JULES MICHELET : CHOIX DE CITATIONS
08.06.2017
Il y a chez Jules Michelet (1798-1874) des fulgurances qui jaillissent d’un océan de délires. J’en donne un très sommaire aperçu dans une note connexe [à paraître]. J’y reviendrai peut-être un jour de façon plus approfondie. En attendant, voici une petite collecte de citations, appelée à être complétée au fil des années.
Je l’ai répartie en huit rubriques, selon les genres des livres de Michelet : Histoire de France Histoire de la Révolution française Autres essais historiques Essais religieux et politiques Essais sur l’amour et la femme Essais sur la nature Journal Correspondance et propos oraux
. Sans une base géographique, le peuple, l’acteur historique, semble marcher en l’air comme dans les peintures chinoises où le sol manque. Et notez que ce sol n’est pas seulement le théâtre de l’action. Par la nourriture, le climat, etc, il y influe de cent manières. Tel le nid, tel l’oiseau. Telle la patrie, tel l’homme. (Jules Michelet, Histoire de France, préface de 1869 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 48).
. La France a fait la France, et l'élément fatal de race m'y semble secondaire. Elle est fille de sa liberté. Dans le progrès humain, la part essentielle est à la force vive qu'on appelle homme. L'homme est son propre Prométhée. (Jules Michelet, Histoire de France, préface de 1869 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 49).
. J’avais une belle maladie qui assombrit ma jeunesse, mais bien propre à l’historien. J’aimais la mort. […] Je menais une vie que le monde aurait pu dire enterrée, n’ayant de société que celle du passé, et pour amis les peuples ensevelis. (Jules Michelet, Histoire de France, préface de 1869 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 55).
. C'est une particularité remarquable dans notre histoire que les deux grandes invasions de l'Asie en Europe, celle des Huns au Ve siècle, et celle des Sarrasins au VIIIe, aient été repoussées en France. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge (1833), livre II chap. 1 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 179).
. L'histoire de France commence avec la langue française. La langue est le signe principal d'une nationalité. Le premier monument de la nôtre est le serment dicté par Charles le Chauve à son frère, au traité de 843. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge (1833), livre III (Tableau de la France), incipit ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 323).
. La Bourgogne est le pays des orateurs, celui de la pompeuse et solennelle éloquence. C’est de la partie élevée de la province, de celle qui verse la Seine, de Dijon et de Montbard, que sont parties les voix les plus retentissantes de la France, celles de saint Bernard, de Bossuet et de Buffon. Mais l’aimable sentimentalité de la Bourgogne est remarquable sur d’autres points, avec plus de grâce au nord, plus d’éclat au midi. […] / La France n’a pas d’élément plus liant que la Bourgogne, plus capable de réconcilier le Nord et le Midi. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge (1833), livre III (Tableau de la France) ; éd. Rencontre, Lausanne, 1965, tome I, p. 371).
. Hier tout celà, aujourdhui plus rien… / Rien ?… davantage peut-être. Celui qui semblait hier un simple individu, on voit qu'il avait en lui plus d'une existence, que c'était, en effet, un être multiple, infiniment varié !… Admirable vertu de la mort ! Seule elle révèle la vie. L'homme vivant n'est vu de chacun que par un côté, selon qu'il le sert ou le gêne. Meurt-il, on le voit alors sous mille aspects nouveaux, on distingue tous les liens divers par lesquels il tenait au monde. Ainsi, quand vous arrachez le lierre du chêne qui le soutenait, vous apercevez dessous d’innombrables fils vivaces que jamais vous ne pourrez déprendre de l’écorce où ils ont vécu ; ils resteront brisés, mais ils resteront. / Chaque homme est une humanité, une histoire universelle… Et pourtant cet être, en qui tenait une généralité infinie, c'était en même temps un individu spécial, un être unique, irréparable, que rien ne remplacera. Rien de tel avant, rien après ; Dieu ne recommencera point. Il en viendra d'autres sans doute ; le monde, qui ne se lasse pas, amènera à la vie d'autres personnes, meilleures peut-être, mais semblables, jamais, jamais… / […] On dit que la mort embellit ceux qu'elle frappe, et exagère leurs vertus ; mais c'est bien plutôt en général la vie qui leur faisait tort. La mort, ce pieux et irréprochable témoin, nous apprend, selon la vérité, selon la charité, qu'en chaque homme, il y a ordinairement plus de bien que de mal. (Jules Michelet, Histoire de France. Le Moyen Âge, livre VIII (1840), chapitre 1 ; éd. Rencontre, Lausanne, 1966, tome III, p. 177-178).
