est la même chose. – Il suffit que les yeux / Soient trompés, et toujours ils le sont quand on aime. / – Le bonheur qui nous vient d’un mensonge est le même / Que s’il était prouvé par l’algèbre. – Être heureux, / Qu’est-ce ? – Sinon le croire et caresser son rêve, / Priant Dieu qu’ici-bas jamais il ne s’achève ; / Car la foi seule peut nous faire voir le ciel / Dans l’exil de la vie, et ce désert du monde / Où la félicité sur le néant se fonde, / Et le malheur sur le réel. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Albertus », XXIII ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 138).
. D’Albert : « Le vrai paradis n'est pas au ciel, mais sur la bouche d'une personne aimée. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. III ; Pléiade tome I, 2002, p. 295).
. Théodore/Madelaine : « Quoi que l’on ait dit de la satiété du plaisir et du dégoût qui suit ordinairement la possession, tout homme qui a l’âme un peu bien située, et qui n’est pas blasé misérablement et sans ressource, sent son amour s’augmenter de son bonheur, et très souvent le meilleur moyen de retenir un amant prêt à s’éloigner, c’est de se livrer à lui avec un entier abandon. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XII ; Pléiade tome I, 2002, p. 464).
. Rodolphe : « Au fond, il n’y a rien de sûr en amour que la possession : le plus petit baiser prouve plus et vaut mieux que la plus belle protestation et je donnerais, moi qui te parle, pour une seule pulsation du cœur, la plus magnifique tirade sur l’union des âmes et autres niaiseries de cette force, bonnes pour des écoliers, des impuissants, des lamentateurs de l’école de Lamartine, et quelques idiots de haute futaie. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 100).
. Théodore/Madelaine : « Tous, les jeunes comme les vieux, me paraissaient avoir adopté uniformément un masque de convention, des sentiments de convention, lorsqu'ils étaient devant les femmes. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. X ; Pléiade tome I, 2002, p. 383).
. D’Albert : « Je parle assez élégamment d’amour, parce que j’ai lu beaucoup de belles choses là-dessus. Il ne faut pour celà que le talent d’un acteur. Avec beaucoup de femmes, cette apparence suffit ; l’habitude d’écrire et d’imaginer fait que je ne reste pas à court sur ces matières, et tout esprit un peu exercé, en s’appliquant, parviendra aisément à ce résultat. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 374).
. D’Albert : « La reconnaissance est un chemin de traverse qui mène bien vite à l’amour. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 258).
. L'amour naît souvent d'un coup d'œil, […] et bien des passions sérieuses n'ont pas eu d'autres débuts. (Théophile Gautier, Spirite (1865), chap. V ; Pléiade tome II, 2002, p. 1144).
. Tout vous effraie. On dit qu’infortune pareille / Ne s’est pas encor vue et que l’on en mourra ; / L’on n’en meurt pas ; demain peut-être on en rira. / Vous veniez pour vous plaindre : un baiser, un sourire, / Et vous ne savez plus ce que vous veniez dire. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Élégie », vers 8-12 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 202).
. Roderick : « Tu ne sais pas combien on est malheureux d’aimer quelqu’un qui n’a pas de vice ; ce sont les vices de nos amis et de nos maîtresses qui nous attachent à eux, car il nous donnent le moyen de les flatter et de leur être agréable ; vous vous faites le valet et le pourvoyeur d’un de leurs vices, vous vous rendez nécessaire, et c’est ainsi que se nouent les amitiés les plus solides. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Sous la table » ; Pléiade tome I, 2002, p. 37).
. Arria Marcella : « La croyance fait le dieu, et l’amour fait la femme. On n’est véritablement morte que quand on n’est plus aimée. » (Théophile Gautier, Arria Marcella (1852) ; Pléiade tome II, 2002, p. 309).
. Hélas ! et qui n’a pas, épris de quelque femme, / Pour faire monter l’eau du divin sentiment, / Jeté l’or de son cœur au puits sans fond d’une âme, / Sur l’abîme muet penché stupidement ! (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. Pièces diverses, « Le puits mystérieux » (1840), vers 13-16 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 240).
. Théodore/Madelaine : « L'amour est comme la fortune, il n'aime pas que l'on coure après lui. Il visite de préférence ceux qui dorment au bord des puits, et souvent les baisers des reines et des dieux descendent sur des yeux fermés. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XV ; Pléiade tome I, 2002, p. 494).
. Comme tous les amants rebutés, il se demandait encore pourquoi il n’était pas aimé, – comme si l’amour avait un pourquoi ! la seule raison qu’on en puisse donner est le parce que, réponse logique dans son laconisme entêté, que les femmes opposent à toutes les questions embarrassantes. (Théophile Gautier, Avatar (1856), chap. XII ; Pléiade tome II, 2002, p. 392).
. L’espérance est dure à mourir au cœur amoureux. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. IX ; Pléiade tome II, 2002, p. 583).
. C’est un métier de dupe / Que d’employer six ans à lever une jupe. (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 99). [4]
. N'écoutez pas l'Amour, car c'est un mauvais maître ; / Aimer, c'est ignorer, et vivre, c'est connaître. (Théophile Gautier, La Comédie de la mort (1838), VII, vers 115-116 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 40).
. Théodore/Madelaine : « C’est une chose effrayante à penser et à laquelle on ne pense pas, combien nous ignorons profondément la vie et la conduite de ceux qui paraissent nous aimer et que nous épouserons. Leur existence réelle nous est aussi parfaitement inconnue que s’ils étaient des habitants de Saturne ou de quelque autre planète à cent millions de lieues de notre boule sublunaire : on dirait qu’ils sont d’une autre espèce, et il n’y a pas le moindre lien intellectuel entre les deux sexes ; – les vertus de l’un font les vices de l’autre, et ce qui fait admirer l’homme fait honnir la femme. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. X ; Pléiade tome I, 2002, p. 386).
. Rosette : « C’est déjà un bonheur que de pouvoir aimer même quand on est seul à aimer, et beaucoup meurent sans l’avoir eu, et souvent les plus à plaindre ne sont pas ceux qui aiment. » — Théodore : « Ceux-là souffrent et sentent leurs plaies, mais du moins ils vivent. Ils tiennent à quelque chose ; ils ont un astre autour duquel ils gravitent, un pôle auquel ils tendent ardemment. Ils ont quelque chose à souhaiter ; ils se peuvent dire : "Si je parviens là, si j’ai cela, je serai heureux." Ils ont d’effroyables agonies, mais en mourant ils peuvent au moins se dire : "Je meurs pour lui." Mourir ainsi, c’est renaître. – Les vrais, les seuls irréparablement malheureux sont ceux dont la folle étreinte embrasse l’univers entier, ceux qui veulent tout et ne veulent rien, et que l’ange ou la fée qui descendrait et leur dirait subitement : "Souhaitez une chose, et vous l’aurez", trouverait embarrassés et muets. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. VI ; Pléiade tome I, 2002, p. 344-345).
. Rodolphe : « Quant à moi, je suis paresseux, même en amour, et j’aime à être servi. Tout charmant qu’il soit, je n’achèterais pas ce plaisir [=l’amour] par la moindre peine, et j’ai toujours méprisé les chiens qui font des gambades et sautent par-dessus un bâton pour avoir une tartelette ou une croquignole. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 100).
. D’Albert : « Je me soucie assez peu de faire épeler l'alphabet de l'amour à de petites niaises. […] Je préfère les femmes qui lisent couramment, on est plus tôt arrivé à la fin du chapitre ; et en toutes choses, et surtout en amour, ce qu'il faut considérer, c’est la fin. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. I ; Pléiade tome I, 2002, p. 254).
. Rodolphe : « Rien de plus agréable au monde qu’une femme qui vous embrasse et vous tire vos bottes, qui ramasse votre mouchoir au lieu de vous faire ramasser le sien, et refait toute seule le lit que vous avez défait avec elle. Ni billets à écrire, ni élégies à rimer, ni factions à faire, ni rendez-vous à ne pas manquer, rien enfin de ces mille sujétions qui vous font un travail de galérien de la chose la plus nonchalante et la moins compliquée de la terre. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 100).
. Rodolphe : « Nous autres, Français, quoique nés malins depuis un temps immémorial, nous sommes, à vrai dire de francs imbéciles, et nous ne portons pas les culottes. Ma foi, vivent les Turcs ! ces gaillards-là entendent les choses de la belle manière et comprennent largement la femme : outre qu’ils en ont plusieurs, ils les tiennent sous clef ; c’est doublement bien vu. L’Orient est, à mon sens, le seul pays du monde où les femmes soient à leur place : à la maison et au lit. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Celle-ci et celle-là » ; Pléiade tome I, 2002, p. 101).
. « Baiser une fois par an, je vous assure que c’est suffisant. […] Et puis, je trouve humiliant qu’une gaupe puisse croire que vous avez besoin de lui sauter dessus. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 17 juillet 1863 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 990).
. Restons pour être aimés et pour qu’on se souvienne / Que nous sommes au monde ; il n’est amour qui tienne / Contre une longue absence : oh ! malheur aux absents ! / Les absents sont des morts et, comme eux, impuissants. / Dès qu’aux yeux bien aimés votre vue est ravie, / Rien ne reste de vous qui prouve votre vie ; / Dès que l’on n’entend plus le son de votre voix, / Que l’on ne peut sentir le toucher de vos doigts, / Vous êtes mort ; vos traits se troublent et s’effacent / Au fond de la mémoire, et d’autres les remplacent. / Pour qu’on lui soit fidèle il faut que le ramier / Ne quitte pas le nid et vive au colombier ; / Restons au colombier. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « La chanson de Mignon », vers 93-105 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 132).
. Le mariage est une maladie qui ne se guérit que par la mort de l’un des deux époux. (Théophile Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, tome IV, chap. II, 17 février 1845, Hetzel / Magnin Blanchard et Cie, 1859, p. 46).
. Puis un amour âgé de trois ans importune ; / C’est presque un mariage ; un jour, avec l’ennui / Vient la réflexion ; l’amour s’en va. – Celui / Qui jadis à vos yeux était plus que vous-même, / Celui qui le premier vous avait dit : « Je t’aime ! » / N’est plus pour vous qu’un nom dont le vain souvenir / Contre un amour nouveau ne peut longtemps tenir ; / Ce nom, qui résonnait naguère à votre oreille, / Aussi doux que la voix du rossignol, n’éveille / Au fond de votre cœur, de sa faute confus, / Qu’un sentiment cruel du bonheur qu’il n’a plus ; / Et comme pour deux noms l’âme n’a pas de place, / L’ancien est rejeté. – Lettre à lettre il s’efface / Ainsi que le ci-gît d’un tombeau sous les pas / De la foule qui chante et ne l’aperçoit pas. / – Le cœur qui n’aime plus a si peu de mémoire ! / On rougit de l’amour dont on se faisait gloire, / Le temps coule, et bientôt on arrive à ce point / De dire en le voyant : « Je ne le connais point. » (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Élégie IV », vers 22-40 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 111).
. Le cœur de l’homme est plein d’oubli : / C’est une eau qui remue et ne garde aucun pli. / L’herbe pousse moins vite aux pierres de la tombe / Qu’un autre amour dans l’âme, et la larme qui tombe / N’est pas séchée encor, que la bouche sourit, / Et qu’aux pages du cœur un autre nom s’écrit. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « La chanson de Mignon », vers 87-92 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 132).
. Rosette : « Il y a à aimer sans être aimé un charme mélancolique et profond, et il est beau de se ressouvenir de ceux qui nous oublient. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. VI ; Pléiade tome I, 2002, p. 344).
. L’auteur […] n’a vu du monde que ce que l’on en voit par la fenêtre, et il n’a pas eu envie d’en voir davantage. […] Il aime mieux être assis que debout, couché qu’assis. – C’est une habitude toute prise quand la mort vient nous coucher pour toujours. – Il fait des vers pour avoir un prétexte de ne rien faire, et ne fait rien sous prétexte qu’il fait des vers. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), préface ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1832, tome I, p. 81).
. D’Albert : « Si j’agissais davantage, […] le bruit de l’action ferait envoler cet essaim de pensées oisives qui voltigent dans ma tête et m’étourdissent du bourdonnement de leurs ailes : au lieu de poursuivre des fantômes, je me colletterais avec des réalités ; je ne demanderais aux femmes que ce qu’elles peuvent donner : – du plaisir –, et je ne chercherais pas à embrasser je ne sais quelle fantastique idéalité parée de nuageuses perfections. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. II ; Pléiade tome I, 2002, p. 279).
. Rien n’est plus contraire aux règles du plus haut dandysme que de se reconnaître, par la surprise ou l’admiration, inférieur à quelque chose. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), prologue ; Pléiade tome II, 2002, p. 504).
. « Un homme ne doit se montrer affecté de rien, celà est honteux et dégradant, il ne doit pas montrer de sensibilité, et surtout dans ses amours, – la sensibilité est un côté inférieur en art et en littérature. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 9 novembre 1863 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 1029).
. L’occupation la plus séante à un homme policé me paraît de ne rien faire, ou de fumer analytiquement sa pipe ou son cigare. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 231).
. Calme comme il convient à ceux dont les sandales estampées de captifs liés par les coudes reposent sur la tête des peuples, il attendit. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. X ; Pléiade tome II, 2002, p. 588).
. … l’attitude solennelle des dieux et des rois qui, pouvant tout, ne remuent pas et ne font pas de geste. (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. X ; Pléiade tome II, 2002, p. 585).
. Que ferais-tu là-bas sur le sol étranger ? / Ah ! la patrie est belle et l’on perd à changer. / Crois-moi, garde ton rêve. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « La chanson de Mignon », vers 35-37 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 130).
. Fils du Danube, ils vont se noyer dans le Tage ; / D’un bout du monde à l’autre ils courent à leur mort ; / Ils auraient pu du moins s’épargner le voyage ! (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Ténèbres », vers 61-63 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 58).
. S’empêcher de mourir, ce n’est pas vivre ; et je ne vois pas en quoi une ville organisée utilitairement serait plus agréable à habiter que le Père-la-Chaise. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 230).
. « Quand j'étais en Espagne, j'étais forcené pour les courses de taureaux, et l'on m'aurait désopilé si l'on m'avait dit qu'il existait un pays où le jeu en était proscrit comme immoral et attentatoire à la loi Grammont ! Les courses de taureaux en Espagne me semblent aussi naturelles qu'une première de Dumas au Gymnase, à Paris, ou qu'une vendetta en Corse, et celà, parce que, dès que j'ai mis le pied dans un pays, j'en deviens indigène, j'en endosse le costume, si je peux. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 5, Charpentier, 1879, p. 127).
. Je sais qu’il y en a qui préfèrent les moulins aux églises, et le pain du corps à celui de l’âme. À ceux-là, je n’ai rien à dire. Ils méritent d’être économistes dans ce monde, et aussi dans l’autre. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 229).
. Il y a deux sortes d’utilité, et le sens de ce vocable n’est jamais que relatif. Ce qui est utile pour l’un ne l’est pas pour l’autre. Vous êtes savetier, je suis poëte. – Il est utile pour moi que mon premier vers rime avec mon second. – Un dictionnaire de rimes m’est d’une grande utilité ; vous n’en avez que faire pour carreler une vieille paire de bottes, et il est juste de dire qu’un tranchet ne me servirait pas à grand-chose pour faire une ode. – Après celà, vous objecterez qu’un savetier est bien au-dessus d’un poëte, et que l’on se passe mieux de l’un que de l’autre. Sans prétendre rabaisser l’illustre profession de savetier, que j’honore à l’égal de la profession de monarque constitutionnel, j’avouerai humblement que j’aimerais mieux avoir mon soulier décousu que mon vers mal rimé, et que je me passerais plus volontiers de bottes que de poëmes. Ne sortant presque jamais, et marchant plus habilement par la tête que par les pieds, j’use moins de chaussures qu’un républicain vertueux qui ne fait que courir d’un ministère à l’autre pour se faire jeter quelque place. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 229).
. Car le bonheur est fait de trois choses sur terre, / Qui sont : un beau soleil, une femme, un cheval. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché, « Sonnet V » (1831), vers 13-14 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 101).
. Théodore/Madelaine : « Il n’est rien de pis que ces expériences hâtives, qui ne sont point le fruit de l’action. – L’ignorance la plus complète vaudrait cent mille fois mieux, elle vous ferait au moins commettre beaucoup de sottises qui serviraient à vous instruire et à rectifier vos idées. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XV ; Pléiade tome I, 2002, p. 495).
. Malheur, malheur à qui dans cette mer profonde / Du cœur de l’homme jette imprudemment la sonde ! / Car le plomb bien souvent, au lieu de sable d’or, / De coquilles de nacre aux beaux reflets de moire, / N’apporte sur le pont que boue infecte et noire. / – Oh ! Si je pouvais vivre une autre vie encor ! / Certes, je n’irais pas fouiller dans chaque chose / Comme j’ai fait. – Qu’importe après tout que la cause / Soit triste, si l’effet qu’elle produit est doux ? / – Jouissons, faisons-nous un bonheur de surface ; / Un beau masque vaut mieux qu’une vilaine face. / – Pourquoi l’arracher, pauvres fous ? (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Albertus », LXXII ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 163).
. Dailleurs, à quoi bon toutes ces précautions ? Offrons sans crainte notre cœur à la vie ; laissons la pourpre de nos veines s'écouler par mille blessures ; que l'existence nous traverse dans tous les sens. Oh ! bienheureux ceux qui peuvent être dupes ! Si notre maîtresse nous trompe, tant pis pour elle ! si notre ami nous hait, tant pis pour lui ! Vive l'amour et l'amitié ! Si le dieu n'est qu'une idole, plaignons l'idole et non le dévot. (Théophile Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, tome VI, chap. I, 20 novembre 1848, Hetzel / Magnin Blanchard et Cie, 1859, p. 16).
. Quant à ce qui est de la morale, rien ne m’a paru plus insignifiant que les vices de l’homme, si ce n’est la vertu de la femme. (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 22).
. Nofré : « Quand on est triste, il faut se mêler à la foule. La solitude nourrit les pensées sombres. » (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), chap. II ; Pléiade tome II, 2002, p. 529).
. Hérode : « Un peu de badauderie ne messied point au voyageur nouveau débarqué. Il y aurait plus de sauvagerie que de sagesse à mépriser avec rebuffades sourcilleuses ce qui fait le charme du populaire. » (Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse (1863), chap. XI ; Pléiade tome II, 2002, p. 912).
. D’Albert : « Je trouve tout simple qu’une jeune fille se prostitue ; […] je ne me ferais pas le plus léger scrupule de pousser du pied dans un précipice les gens qui me gênent, si je marchais sur le bord avec eux. – Je verrais de sang-froid les scènes les plus atroces, et il y a dans les souffrances et dans les malheurs de l’humanité quelque chose qui ne me déplaît pas. – J’éprouve à voir quelque calamité tomber sur le monde le même sentiment de volupté âcre et amère que l’on éprouve quand on se venge enfin d’une vieille insulte. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. VIII ; Pléiade tome I, 2002, p. 358).
. D’Albert : « Qu’importe, au bout du compte, ce que je pense ou ce que je ne pense pas ; que je sois triste lorsque je semble gai, joyeux quand j’ai l’air mélancolique ? On ne trouve pas à redire à ce que je n’aille pas nu : ne puis-je habiller ma figure comme mon corps ? Pourquoi un masque serait-il plus répréhensible qu’une culotte, et un mensonge qu’un corset ? » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 374).