. La fraternité militaire est chose sainte. La longue communauté de dangers, d’habitudes, crée un des liens les plus forts qui soient entre les hommes. (Jules Michelet, Histoire de France. La Renaissance (1855), chap. X ; éd. Rencontre, Lausanne, 1966, tome V, p. 240).
. La condamnation de tout le Moyen-Âge, de tous ses grands mystiques, est celle-ci : Pas un n'a eu la Joie. / Comment l'auraient-ils eue ? C'étaient tous des malades. Ils ont gémi, langui et attendu. Ils sont morts dans l'attente, n’entrevoyant pas même les âges d’action et de lumière où nous sommes arrivés si tard. Ils ont aimé beaucoup, mais leur amour si vague, plein de subtilités suspectes, ne s’affranchit jamais des pensées troubles. Ils restèrent tristes et inquiets. (Jules Michelet, Histoire de France. Réforme (1855), chap. V ; éd. Rencontre, Lausanne, 1966, tome V, p. 424).
. Créature étonnante ! Il serait curieux d’expliquer comment ces pères [jésuites] ont couvé, fait éclore cette espèce jusque-là inconnue en histoire naturelle. On avait bien le fanatique, mais on n’avait pas le bigot. Heureux mélange du sot, du furieux, combinaison savante d’aveugle docilité et de stupidité sauvage. Le fanatique était terrible ; mais enfin il avait des yeux ; il risquait par moment d’entrevoir des lueurs. Mais rien ici ; le sens de la vue manque. Aussi quelle force et quelle roideur ! Nulle courbe ; une droite ligne de férocité sotte qu’on n’eût imaginée jamais. (Jules Michelet, Histoire de France. Richelieu et la Fronde (1858), chap. VIII ; éd. Rencontre, Lausanne, 1966, tome VIII, p. 409).
HISTOIRE DE LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
. Tous avaient prévu la Révolution au milieu du [XVIIIe] siècle. Personne à la fin n’y croyait. Loin du Mont-Blanc, on le voit ; au pied, on ne le voit plus. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, introduction, II, 9 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 75).
. L'attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, I, 7 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 145).
. Un phénomène plus grand que tout évènement politique apparut alors au monde [= en août 1789] : la puissance de l’homme, par quoi l’homme est Dieu, la puissance du sacrifice, avait augmenté. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 5 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 228-229).
. L'impuissant croit volontiers l'impossible ; hors d'état d'agir lui-même, il s'imagine que le hasard, l'imprévu, l'inconnu, agiront pour lui. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 7 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 245).
. Ce qu’il y a dans le peuple de plus peuple, je veux dire de plus instinctif, de plus inspiré, ce sont, à coup sûr, les femmes. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 248).
. Les grandes misères sont féroces, elles frappent plutôt les faibles ; elles maltraitent les enfants, les femmes bien plus que les hommes. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 254).
. La femme, l’être relatif qui ne peut vivre qu’à deux, est plus souvent seule que l’homme. Lui, il trouve partout la société, se crée des rapports nouveaux. Elle, elle n’est rien sans la famille. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 254).
. Une chose peu remarquée, la plus déchirante peut-être au cœur maternel, c'est que l'enfant est injuste. Habitué à trouver dans la mère une providence universelle qui suffit à tout, il s’en prend à elle, durement, cruellement, de tout ce qui manque, crie, s’emporte, ajoute à la douleur une douleur plus poignante. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, II, 8 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 254).
. Auprès des assemblées comme auprès des femmes, l'assiduité sera toujours le premier mérite. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, IV, 5 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 489).
. Il eût été plus noble [aux tantes de Louis XVI], sans doute, de s’obstiner à partager le sort de leur neveu, les misères et les dangers de la France. […] Il fallait les laisser aller, et elles, et tous ceux qui, préoccupés de dangers imaginaires ou réels, aimaient mieux leur sûreté et la vie que la patrie, ceux qui pouvaient abandonner la qualité de Français. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, IV, 9 (1847) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 544).
. Nulle part ailleurs que dans les villes de prêtres on n’apprend à bien haïr. Le supplice de leur obéir créa dans Avignon un phénomène, qui ne s’est jamais vu peut-être au même degré : un noir enfer de haine. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, VI, 2 (1849) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 790).
. La défensive ne va pas à la France. La France n'est pas un bouclier. La France est une épée vivante. Elle se portait elle-même à la gorge de l'ennemi. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, VII, 8 (1850) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 1114).