. Onuphrius : « À quoi bon [être plus souvent aimable] ? Ceux qui sont dignes de moi et me comprennent ne s’arrêtent pas à cette écorce noueuse : ils savent que la perle est cachée dans une coquille grossière ; les sots qui ne savent pas sont rebutés et s’éloignent : où est le mal ? » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France, « Onuphrius » (1832) ; Pléiade tome I, 2002, p. 44).
. La nature n'a pas fait l'homme aussi désarmé que le prétendent les philosophes moroses. Des poings bien fermés selon les principes de l'art valent des marteaux de fer. (Théophile Gautier, « Le maître de chausson », dans Les Français peints par eux-mêmes, tome V, Léon Curmer, 1842, p. 267 ; repris dans La Peau de tigre, Michel Lévy frères, 1865, p. 301).
. Le père de Vallombreuse : « Sur mon blason je préfère une tache de sang à une tache de boue. Puisque Vallombreuse était infâme, vous avez bien fait de le tuer. » (Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse (1863), chap. XVII ; Pléiade tome II, 2002, p. 1036).
. On dit qu’il ne faut pas revenir sur ses premières amours ni aller voir la rose qu’on a admirée la veille. (Théophile Gautier, Omphale (1834) ; Pléiade tome I, 2002, p. 207).
. « Voyez-vous, l’immortalité de l’âme, le libre-arbitre, tout celà, c’est très drôle de s’occuper de celà jusqu’à vingt-deux ans ; mais après, c’est fini. On doit s’occuper à tirer son coup sans attraper trop de vérole, bien arranger son arrangement, avoir des dessins à peu près passables… et puis surtout, bien écrire. Voilà l’important, des phrases bien faites ; et puis quelques métaphores, oui, quelques métaphores, ça pare l’existence. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 24 août 1860 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 594-595).
. [À propos de la Vie de Jésus de Renan :] « Un livre sur Jésus-Christ, voilà comme il fallait le faire. » Et il se met à esquisser Jésus fils d’une parfumeuse et d’un charpentier. « Un mauvais sujet qui quitte ses parents, qui envoie dinguer sa mère, qui s’entoure d’un tas de canailles, de gens tarés, de croquemorts et de filles de mauvaise vie, qui conspire contre le gouvernement établi et qu’on a bien fait, très bien fait de crucifier ou plutôt de lapider. Un pur socialiste, un Sobrier [5] de ce temps-là, qui détruisait tout, anéantissait tout, la famille, la propriété, furieux contre les riches, recommandant d’abandonner ses enfants ou plutôt de ne pas en faire, semant les théories de L’Imitation de Jésus-Christ, amenant dans le monde toutes ces horreurs, un fleuve de sang, les Inquisitions, les persécutions, les guerres de religion ; faisant la nuit sur la civilisation, au sortir du jour qu’était le polythéisme ; abîmant l’art, assommant la pensée, en sorte que tout ce qui le suit n’est que de la merde, jusqu’à ce que trois ou quatre manuscrits, rapportés de Constantinople par Lascaris, et trois ou quatre morceaux de statues, retrouvés en Italie, lors de la Renaissance, sont pour l’humanité comme le ciel qu’on retrouve… » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 17 juillet 1863 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 988).
. Forme, rayon, couleur, rien n’existe pour vous ; / À tout objet réel vous êtes insensibles, / Car le ciel vous enivre et la croix vous rend fous ; / Et vous vivez muets, inclinés sur vos bibles, / Croyant toujours entendre aux plafonds entr’ouverts / Éclater brusquement les trompettes terribles ! / Ô moines ! maintenant, en tapis frais et verts, / Sur les fosses par vous à vous-mêmes creusées, / L’herbe s’étend : Eh bien ! que dites-vous aux vers ? / Quels rêves faites-vous ? quelles sont vos pensées ? / Ne regrettez-vous pas d’avoir usé vos jours / Entre ces murs étroits, sous ces voûtes glacées ? / Ce que vous avez fait, le feriez-vous toujours ?… (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « À Zurbaran », vers 58-70 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 311).
. D’Albert : « Depuis le Christ on n’a plus fait une seule statue d’homme où la beauté adolescente fût idéalisée et rendue avec ce soin qui caractérise les anciens sculpteurs. – La femme est devenue le symbole de la beauté morale et physique : l’homme est réellement déchu du jour où le petit enfant est né à Bethléem. – […] Avant le doux et galant conteur de paraboles, c’était tout le contraire ; on ne féminisait pas les dieux ou les héros que l’on voulait faire séduisants ; ils avaient leur type, vigoureux et délicat en même temps, mais toujours mâle. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 377-378).
. D’Albert : « Ô vieux monde ! tout ce que tu as révéré est donc méprisé ; tes idoles sont donc renversées dans la poussière ; de maigres anachorètes vêtus de lambeaux troués, des martyrs tout sanglants et les épaules lacérées par les tigres de tes cirques, se sont juchés sur les piédestaux de tes dieux si beaux et si charmants : – le Christ a enveloppé le monde dans son linceul. Il faut que la beauté rougisse d’elle-même et prenne un suaire. […] Le monde palpable est mort. Une pensée ténébreuse et lugubre remplit seule l’immensité du vide. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 371-372).
. D’Albert : « Virginité, plante amère, née sur un sol trempé de sang, et dont la fleur étiolée et maladive s’ouvre péniblement à l’ombre humide des cloîtres, sous une froide pluie lustrale ; – rose sans parfum et toute hérissée d’épines, tu as remplacé pour nous les belles et joyeuses roses baignées de nard et de falerne des danseuses de Sybaris ! / Le monde antique ne te connaissait pas, fleur inféconde ; jamais tu n’es entrée dans ses couronnes aux odeurs enivrantes ; – dans cette société vigoureuse et bien portante, on t’eût dédaigneusement foulée aux pieds. – Virginité, mysticisme, mélancolie, – trois mots inconnus, – trois maladies nouvelles apportées par le Christ. – Pâles spectres qui inondez notre monde de vos larmes glacées, et qui, le coude sur un nuage, la main dans la poitrine, dites pour toute parole : "Ô mort ! ô mort !", vous n’auriez pu mettre le pied sur cette terre si bien peuplée de dieux indulgents et folâtres ! » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 372).
. Mais ils sont peu nombreux, dans ce siècle incrédule, / Ceux qui font de leur âme une lampe qui brûle, / Et qui peuvent, baisant la blessure du Christ, / Croire que tout s’est fait comme il était écrit. / Il en est qui n’ont pas le don des saintes larmes, / Qui veillent sans lumière et combattent sans armes ; / Il est des malheureux qui ne peuvent prier / Et dont la voix s’éteint quand ils veulent crier ; / Tous ne se baignent pas dans la pure piscine / Et n’ont pas même part à la table divine : / Moi, je suis de ce nombre, et comme saint Thomas, / Si je n’ai dans la plaie un doigt, je ne crois pas. (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Thébaïde » (1837), vers 179-190 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 70-71).
. Nous sommes le Gemmi [6] ; le reflet du passé / Brille encor sur nos fronts. Ce reflet effacé, / Il ne restera plus qu’une neige incolore ; / Demain, sur le Gemmi, se lèvera l’aurore, / Les glaciers de nouveau se mettront à fumer, / Et l’incendie éteint pourra se rallumer ; / Mais, hélas ! il n’est pas pour nous d’aube nouvelle, / Et la nuit qui nous vient est la nuit éternelle. / De nos cieux dépeuplés il ne descendra pas / Un ange aux ailes d’or pour nous prendre en ses bras, / Et le siècle futur, s’asseyant sur la pierre / De notre siècle, à nous, et la voyant entière, / Joyeux, ne dira pas : Il est ressuscité, / Et dans sa gloire au ciel comme Christ remonté. (Théophile Gautier, Poésies diverses, « Melancholia » (1834), vers 235-248 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 89-90).
. Christ n’y peut rien : il faut que le sort s’accomplisse ; / Pour sauver ce vieux monde il faut un Dieu nouveau, / Et le prêtre demande un autre sacrifice. / Voici bien deux mille ans que l’on saigne l’Agneau ; / Il est mort à la fin, et sa gorge épuisée / N’a plus assez de sang pour teindre le couteau. / Le Dieu ne viendra pas. L’Église est renversée. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Ténèbres », vers 193-199 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 63-64).
. Octavien : « Une superstition dure plus qu’une religion. » (Théophile Gautier, Arria Marcella (1852) ; Pléiade tome II, 2002, p. 302).
. Arria Marcella : « Ne m’accablez pas, au nom de cette religion morose qui ne fut jamais la mienne ; moi, je crois à nos anciens dieux qui aimaient la vie, la jeunesse, la beauté, le plaisir. » (Théophile Gautier, Arria Marcella (1852) ; Pléiade tome II, 2002, p. 311).
. D’Albert : « Je suis un vrai païen de ce côté, et je n’adore point les dieux qui sont mal faits : – quoiqu’au fond je ne sois pas précisément ce qu’on appelle irréligieux, personne n’est de fait plus mauvais chrétien que moi. – Je ne comprends pas cette mortification de la matière qui fait l’essence du christianisme, je trouve que c’est une action sacrilège que de frapper sur l’œuvre de Dieu, et je ne puis croire que la chair soit mauvaise, puisqu’il l’a pétrie lui-même de ses doigts et à son image. […] Je veux que le soleil entre partout, qu’il y ait le plus de lumière et le moins d’ombre possible, que la couleur étincelle, que la ligne serpente, que la nudité s’étale fièrement, et que la matière ne se cache point d’être, puisque, aussi bien que l’esprit, elle est un hymne éternel à la louange de Dieu. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 324).