. [Le duc de Brunswick] était un homme prodigieusement instruit, d’autant plus hésitant, sceptique. Qui sait beaucoup, doute beaucoup. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, VII, 8 (1850) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 1121).
. Le plaisir, continué au-delà de l’âge, énerve non seulement le corps, mais la faculté de vouloir. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, VII, 8 (1850) ; Pléiade, 1952, tome I, p. 1122).
. Ceux qui vivent, vivent d'une idée ; les autres, ce sont les morts. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, IX, 5 (1851) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 67).
. La tolérance du mal, n’est-ce pas le mal encore ? La tolérance de l’ennemi est-elle loin de la trahison ? La Gironde, il est vrai, vota des lois sévères, mais elle refusait les moyens de les faire exécuter. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, X, 10 (1851) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 348).
. Ah ! France ! quelle chose es-tu donc, et comment te nommerai-je ?… Tant aimée !… Et combien de fois tu m’as traversé le cœur !… Mère, maîtresse, marâtre adorée !… Que nous mourions par toi, c’est bien ! que tu nous brises, c’est toi-même ; tu n’entendras pas un soupir. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XIV, 1 (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 625).
. Il est très rare que les puissants aient besoin de faire des crimes ni même de les savoir ; on devance leurs pensées. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XV, 4 (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 711).
. Le peuple attribue tous les maux aux personnes plus qu'aux choses. Il personnifie le Mal. Qu’est-ce que le Mal au Moyen-Âge ? C’est une personne, le Diable. Qu’est-ce que le Mal en 93 ? C’est une personne, le traître. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XVIII, 1 (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 814).
. Qu'on sache bien qu'une société qui ne s'occupe point de l'éducation des femmes et qui n'en est pas maîtresse est une société perdue. La médecine préventive est ici d'autant plus nécessaire que la curative est réellement impossible. Il n'y a, contre les femmes, aucun moyen sérieux de répression. […] Elles corrompent tout, brisent tout ; point de clôture assez forte. […] Dans toute la Révolution, je les vois violentes, intrigantes, bien souvent plus coupables que les hommes. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XX, 2, note de bas de page (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 900-901).
. Ce n'est pas notre faute si la nature les [=les femmes] a faites, non point faibles, comme on dit, mais infirmes, périodiquement malades, nature autant que personnes, filles du monde sidéral, donc, par leurs inégalités, écartées de plusieurs fonctions rigides des sociétés politiques. Elles n’y ont pas moins une influence énorme, et le plus souvent fatale jusqu’ici. Il y a paru dans nos révolutions. Ce sont généralement les femmes qui les ont fait avorter ; leurs intrigues les ont minées, et leurs morts (souvent méritées, toujours impolitiques) ont puissamment servi la contre-révolution. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XX, 2, note de bas de page (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 901).
. Si [les femmes] sont, par leur tempérament qui est la passion, dangereuses en politique, elles sont peut-être plus propres que l'homme à l'administration. Leurs habitudes sédentaires et le soin qu'elles mettent en tout, leur goût naturel de satisfaire, de plaire et de contenter, en font d'excellents commis. (Jules Michelet, Histoire de la Révolution française, XX, 2, note de bas de page (1853) ; Pléiade, 1952, tome II, p. 901).
. D’autres sentent dans cette unité apparente un terrible brouillamini, mais se gardent de l’éclaircir. Ils en ont la joie des enfants, la joie que l’enfant a du déménagement et de l’incendie. C’est superbe ! On n’y comprend rien ! / Aussi, bien loin de vouloir éclaircir cette grande complication, ils l’augmenteraient plutôt. De la confusion ils feraient volontiers une Babel encore plus discordante. Ils veulent à tout prix le miracle. / Le miracle, c’est notre sottise et notre aveuglement. Le naturaliste et l’historien (ce qui est la même chose) est celui qui supprime les miracles en les expliquant, et montre que les plus étonnants ne sont que des cas naturels. (Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle, tome I. Directoire, origine des Bonaparte (1872), préface, Michel Lévy, 1875, p. XV).
. L’histoire ne fera jamais rien, si elle ne perd le respect, si, comme dans le vieux poëme, elle n’imite Renaud de Montauban, qui prend un tison noir pour faire la barbe à Charlemagne. Le sacrilège, la raillerie des faux dieux est le premier devoir de l’historien, son indispensable instrument pour rétablir la vérité. Mais il faut que la moquerie soit l’expression d’un mépris sérieux, profond, solidement fondé. (Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle, tome I. Directoire, origine des Bonaparte (1872), préface, note n°1, Michel Lévy, 1875, p. XIX).
. Les Anglais [en Inde] recrutés sans cesse, se succédant très vite, y forment un peuple de malades, sans avenir, qui ne produira rien que l’abâtardissement de leur belle race, jadis si forte. / Je crois, comme M. le docteur Bertillon, que les conquêtes et colonies en pays tropicaux sont éphémères et vaines, de vrais cimetières pour l’Europe, et rien de plus. (Jules Michelet, Histoire du XIXe siècle, tome II. Jusqu’au 18 brumaire (1873), IV, 1, Michel Lévy, 1875, p. 241-242).
. Ce petit livre pourrait aussi bien être intitulé : Introduction à l'Histoire de France ; c'est à la France qu'il aboutit. Et le patriotisme n'est pour rien en celà. Dans sa profonde solitude, loin de toute influence d'école, de secte ou de parti, l'auteur arrivait, et par la logique et par l'histoire, à une même conclusion : c'est que sa glorieuse patrie est désormais le pilote du vaisseau de l'humanité. (Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle (1831), préface ; Armand Colin, bibliothèque de Cluny, 1962, p. 33).
. C'est à la France qu'il appartient et de faire éclater cette révélation nouvelle [du verbe social] et de l'expliquer. Toute solution sociale ou intellectuelle reste inféconde pour l'Europe, jusqu'à ce que la France l'ait interprétée, traduite, popularisée. La reforme du Saxon Luther, qui replaçait le Nord dans son opposition naturelle contre Rome, fut démocratisée par le génie de Calvin. La réaction catholique du siècle de Louis XIV fut proclamée devant le monde par le dogmatisme superbe de Bossuet. Le sensualisme de Locke ne devint européen qu'en passant par Voltaire, par Montesquieu qui assujettit le développement de la société à l'influence des climats. La liberté morale réclama au nom du sentiment par Rousseau, au nom de l'idée par Kant ; mais l'influence du Français fut seule européenne. / Ainsi chaque pensée solitaire des nations est révélée par la France. Elle dit le Verbe de l'Europe, comme la Grèce a dit celui de l'Asie. […] / À mesure que ce sentiment [de la généralité sociale] vient à poindre chez les autres peuples, ils sympathisent avec le génie français, ils deviennent France ; ils lui décernent, au moins par leur muette imitation, le pontificat de la civilisation nouvelle. Ce qu'il y a de plus jeune et de plus fécond dans le monde, ce n'est point l'Amérique, enfant sérieux qui imitera longtemps ; c'est la vieille France, renouvelée par l'esprit. Tandis que la civilisation enferme le monde barbare dans les serres invincibles de l'Angleterre et de la Russie, la France brassera l'Europe dans toute sa profondeur. (Jules Michelet, Introduction à l’histoire universelle (1831) ; Armand Colin, bibliothèque de Cluny, 1962, p. 75-76).
. [parlant du plan de La Bible de l’Humanité :] … ce qui contient, atténue, classe Jésus, et le remet à sa place, comme fils du roman de la juive et de l’universelle hystérie. Le principe romanesque du monde nouveau, l’adultère avec l’Esprit, l’onanisme de rêverie. (Jules Michelet, Journal, Tome 3, 1861-1867, feuillet daté du 28 octobre 1863, Gallimard, 1976, p. 170).
. Il faut être un Père de l’Église (j’allais dire un imbécile) ou bien un Juif furieux, durci de malheur et de haine, pour dire que l'Indien, le Grec aient été dupes de leurs dieux, que l’Inde, avec son génie pénétrant des métamorphoses, ait ignoré l’orgie divine de sa prolifique imagination, son fantastique enfantement, son éternelle ovulation de dieux nouveaux […]. Que le Grec, fils de la lumière et qui en eut tous les arts, […] ait ignoré son travail, son jeu charmant de faire et croire des dieux, des héros, des mythes, des sagas, des légendes, […] d’adorer juste ce qu’il faut pour imiter et profiter. (Jules Michelet, note manuscrite en vue de La Bible de l’Humanité, datée du 3 novembre 1863 ; reproduite dans Journal, Tome 3, 1861-1867, Gallimard, 1976, p. 638).
. L’Indo-européen, patient, méthodique, a donné sur le globe sa féconde traînée de lumière. Le Sémite a lancé des éclairs scintillants qui ont troublé les âmes, et trop souvent troublé la nuit. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), I, 1,4, note n°8 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 39).