. D’Albert : « Je suis un homme des temps homériques ; – le monde où je vis n’est pas le mien, et je ne comprends rien à la société qui m’entoure. Le Christ n’est pas venu pour moi ; je suis aussi païen qu’Alcibiade et Phidias. – Je n’ai jamais été cueillir sur le Golgotha les fleurs de la passion, et le fleuve profond qui coule du flanc du crucifié et fait une ceinture rouge au monde ne m’a pas baigné de ses flots. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 368).
. D’Albert : « Mon corps rebelle ne veut point reconnaître la suprématie de l’âme, et ma chair n’entend point qu’on la mortifie. – Je trouve la terre aussi belle que le ciel, et je pense que la correction de la forme est la vertu. La spiritualité n’est pas mon fait, j’aime mieux une statue qu’un fantôme, et le plein midi que le crépuscule. Trois choses me plaisent : l’or, le marbre et la pourpre ; éclat, solidité, couleur. Mes rêves sont faits de celà, et tous les palais que je bâtis à mes chimères sont construits de ces matériaux. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. IX ; Pléiade tome I, 2002, p. 368).
. « [L’immortalité de l’âme,] c’est inadmissible. Vous figurez-vous mon âme gardant, après, la conscience de mon moi, se rappelant que j’ai écrit au Moniteur, quai Voltaire, n°13, et que j’ai eu pour patrons Turgan et Dalloz ? Non ! Nous admettons parfaitement l’inconscience avant la vie, ce n’est pas plus difficile de la concevoir après. Tenez, la fable des Anciens, la coupe du Léthé, voilà ce qui doit être. Moi, je n’ai peur que de ce passage, du moment où mon moi entrera dans la nuit, où je perdrai la conscience d’avoir été. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 24 août 1860 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 594).
. Lord Evandale : « Peut-être notre civilisation, que nous croyons culminante, n’est-elle qu’une décadence profonde, n’ayant plus même le souvenir historique des gigantesques sociétés disparues. » (Théophile Gautier, Le Roman de la momie (1857), prologue ; Pléiade tome II, 2002, p. 513).
. Que nous parlez-vous de progrès ? – Je sais bien que vous me direz que l’on a une Chambre haute et une Chambre basse, qu’on espère que bientôt tout le monde sera électeur, et le nombre des représentants doublé ou triplé. Est-ce que vous trouvez qu’il ne se commet pas assez de fautes de français comme celà à la tribune nationale, et qu’ils ne sont pas assez pour la méchante besogne qu’ils ont à brasser ? Je ne comprends guère l’utilité qu’il y a de parquer deux ou trois-cents provinciaux dans une baraque de bois, avec un plafond peint par M. Fragonard, pour leur faire tripoter et gâcher je ne sais combien de petites lois absurdes ou atroces. – Qu’importe que ce soit un sabre, un goupillon ou un parapluie qui vous gouverne ? – C’est toujours un bâton ; et je m’étonne que des hommes de progrès en soient à disputer sur le choix du gourdin qui leur doit chatouiller l’épaule. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 233).
. Qu’est-ce qu’une révolution ? Des gens qui se tirent des coups de fusil dans une rue : celà casse beaucoup de carreaux ; il n’y a guère que les vitriers qui y trouvent du profit. Le vent emporte la fumée ; ceux qui restent dessus mettent les autres dessous ; l’herbe vient là plus belle le printemps qui suit : un héros fait pousser d’excellents petits pois. / On change, aux bâtons des mairies, les loques qu’on nomme drapeau. La guillotine, cette grande prostituée, prend au cou, avec ses bras rouges, ceux que le plomb a épargnés, le bourreau continue le soldat, s’il y a lieu, ou bien le premier drôle venu grimpe furtivement au trône et s’assoit dans la place vide. Et l’on n’en continue pas moins d’avoir la peste, de payer ses dettes, d’aller voir des opéras-comiques, sous celui-là comme sous l’autre. C’était bien la peine de remuer tant d’honnêtes pavés qui n’en pouvaient mais ! (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 21-22).
. Il y a sous toutes les grandes villes des fosses aux lions, des cavernes fermées d’épais barreaux où l’on parque les bêtes fauves, les bêtes puantes, les bêtes venimeuses, toutes les perversités réfractaires que la civilisation n’a pu apprivoiser, ceux qui aiment le sang, ceux que l'incendie amuse comme un feu d’artifice, ceux que le vol délecte, ceux pour qui l’attentat à la pudeur représente l’amour, tous les monstres du cœur, tous les difformes de l’âme ; population immonde, inconnue au jour, et qui grouille sinistrement dans les profondeurs des ténèbres souterraines. Un jour il advient ceci, que le belluaire distrait oublie ses clefs aux portes de la ménagerie, et les animaux féroces se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages. / Des cages ouvertes s’élancent les hyènes de 93 et les gorilles de la Commune. Mais ce n’est pas la faute de Paris. (Théophile Gautier, Tableaux de siège. Paris, 1870-1871, chap. XXIII, Charpentier et Cie, 1871, p. 372-373).
. « Le courant de la mode est un de ceux que l’on ne remonte point. Les entrepreneurs de journaux me semblent en celà assurément bien moins coupables que le public lui-même dont les curiosités oisives ont besoin de ce commérage quotidien. Le reportage est un produit de la vanité parisienne […] ; et tant qu'il y aura des gens pour désirer connaître les jolis scandales du grand et du petit monde, il y en aura aussi qui feront métier de les leur dépister pour de l'argent. Le jour où une aimable maîtresse de maison a dit à un journaliste, dans l'embrasure d'une fenêtre : "Si vous trouvez mon bal à votre goût, ne vous gênez pas pour l'écrire", le reportage a été acclimaté à Paris, et Paris est devenu inhabitable aux hommes d'étude ou de famille. La rue est entrée dans la maison, et les plus belles gloires se sont vues violer par la foule, qui ne distingue pas entre la célébrité d'un assassin, celle d'une courtisane ou celle d'un grand poëte, et les confond dans ses indécentes et avides curiosités. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 9, Charpentier, 1879, p. 162-163). [7]
. La lecture des journaux empêche qu’il n’y ait de vrais savants et de vrais artistes ; c’est comme un excès quotidien qui vous fait arriver énervé et sans force sur la couche des Muses, ces filles dures et difficiles qui veulent des amants vigoureux et tout neufs. Le journal tue le livre, comme le livre a tué l’architecture, comme l’artillerie a tué le courage et la force musculaire. On ne se doute pas des plaisirs que nous enlèvent les journaux. Ils nous ôtent la virginité de tout ; ils font qu’on n’a rien en propre, et qu’on ne peut posséder un livre à soi seul. […] Ils nous entonnent, malgré nous, des jugements tout faits, et nous préviennent contre des choses que nous aimerions ; ils font que les marchands de briquets phosphoriques, pour peu qu’ils aient de la mémoire, déraisonnent aussi impertinemment littérature que des académiciens de province ; ils font que, toute la journée, nous entendons, à la place d’idées naïves ou d’âneries individuelles, des lambeaux de journal mal digérés qui ressemblent à des omelettes crues d’un côté et brûlées de l’autre. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 242-243).
. « Comme tant d’autres, tu peux être la proie de l’industrialisme. Tu te sentiras de force à faire des chefs-d’œuvre ; l’industrialisme t’empêchera de les faire. L’industrialisme a ses idées particulières en art, en politique, en religion, en histoire, en morale. Il existe des millions de moyens de le choquer. Tu le choqueras. Il te mangera. » (Théophile Gautier, propos oral en 1858, rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XXI ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 125-126).
. [Gautier] revient d’inaugurer les chemins de fer algériens, et il est furieux contre la civilisation, les ingénieurs qui abîment les paysages avec leurs rails, les utilitaires, tout ce qui met dans un pays une saine édilité. [À Gustave Claudin] : « Toi tu aimes cela… tu es un civilisé. Mais nous, nous trois, avec quatre ou cinq autres, nous sommes des malades… des décadents… non, plutôt des primitifs, non, encore non, mais des particuliers bizarres, indéfinis, exaltés. Il y a des moments, oui, où je voudrais tuer tout ce qui est : les sergents de ville, M. Prudhomme, M. Pioupiou, toute cette cochonnerie-là… Claudin, vois-tu, je te parle sans ironie, je t’envie, tu es dans le vrai. Tout celà tient à ce que tu n’as pas comme nous le sens de l’exotique. As-tu le sens de l’exotique ? Non, voilà tout… Nous ne sommes pas Français, nous autres, nous tenons à d’autres races. Nous sommes pleins de nostalgies. Et puis quand à la nostalgie d’un pays se joint la nostalgie d’un temps… comme vous par exemple du XVIIIe siècle… comme moi de la Venise de Casanova, avec embranchement sur Chypre, oh ! alors, c’est complet… » (Théophile Gautier, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 23 août 1862 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 851).
. La rapidité excessive des moyens de transport ôte tout charme à la route : vous êtes emporté comme dans un tourbillon, sans avoir le temps de rien voir. Si l’on arrive tout-de-suite, autant vaut rester chez soi. Pour moi, le plaisir du voyage est d’aller et non d’arriver. (Théophile Gautier, Voyage en Espagne (1843), chap. XIII ; G-F n°367, 1981, p. 339).
. Dans une diligence, l'on n'est plus un homme, l'on n'est qu'un objet inerte, un ballot ; vous ne différez pas beaucoup de votre malle. On vous jette d'un endroit à un autre, voilà tout. Autant vaut rester chez soi. Ce qui constitue le plaisir du voyageur, c'est l'obstacle, la fatigue, le péril même. Quel agrément peut avoir une excursion où l'on est toujours sûr d'arriver, de trouver des chevaux prêts, un lit moelleux, un excellent souper et toutes les aisances dont on peut jouir chez soi ? Un des grands malheurs de la vie moderne, c'est le manque d'imprévu, l'absence d'aventures. Tout est si bien réglé, si bien engrené, si bien étiqueté, que le hasard n'est plus possible ; encore un siècle de perfectionnement, et chacun pourra prévoir, à partir du jour de sa naissance, ce qui lui arrivera jusqu'au jour de sa mort. La volonté humaine sera complètement annihilée. Plus de crimes, plus de vertus , plus de physionomies, plus d'originalités. Il deviendra impossible de distinguer un Russe d'un Espagnol, un Anglais d'un Chinois, un Français d'un Américain. L'on ne pourra plus même se reconnaître entre soi, car tout le monde sera pareil. Alors un immense ennui s'emparera de l'univers, et le suicide décimera la population du globe, car le principal mobile de la vie sera éteint : la curiosité. (Théophile Gautier, Voyage en Espagne (1843), chap. XII ; G-F n°367, 1981, p. 298-299).
. C'est en voyage que les Espagnols reprennent leur antique originalité, et se dépouillent de toute imitation étrangère ; le caractère national reparaît tout entier dans ces convois à travers les montagnes qui ne doivent pas différer beaucoup des caravanes dans le désert. L'âpreté des routes à peine tracées, la sauvagerie grandiose des sites, le costume pittoresque des arrieros, les harnais bizarres des mules, des chevaux et des ânes marchant par files, tout celà vous transporte à mille lieues de la civilisation. Le voyage devient alors une chose réelle, une action à laquelle vous participez. (Théophile Gautier, Voyage en Espagne (1843), chap. XII ; G-F n°367, 1981, p. 298).
. Puissent nos modes ne jamais faire invasion dans la ville des califes, et la terrible menace renfermée dans ces deux mots peints en noir à l'entrée d'un carrefour : Modista francesa, ne jamais se réaliser ! Les esprits dits sérieux nous trouveront sans doute bien futile et se moqueront de nos doléances pittoresques ; mais nous sommes de ceux qui croient que les bottes vernies et les paletots en caoutchouc contribuent très peu à la civilisation, et qui estiment la civilisation elle-même quelque chose de peu désirable. C'est un spectacle douloureux pour le poëte, l'artiste et le philosophe, de voir les formes et les couleurs disparaître du monde, les lignes se troubler, les teintes se confondre et l'uniformité la plus désespérante envahir l'univers sous je ne sais quel prétexte de progrès. Quand tout sera pareil, les voyages deviendront complètement inutiles, et c'est précisément alors, heureuse coïncidence, que les chemins de fer seront en pleine activité. À quoi bon aller voir bien loin, à raison de dix lieues à l'heure, des rues de la Paix éclairées au gaz et garnies de bourgeois confortables ? Nous croyons que tels n'ont pas été les desseins de Dieu, qui a modelé chaque pays d'une façon différente, lui a donné des végétaux particuliers, et l'a peuplé de races spéciales dissemblables de conformation, de teint et de langage. C'est mal comprendre le sens de la création que de vouloir imposer la même livrée aux hommes de tous les climats, et c'est une des mille erreurs de la civilisation européenne ; avec un habit à queue de morue l'on est beaucoup plus laid, mais tout aussi barbare. Les pauvres Turcs du sultan Mahmoud font effectivement une belle figure depuis la réforme de l'ancien costume asiatique, et les lumières ont fait chez eux des progrès infinis ! (Théophile Gautier, Voyage en Espagne (1843), chap. XI ; G-F n°367, 1981, p. 252-253).
. L'Espagne a beaucoup perdu de son caractère romantique à la suppression des moines, et je ne vois pas ce qu'elle y a gagné sous d'autres rapports. D'admirables édifices dont la perte sera irréparable, et qui avaient été conservés jusqu'alors dans l'intégrité la plus minutieuse, vont se dégrader, s'écrouler, et ajouter leurs ruines aux ruines déjà si fréquentes dans ce malheureux pays ; des richesses inouïes en statues, en tableaux, en objets d'art de toute sorte, se perdront sans profiter à personne. On pouvait imiter, ce me semble, notre révolution par un autre côté que par son stupide vandalisme. Égorgez-vous entre vous pour les idées que vous croyez avoir, engraissez de vos corps les maigres champs ravagés par la guerre, c'est bien ; mais la pierre, le marbre et le bronze touchés par le génie sont sacrés, épargnez-les. Dans deux-milles ans on aura oublié vos discordes civiles, et l'avenir ne saura que vous avez été un grand peuple que par quelques merveilleux fragments retrouvés dans les fouilles. (Théophile Gautier, Voyage en Espagne (1843), chap. V ; G-F n°367, 1981, p. 108-109).
. Les Communeux ne sont pas si gentils que vous imaginez en Suisse. La République est sans doute une très belle chose tant qu’elle reste à l’état de théorie, mais chez nous quand on veut la mettre en pratique elle tourne tout-de-suite en guerre civile. (Théophile Gautier, lettre n°4545 à sa fille Estelle, 19 avril 1871 ; Correspondance générale, tome XI. 1870-1871, Droz, 1996, p. 179).
. Tu sais mes opinions sur la République qui, selon moi, ne peut aboutir qu’au pillage, au massacre, à l’incendie, au nivellement des supériorités que ce soient des hommes ou des monuments, car elle a pour point de départ l’Envie, la perversité et toutes les basses convoitises. Mais elle m’a donné trop épouvantablement raison. J’espère que l’idée de recommencer ces lugubres et sanglantes saturnales ne viendra de longtemps à personne. (Théophile Gautier, lettre n°4562 à Alphonsine Lafitte, 16 juin 1871 ; Correspondance générale, tome XI. 1870-1871, Droz, 1996, p. 199).
. Lorsque Paris aura pansé ses plaies, qui pourrait croire à ces monstruosités d’Érostrates anonymes ? / Arrivons donc à la place de l'Hôtel-de-Ville, où la dévastation se déroule dans toute sa grandiose horreur. L’âme reste douloureusement accablée devant cette jeune ruine faite de main d’homme. La frénésie d’abominables sectaires a détruit en un jour ce qui devait durer des siècles. / Le feu n’a rien épargné. […] Des démons à l’œuvre n’auraient pas mieux fait. […] Brûler le génie, brûler la gloire, brûler la vertu, brûler l’honneur, en effigie du moins, quelle joie satanique, quelle jouissance atroce pour ces âmes perverses ! Heureusement on ne peut mettre le feu à l’histoire avec un jet de pétrole. Le Présent, dans ses fureurs, ne peut supprimer le Passé irrévocable. C’était pitié de voir ces pauvres grands hommes manchots, boiteux, décapités, coupés en deux, ces glorieux mutilés, zébrés de noir par les brûlures, égratignés de blanc par les projectiles, selon les hasards de l’incendie ou de la bataille. (Théophile Gautier, Tableaux de siège. Paris, 1870-1871, chap. XXI, Charpentier et Cie, 1871, p. 338-340).
. Il n’y a que trois états possibles dans une civilisation aussi avancée que la nôtre : voleur, journaliste ou mouchard. (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 20).
. « Nous en sommes arrivés à ce point de liberté qu'il ne faut plus rien dire et que tout est de trop dans un article. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 9, Charpentier, 1879, p. 164).
. Avec ce siècle infâme il est temps que l’on rompe ; / Car à son front damné le doigt fatal a mis / Comme aux portes d’enfer : « Plus d’espérance ! » – Amis, / Ennemis, peuples, rois, tout nous joue et nous trompe. / […] Seule, la poésie incarnée en Hugo / Ne nous a pas déçus, et de palmes divines / Vers l’avenir tournée ombrage nos ruines. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Sonnet VII », vers 1-4 et 12-14 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 113).
. « De toutes les libertés, celle de brailler fut de tout temps la plus chère au peuple français, et, dans le métier de prince, il est élémentaire d'accorder celle-là tout de suite et comme don de joyeux avènement ; car mieux vaut pour la sécurité publique cent meetings, entends-tu bien, à assourdir une tempête, qu'un de ces petits caboulots, sombres et silencieux, où sur des tables grasses, entre deux journaux déchirés et souillés, le bock sous la main et la pipe aux dents, deux ouvriers disputent des intérêts publics et ne semblent au premier abord causer que de la pluie et du beau temps. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 10, Charpentier, 1879, p. 174).
. Nous autres Français, nous sommes travaillés d’une maladie : la spécialité ; dès qu'un homme fait bien une chose, on le croit tout de suite incapable d’en faire une autre. Singulier raisonnement ! Cependant l’intelligence qui a servi pour acquérir un talent doit pouvoir servir pour en acquérir un second ; on est capable ou non. Mais parquer le génie dans des compartiments est une invention bizarre. (Théophile Gautier, Histoire de l’art dramatique en France depuis vingt-cinq ans, tome III, chap. XVII, 8 juillet 1844, Hetzel / Magnin Blanchard et Cie, 1859, p. 229).
. Paris est la synthèse de la France ; il la résume et rayonne sur elle. Il en est l’œil, le cœur et le cerveau, la lumière, la chaleur, la pensée. Qui donc veut décapiter le pays et faire vivre le corps sans la tête, sous prétexte sans doute que c’est une mauvaise tête ? Une mauvaise tête vaut mieux en tout cas que pas de tête du tout. […] / Si Paris s’éteignait, la nuit se ferait sur le monde, comme si le soleil disparaissait pour ne plus renaître. Les milliers d’étoiles du firmament ne remplaceraient pas cette lumière unique qui seule peut faire le jour. Il y aurait de l'ombre dans les meilleurs esprits ; mais les autres peuples de l’univers ne permettraient pas à la France de supprimer Paris, quand même elle le voudrait et le pourrait ; ils en ont trop besoin, et ils le savent et ils en conviennent ; le czarévitch lui-même disait que Paris empêchait le monde de s’abêtir. S'il n’existait plus, comme on serait lourd, comme on serait pesant, comme on serait ennuyé et ennuyeux ! Sa plaisanterie ailée et lumineuse comme une abeille dans un rayon d’or harcèle et pique la sottise qui se dégonfle. Dans sa joie étincelante, il ya une clarté divine. Sa légèreté n'est qu’une sagesse qui voltige. La lui reprocher, c’est reprocher à un oiseau de ne pas marcher par les rues avec des bottes de postillon. Sans le persifflement de sa moquerie, comme le ridicule se rengorgerait dans sa roue de dindon et s’épanouirait inconscient de sa difformité grotesque ! Pour avoir de l’esprit, du goût, de la grâce, pour apprendre à causer, à s'habiller, à plaire, il faut venir à Paris comme les Romains allaient à Athènes, et quand on a l’approbation de cet arbitre des élégances, on peut se présenter partout, sûr d'être bien accueilli. Pour les choses d’art, c’est lui qui juge en dernier ressort et distribue les couronnes. Qui n’a pas l'applaudissement de Paris, eût-il été acclamé par Londres, Saint-Pétersbourg, Naples, Milan ou Vienne, n’est qu'une réputation de province. (Théophile Gautier, Tableaux de siège. Paris, 1870-1871, chap. XXIII, Charpentier et Cie, 1871, p. 364-366).
. En France, les admirations et les mépris sont toujours excessifs. Tout écrivain est un dieu ou un âne : il n’y a pas de milieu. – Ni si haut, ni si bas, serait cependant pour beaucoup une place plus juste. On dirait que, dans le but de s’épargner la peine de juger les titres de chacun, on adopte un écrivain quelconque pour se débarrasser des autres ! (Théophile Gautier, Les Grotesques, préface (1844) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 453-454).
. « La spécialité de la France, n'en déplaise aux chauvins, c'est la science, c'est l'art, la recherche du Beau, la vulgarisation du Goût. Si nous sommes en réalité la première de toutes les nations de la terre ; si nous jouons, sauf quelques menus détails, dans le monde moderne, le même rôle que les Grecs dans l'Antiquité, celà ne provient pas des succès que nous avons obtenus, de tout temps, sur les champs de bataille. Tous les peuples, les uns après les autres, se sont donné ces petites satisfactions d'amour-propre ; notre prépondérance provient uniquement de nos facultés artistiques, de notre ingéniosité à tout embellir, de la sûreté de coup d'œil grâce à laquelle nous donnons à toutes les choses qui sortent de nos mains un caractère particulièrement distingué. […] La seule question qui mérite véritablement de nous intéresser est celle-ci : continuerons-nous, comme par le passé, à produire, et en quantité, à quelques minimes lacunes près, les meilleurs écrivains, les plus grands peintres, les architectes les plus savants, les statuaires les mieux doués et les plus féconds, les plus ingénieux industriels ? En un mot, conserverons-nous, oui ou non, la direction du mouvement littéraire et artistique que nous devons à notre tempérament particulier de Français et qui, depuis le treizième siècle, nous maintient à la tête de ta civilisation ? Tout est là. Si nous sommes assez heureux pour conserver celà, nous pouvons nous passer de tout le reste. Nous demeurons les véritables rois de la terre. Le monde, rassuré par notre modération et notre sagesse, sachant dailleurs que nous avons toujours la tête chaude et que nous sommes toujours en mesure de repousser virilement toute agression, ne pense plus à nous chercher noise et nous laisse travailler en paix. » (Théophile Gautier, propos oral vers octobre 1871, rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XLIX ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 286-288).
. Rien de ce qui est beau n’est indispensable à la vie. – On supprimerait les fleurs, le monde n’en souffrirait pas matériellement ; qui voudrait cependant qu’il n’y eût plus de fleurs ? Je renoncerais plutôt aux pommes de terre qu’aux roses, et je crois qu’il n’y a qu’un utilitaire au monde capable d’arracher une plate-bande de tulipes pour y planter des choux. / À quoi sert la beauté des femmes ? Pourvu qu'une femme soit médicalement bien conformée, en état de faire des enfants, elle sera toujours assez bonne pour des économistes. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 230).
. Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid, car c’est l’expression de quelque besoin, et ceux de l’homme sont ignobles et dégoûtants, comme sa pauvre et infirme nature. – L’endroit le plus utile d’une maison, ce sont les latrines. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 230).
. D’Albert : « Je ne demande que la beauté, il est vrai ; mais il me la faut si parfaite que je ne la rencontrerai probablement jamais. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 323).
. D’Albert : « La beauté, c’est l’harmonie, et une personne également laide partout est souvent moins désagréable à regarder qu’une femme inégalement belle. Rien ne me fait peine à voir comme un chef-d’œuvre inachevé et comme une beauté à qui il manque quelque chose ; – une tache d’huile choque moins sur une bure grossière que sur une riche étoffe. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. V ; Pléiade tome I, 2002, p. 323).
. Nous croyons à l'autonomie de l'Art ; l'Art pour nous n'est pas le moyen mais le but ; – tout artiste qui se propose autre chose que le beau n’est pas un artiste à nos yeux. (Théophile Gautier, « Introduction », L’Artiste, 14 décembre 1856, VIe série, tome 3, 1ère livraison, p. 4).
. Tout passe. L'art robuste / Seul à l'éternité, / Le buste / Survit à la cité. / Et la médaille austère / Que trouve un laboureur / Sous terre / Révèle un empereur. / Les dieux eux-mêmes meurent, / Mais les vers souverains / Demeurent / Plus forts que les airains. (Théophile Gautier, Émaux et Camées, « L’art » (1857), vers 41-52 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 129-130).
. Le temps efface l’Art avec un doigt trop prompt, / Et l’Éternité manque à la forme divine. / Le Vinci sous son crêpe à peine se devine, / Et de Monna Lisa l’ombre envahit le front. (Théophile Gautier, Dernières poésies, « À Claudius Popelin. Sonnet I » (1866), vers 1-4 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 202).
. Quant aux utilitaires, utopistes, économistes, saint-simonistes et autres qui lui demanderont à quoi cela rime, – il répondra : Le premier vers rime avec le second quand la rime n’est pas mauvaise, et ainsi de suite. / À quoi cela sert-il ? – Cela sert à être beau. – N’est-ce pas assez ? comme les fleurs, comme les parfums, comme les oiseaux, comme tout ce que l’homme n’a pu détourner et dépraver à son usage. / En général, dès qu’une chose devient utile, elle cesse d’être belle. – Elle rentre dans la vie positive ; de poésie elle devient prose ; de libre, esclave. – Tout l’art est là. – L’art, c’est la liberté, le luxe, l’efflorescence, c’est l’épanouissement de l’âme dans l’oisiveté. – La peinture, la sculpture, la musique ne servent absolument à rien. Les bijoux curieusement ciselés, les colifichets rares, les parures singulières, sont de pures superfluités. – Qui voudrait cependant les retrancher ? – Le bonheur ne consiste pas à avoir ce qui est indispensable ; ne pas souffrir n’est pas jouir ; et les objets dont on a le moins besoin sont ceux qui charment le plus. – Il y a et il y aura toujours des âmes artistes à qui les tableaux d’Ingres et de Delacroix, les aquarelles de Boulanger et de Decamps sembleront plus utiles que les chemins de fer et les bateaux à vapeur. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), préface ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1832, tome I, p. 82-83).
. « Comme les hommes sont bêtes ! Ce sera donc toujours la même chose ! Imposer la moralité, la fausse moralité, celle de convention, qui jette des cris pour rien, comme si on la plumait toute vive, à une œuvre d’art, c’est une action aussi insensée que le serait celle d’exiger de tous les particuliers d’une nation de ne porter que des vêtements de la même forme et de la même couleur. La moralité d’un livre n’est pas dans le sujet, dans la nature des évènements dont il se compose. Elle est dans la vérité et dans la beauté. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XVIII ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 97-98).
. D’Albert : « Je ne suis pas d’avis que l’on double le nombre des sots en les représentant ; il y en a déjà bien assez comme cela, Dieu merci, et la race n’est pas près de finir. – Où est la nécessité que l’on fasse le portrait de quelqu’un qui a un groin de porc ou un mufle de bœuf, et qu’on recueille les billevesées d’un manant que l’on jetterait par la fenêtre s’il venait chez vous ? L’image d’un cuistre est aussi peu intéressante que ce cuistre lui-même, et pour être vu au miroir, ce n’en est pas moins un cuistre. – Un acteur qui parviendrait à imiter parfaitement les poses et les manières des savetiers ne m’amuserait pas beaucoup plus qu’un savetier réel. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. XI ; Pléiade tome I, 2002, p. 404).
. Théodore : « Il n’y a que le vice qui soit poétique. Supprimez l’adultère, l’inceste, le meurtre, adieu les drames, adieu les poëmes et les romans ! l’histoire des gens vertueux tient une ligne, les règnes des bons rois tiennent une page. » (Théophile Gautier, Les Jeunes-France (1833), « Sous la table » ; Pléiade tome I, 2002, p. 37).
. Moi qui ne suis pas prude, et qui n’ai pas de gaze / Ni de feuille de vigne à coller à ma phrase, / Je ne passerai rien. – Les dames qui liront / Cette histoire morale auront de l’indulgence / Pour quelques chauds détails. – Les plus sages, je pense, / Les verront sans rougir, et les autres crieront. / D’ailleurs, – et j’en préviens les mères de famille, / Ce que j’écris n’est pas pour les petites filles / Dont on coupe le pain en tartines. – Mes vers / Sont des vers de jeune homme et non un catéchisme. / – Je ne les châtre pas, – dans leur décent cynisme / Ils s’en vont droit ou de travers. (Théophile Gautier, Albertus ou l’âme et le péché (1832), « Albertus », XCVIII ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome I, p. 176).
. « L’homme est laid, partout et toujours, et il me gâte la création. Il ne vaut que par son intelligence. […] Un tigre royal est plus beau qu'un homme ; mais si de la peau du tigre l'homme se taille un costume magnifique, il devient plus beau que le tigre et je commence à l'admirer. De même une ville ne m'intéresse que par ses monuments ; pourquoi ? parce qu'ils sont le résultat collectif du génie de sa population. Que cette population soit immonde et cette ville un habitacle de crimes, qu'est-ce que celà me fait si on ne m'y assassine pas pendant que j'admire les édifices ? / J'aurais décrit Sodome très volontiers et la tour de Babel avec enthousiasme. Je ne travaille pas pour le prix Monthyon, et mon cerveau fait du mieux qu'il peut son métier de chambre noire. Si tu es curieux de ce qu'on appelle improprement l'humanité, prends la Gazette des Tribunaux : tout Balzac y est, et, en sus de Balzac, l'histoire générale et universelle de cette sorte de singe malfaisant que j'ai rencontré dans tous mes voyages et qui peuple les cinq parties du monde. C'est ça et ce sera toujours ça. Il n'y a que les climats qui varient, l'argot des voleurs et l'uniforme des gendarmes ! » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 5, Charpentier, 1879, p. 128-129).
. Le ragoût de l’œuvre bizarre vient à propos raviver votre palais affadi par un régime littéraire trop sain et trop régulier ; les plus gens de goût ont besoin quelquefois, pour se remettre en appétit, du piment de concetti et des gongorismes. (Théophile Gautier, Les Grotesques, préface (1844) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 453).
. La préciosité, cette belle fleur française qui s'épanouit si bien dans les parterres à compartiments des jardins de la vieille école, et que Molière a si méchamment foulée aux pieds dans je ne sais plus quelle immortelle mauvaise petite pièce. (Théophile Gautier, Les Grotesques, chap. VIII (1835) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 338).
. On allait replacer [la Vénus de Milo] radieuse sur son socle, autel du beau, et la rendre à l’amour des artistes et des poëtes malheureux de son absence, lorsque survint la Commune avec sa nuée de barbares, non pas descendus des brouillards cimmériens, mais surgis d’entre les pavés de Paris comme une impure fermentation des fanges souterraines. On connaît l’esthétique de ces farouches sectaires et leur mépris de l'idéal. Avec eux la déesse, s’ils l’eussent découverte, courait de grands risques ; ils l’auraient vendue ou brisée comme un témoignage du génie humain offensant pour la stupidité égalitaire. L’aristocratie du chef-d’œuvre n’est-elle pas celle qui choque le plus l’envieuse médiocrité ? Naturellement, le laid a l’horreur du beau. (Théophile Gautier, Tableaux de siège. Paris, 1870-1871, chap. XXII, Charpentier et Cie, 1871, p. 351-352).
. En ordonnant la suppression des journaux, [Charles X] rendait un grand service aux arts et à la civilisation. Les journaux sont des espèces de courtiers ou de maquignons qui s’interposent entre les artistes et le public, entre le roi et le peuple. On sait les belles choses qui en sont résultées. Ces aboiements perpétuels assourdissent l’inspiration, et jettent une telle méfiance dans les cœurs et dans les esprits, que l’on n’ose se fier ni à un poëte, ni à un gouvernement ; ce qui fait que la royauté et la poésie, ces deux plus grandes choses du monde, deviennent impossibles, au grand malheur des peuples, qui sacrifient leur bien-être au pauvre plaisir de lire, tous les matins, quelques mauvaises feuilles de mauvais papier, barbouillées de mauvaise encre et de mauvais style. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 242).
. Ne sois pas étonné si la foule, ô poëte, / Dédaigne de gravir ton œuvre jusqu’au faîte ; / La foule est comme l’eau qui fuit les hauts sommets : / Où le niveau n’est pas, elle ne vient jamais. / Donc, sans prendre à lui plaire une peine perdue, / Ne fais pas d’escalier à ta pensée ardue : / Une rampe aux boiteux ne rend pas le pied sûr. (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Consolation », vers 1-7 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 290).
. « Pourquoi nous désoler tous deux ? Le public ne mérite certainement pas de posséder les beaux livres que nous regrettons de ne pouvoir lui faire. Pourvu qu'on lui raconte, même pas l'anecdote scandaleuse qui demain va courir la ville, mais la composition du dîner de tel personnage connu, et qu'on lui décrive la toilette que telle princesse ou telle cocotte en renom portait à la première représentation d'une méchante pièce des Bouffes-Parisiens ou du Gymnase, il ne demande pas autre chose, il est content ; c'est là la littérature qu'il aime. On la lui sert, et c'est bien fait. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XXXV ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 207-208).
. Une chose certaine et facile à démontrer à ceux qui pourraient en douter, c’est l'antipathie naturelle du critique contre le poëte, – de celui qui ne fait rien contre celui qui fait, – du frelon contre l’abeille, – du cheval hongre contre l’étalon. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 220).
. Le critique qui n'a rien produit est un lâche ; c'est comme un abbé qui courtise la femme d'un laïque : celui-ci ne peut lui rendre la pareille ni se battre avec lui. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 221).
. Nul ne dupe entièrement son époque, et, dans les réputations les moins fondées, il y a toujours quelque chose de vrai ; un public n’a jamais complètement tort d’avoir du plaisir, bien qu’il puisse lui arriver souvent de rester insensible à de véritables beautés, comme le prouvent des exemples par malheur trop fréquents. On a souvent peine à comprendre certaines vogues, certains engouements pour des écrits qui nous paraissent maintenant de l'insipidité la plus nauséabonde. (Théophile Gautier, Les Grotesques, préface (1844) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 450).
. Il se fait d’ailleurs d’étranges revirements dans les réputations, et les auréoles changent souvent de tête. Après la mort, des fronts illuminés s’éteignent, des fronts obscurs s’allument. Pour les uns, la postérité, c’est la nuit qui vient ; pour d’autres, c’est l’aurore ! (Théophile Gautier, Les Grotesques, préface (1844) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 450).
. « L’esprit humain est lent et rebelle : nous sommes encore de la race des Sicambres, qui tôt ou tard adorent ce qu’ils avaient brisé, et la vie se passe à faire des palinodies. Le jour viendra où l’on enseignera couramment dans les collèges des choses qui passent aujourdhui pour des types de mauvais goût ; les plus grands ennemis de la science et les plus retardataires de l’Art, ce sont les professeurs. Regarde avec respect une peinture réputée insensée ; écoute jusqu’au bout la musique sifflée ; lis jusqu’à la dernière ligne le livre ridicule dont on fait des gorges chaudes, et souviens-toi ! Tu seras tout étonné, au bout de quelques années, de voir ce livre, cette musique ou ce tableau être admis au rang de modèles et servir à écraser les productions nouvelles. Tout le secret de ce qu’on a appelé mon génie de critique est là, et je te donne ce conseil pour l’avenir : lis tout, écoute tout et retiens tout. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 8, Charpentier, 1879, p. 156-157).
. « Le public ne se compose que de vanités blessées ; trouver quelque chose de neuf et le produire, c’est déclarer la guerre à l’ignorance et c’est lui jeter un défi à la face, mais c’est aussi s’assurer la victoire. Artiste, parle toujours selon ta conscience et garde ton âme ouverte à toutes les manifestations imprévues de l’art ; quelle que soit l’absurdité que tu sembleras avoir émise, si tes yeux et tes oreilles te l’ont dictée, ne crains rien et laisse passer les huées : c’est à toi que l’on reviendra. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 8, Charpentier, 1879, p. 157).
L’ARTISTE ET LA CRÉATION ARTISTIQUE
. Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte, / Le pin verse son baume et sa sève qui bout, / Et se tient toujours droit sur le bord de la route, / Comme un soldat blessé qui veut mourir debout. / Le poëte est ainsi dans les Landes du monde ; / Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor. / Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde / Pour épancher ses vers, divines larmes d’or ! (Théophile Gautier, Poésies nouvelles. España (1845), « Le pin des Landes », vers 9-16 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 255).
. Théodore/Madelaine : « La meilleure partie de nous est celle qui reste en nous, et que nous ne pouvons produire. – Les poëtes sont ainsi. – Leur plus beau poème est celui qu'ils n'ont pas écrit ; ils emportent plus de poèmes dans la bière qu'ils n'en laissent dans leur bibliothèque. » (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), chap. VI ; Pléiade tome I, 2002, p. 339).
. « Avant tout, chaque artiste, pour réussir, doit suivre sa voie, travailler dans le sens de son tempérament. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Ernest Feydeau dans Théophile Gautier. Souvenirs intimes (1874), chap. XXV ; éd. Ides et Calendes, Neuchâtel, 1994, p. 145).
. Il est aussi absurde de dire qu'un homme est un ivrogne parce qu'il décrit une orgie, un débauché parce qu'il raconte une débauche que de prétendre qu'un homme est vertueux parce qu'il a fait un livre de morale ; tous les jours on voit le contraire. (Théophile Gautier, Mademoiselle de Maupin (1835), préface ; Pléiade tome I, 2002, p. 225-226).
. Celui qui n’a pas été disciple ne sera jamais maître, et quoi qu’on en puisse dire, la poésie est un art qui s’apprend, qui a ses méthodes, ses formules, ses arcanes, son contre-point et son travail harmonique. L’inspiration doit trouver sous ses mains un clavier parfaitement juste, auquel ne manque aucune corde. (Théophile Gautier, Rapport sur les progrès de la poésie, chap. II, dans Recueil de rapports sur les progrès des lettres et des sciences en France. Rapport sur le progrès des lettres, Imprimerie impériale, 1868, p. 97).
. « Quiconque n'a pas commencé par imiter ne sera jamais original. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Maxime Du Camp dans Théophile Gautier, chap. II, Hachette, 1890, p. 72).
. Pour y graver un nom ton airain est bien dur, / Ô Corinthe ! et souvent froide et blanche Carrare, / Le ciseau ne mord pas sur ton marbre si pur. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « Ténèbres », vers 115-117 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 60).
. Le vrai littérateur n’a besoin que de ses rêves naturels, et il n’aime pas que sa pensée subisse l’influence d’un agent quelconque. (Théophile Gautier, « Charles Baudelaire » (1868), dans Portraits et souvenirs littéraires, Michel Lévy frères, 1875, p. 269).
. « Il n’y a que les bourgeois qui crèvent : quand on a quelque chose dans le ventre, on ne meurt pas avant de l’avoir chié. » (Théophile Gautier, propos oral énoncé le 28 octobre 1849 à Gustave Flaubert, rapporté par celui-ci dans une lettre à sa mère le lendemain ; Correspondance, Pléiade tome I, 1973, p. 518).
. « Tout homme qu’une idée, si subtile et si imprévue qu’on la suppose, prend en défaut, n’est pas un écrivain. L’inexprimable n’existe pas. » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Baudelaire, « Théophile Gautier », III (1859) dans Critique littéraire ; Pléiade tome II, 1976, p. 118).
. Les grands esprits qui ne sont touchés que du beau, n’ont pas cette préoccupation du neuf qui tourmente les cerveaux inférieurs. Ils ne craignent pas de s’exercer sur une idée connue, générale, appartenant à tous, sachant qu’elle n’appartient plus qu’à eux seuls dès qu’ils y ont apposé le sceau de leur style. – La nature, dailleurs, ne s’inquiète guère d’être originale, et l’univers, depuis le jour de la création, n’est qu’une perpétuelle redite ; – jamais les arbres verts n’ont essayé d’être bleus. (Théophile Gautier, Les Grotesques, préface (1844) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 452).
. Le génie seul est éternel, le talent est transitoire. Ce n’est pas à dire pour celà qu’il faille dédaigner le talent, car il est encore assez rare pour qu’on en tienne compte. / Et puis, il faut le dire, le monde vieillit. Toutes les idées simples, tous les magnifiques lieux communs, tous les thèmes naturels ont été employés il y a déjà fort longtemps. À génie égal, un moderne aurait toujours le désavantage avec un ancien ; car il ne pourrait s’empêcher de savoir, sinon précisément, du moins confusément, tout ce qui a été dit avant lui sur la matière qu’il traite, et, malgré tout le bon goût, toute la sobriété possibles, il tombera dans des tours plus recherchés, dans des comparaisons plus bizarres, dans des détails plus minutieux, par le besoin instinctif d’échapper aux redites, et de trouver quelque nouveauté de fond ou de forme. (Théophile Gautier, Les Grotesques, préface (1844) ; Schena/Nizet, Bari/Paris, 1985, p. 451-452).
. « Il n’y a pas de choses nouvelles. Ce qu’on appelle un progrès n’est que la remise en lumière de quelque lieu commun délaissé. […] Non, je ne sens pas impérieusement la nécessité des mots nouveaux, dût-on pour cela me traiter de birbe et de ganache. Dailleurs, ils sont jolis, vos néologismes ! Des mixtures de grec et d’argot, des infusions d’anglais et de latin ! Le jargon de Babel ! […] Ah ! si encore ils étaient conformes au génie de la langue et imprégnés de la saveur du terroir gaulois ! Je voudrais que l’admission d’un mot dans le dictionnaire fût controversée et débattue autant que celle d’un postulant au Jockey-Club ; je voudrais qu’il fût présenté et qu’il eût ses références. Je voudrais que l’Institut servît à quelque chose, tandis qu’il ne sert à rien, et qu’un Français ne fût pas forcé d’aller en Russie pour jouir du plaisir d’entendre parler sa langue. À ces conditions, oui, je serais partisan des néologismes… » (Théophile Gautier, propos oral rapporté par Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, III, 4, Charpentier, 1879, p. 118-119).
. Oui, l'œuvre sort plus belle / D'une forme au travail / Rebelle, / Vers, marbre, onyx, émail. / Point de contraintes fausses ! / Mais que, pour marcher droit, / Tu chausses, / Muse, un cothurne étroit. / Fi du rythme commode / Comme un soulier trop grand, / Du mode / Que tout pied quitte et prend ! / Statuaire, repousse / L’argile que pétrit / Le pouce, / Quand flotte ailleurs l’esprit. (Théophile Gautier, Émaux et Camées, « L’art » (1857), vers 1-16 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 128).
. Comme Gœthe sur son divan / À Weimar s’isolait des choses / Et d’Hafiz effeuillait les roses, / Sans prendre garde à l’ouragan / Qui fouettait mes vitres fermées, / Moi, j’ai fait Émaux et Camées. (Théophile Gautier, Émaux et Camées (1852), « Préface », vers 9-14 ; Poésies complètes, Nizet, 1970, tome III, p. 3).
. Tout est bien, pourvu qu’on ait la rime. (Théophile Gautier, Poésies diverses (1838), « À un jeune tribun », vers 12 ; Poésies complètes, Firmin-Didot, 1932, tome II, p. 114).
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[1] La phrase sur Flaubert fait bien sûr allusion à Salammbô, paru fin 1862, comme Gautier fait allusion à son propre Roman de la momie, paru (en feuilleton) en 1857. Marie-Madeleine de La Vieuville (1693-1755), épouse du marquis de Parabère, fut la maîtresse (parmi d’autres) du régent Philippe d’Orléans entre 1715 et 1720. Les Goncourt avaient un vif intérêt pour la société du XVIIIe siècle, et notamment sa vie galante. Ils venaient de publier en 1862 La Femme au XVIIIe siècle.
[2] Edmond de Goncourt a aussi rapporté cette confidence prémonitoire, avec de menues variantes, dans sa préface à Émile Bergerat, Théophile Gautier. Entretiens, souvenirs et correspondance, Charpentier, 1879, p. XX-XXI. Cette préface est dailleurs en large partie composée de morceaux tirés du Journal.
[3] D’après Émile Bergerat, cette formule est en vérité une trouvaille du peintre Claudius Popelin, pour parodier gentiment Théophile Gautier. Mais celui-ci se l’était appropriée au premier degré, et la répétait si souvent qu’il était absolument convaincu d’en être l’auteur. — Elle est souvent citée sous cette forme – à mon avis supérieure – : « Rien ne vaut rien, il ne se passe rien, et cependant tout arrive, mais celà est indifférent », et attribuée à Nietzsche. Mais il n’y a rien de tel chez Nietzsche. Cette erreur est due à de Gaulle. Le 18 juin 1969, reçu à l’ambassade de France à Dublin, de Gaulle se vit présenter par l’ambassadeur, Emmanuel d’Harcourt, un tome des Mémoires de guerre après le déjeuner. Il y inscrivit trois citations, dont celle-ci, avec cette erreur d’attribution. D’Harcourt rédigea ensuite son récit du séjour de de Gaulle en Irlande et le publia. De nombreux lecteurs furent très vite frappés par la citation attribuée à Nietzsche et la diffusèrent telle quelle. Par exemple Alfred Fabre-Luce, dans L’Anniversaire, Fayard, 1971, p. 78, aussitôt lu par Montherlant qui juge dans ses ultimes carnets qu’elle aurait pu être de lui (Tous feux éteints, Gallimard, 1975, p. 133). On notera que Gabriel Matzneff, dans Le Taureau de Phalaris (excipit de l’article « ennui », La Table ronde, 1987, p. 105), a correctement attribué cette formule à Gautier. En 2002, en réponse à un lecteur qui s’en étonnait, il maintint à juste titre son attribution. Et pour cause : il cite exactement la version Gautier-Bergerat, et non pas la version déformée par de Gaulle.
[4] Gautier attribue ce distique à François Maynard. Mais son souvenir est si approximatif qu’il a recréé le texte original. Maynard a écrit : « Pour baiser la robe ou la jupe / Des femmes de bonne maison, / Il faut qu’une amoureuse dupe / Perde son bien et sa raison. » (Stances « Hélène, Oriane, Angélique… », dans Œuvres poétiques choisies, Sansot, 1909, p. 68).
[5] Joseph Sobrier (1810-1854) fut un militant socialiste. Membre de sociétés de conspirateurs républicains sous la Monarchie de Juillet, il prit part à l’insurrection de février 1848 et à l’émeute du 15 mai 1848. Il est mort fou.
[6] Le col de la Gemmi se trouve en Suisse, entre le canton de Berne et le canton du Valais. Il culmine à 2314 mètres. C’est Goethe qui, en 1779, fit connaître son imposante façade rocheuse. Il retint l’attention d’autres écrivains comme Alexandre Dumas, Maupassant, Jules Verne, Mark Twain, Arthur Conan Doyle, etc.
[7] J'ai hésité à inclure ce petit discours dans la présente collection, car son authenticité est moindre que les autres propos oraux. En effet, contrairement à tous les autres que j'ai tirés du livre d'Émile Bergerat, celui-ci n'est pas mis entre guillemets. Il se présente dabord comme un énoncé de la pensée de Bergerat lui-même, et c'est à lui que renvoie le pronom de la première personne. Mais au paragraphe suivant : « Je ne fais ici, comme il est aisé de le sentir, que reproduire sur ce sujet les idées mêmes de mon maître, justement terrifié, je l'ai dit, par l'envahissement du reportage. » On voudra bien considérer que ce petit discours n'a pas été débité tel quel par Gautier et aussitôt retranscrit par Bergerat, mais qu'il représente plutôt une synthèse de divers propos que celui-ci a entendus et qu'il partageait totalement.
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