. L’amour est une loterie, la Grâce est une loterie. Voilà l’essence du roman. Il est le contraire de l’histoire, non seulement parce qu’il subordonne les grands intérêts collectifs à une destinée individuelle, mais parce qu’il n’aime pas les voies de cette préparation difficile qui dans l’histoire produit les choses. Il se plaît davantage à nous montrer les coups de dés que parfois le hasard amène, à nous flatter de l’idée que l’impossible souvent devient possible. Par cet espoir, le plaisir, l’intérêt, il gagne son lecteur, gâté dès le début, et qui le suit ensuite avidement, à ce point qu’il le tiendrait quitte de talent, d’adresse même. L’esprit chimérique se trouve intéressé dans l’affaire, il veut qu’elle réussisse. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 6 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 298).
. Monsieur, qu’est-ce que le roman ? Madame, c’est ce qu’en ce moment vous avez dans l’esprit. Car comme vous ne vous souciez ni de patrie, ni de science, ni même de religion, vous couvez ce que Sterne appelle un dada et que j’appelle : une jolie petite poupée. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 6, note 11 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 298).
. [Les barbares germaniques] n’apportaient guère à l’Empire que désordre et ruine. En accepter l’élite pour la disséminer et la romaniser, c’est ce qu’on pouvait faire. Mais fraterniser follement, leur ouvrir les barrières, les admettre en tribus, c’était accepter le chaos. Les grands enfants blondasses étaient à cent lieues de pouvoir comprendre une telle société. Ils cassaient tout, faisaient rage un moment. Puis ces hommes très mous sous leur forte apparence fondaient à la chaleur du Sud, aux vices et aux excès. (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 9 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 345).
. [L’enfant] ne paraît point du tout aux monuments chrétiens. Jésus semble un enfant et ne l’est pas. Il prêche. La mère n’ose y toucher. Pour elle il est stérile, ni allaité, ni élevé. Qu’arrive-t-il ? La femme est triste et sèche, d’aspect ingrat et pauvre. L’impuissance de l’homme sans doute est lamentable. Mais la femme impuissante, atrophiée, fruit sec ! C’est (pis que la mort) désolation ! (Jules Michelet, La Bible de l’humanité (1864), II, 9 ; Complexe, Bruxelles, 1998, p. 349).
ESSAIS RELIGIEUX ET POLITIQUES
. L'église s'occupe du monde, elle nous enseigne nos affaires, à la bonne heure ! Nous lui enseignerons Dieu ! (Jules Michelet, Des jésuites (1843), introduction, Hachette et Paulin, 1843, p. 26).
. Même pour se soumettre, il faut être libre ; pour se donner, il faut être à soi. (Jules Michelet, Des jésuites (1843), IVe leçon, Hachette et Paulin, 1843, p. 65).
. La liberté est tellement le fonds du monde moderne, que pour la combattre, ses ennemis n'ont d'autre arme qu'elle-même. Comment l'Europe a-t-elle pu lutter contre la Révolution ? Avec des libertés données ou promises, libertés communales, libertés civiles […]. / Les violents adversaires de la liberté de penser y puisaient leurs forces. N'est ce pas un curieux spectacle de voir M. de Maistre, dans sa vive allure, échapper à chaque instant au joug qu'il veut imposer, ici plus mystique que les mystiques condamnés par l'Eglise, là tout aussi révolutionnaire que la Révolution qu'il combat ? (Jules Michelet, Des jésuites (1843), IVe leçon, Hachette et Paulin, 1843, p. 65-66).
. La religion […] c’est elle justement qui est morte la première. Si elle eût vécu, tout pouvait encore se refaire, ou plutôt rien n’aurait péri. – Ce qui reste, c’est une machine qui joue la religion, qui contrefait l’adoration, à peu près comme en certains pays de l’Orient, les dévots ont des instruments qui prient à leurs places, imitant par un un certain bruit monotone le marmottement des prières. (Jules Michelet, Des jésuites (1843), VIe leçon, Hachette et Paulin, 1843, p. 108).
. Où le monde finit, le prêtre commence. (Jules Michelet, Du prêtre, de la femme, de la famille (1845), III, 1, deuxième note, Hachette et Paulin, 1845, p. 265).
. On s'attache par le chagrin même ; souffrir ensemble, c'est encore aimer. (Jules Michelet, Du prêtre, de la femme, de la famille (1845), III, 2, Hachette et Paulin, 1845, p. 269).
. Depuis deux siècles, moralement, on peut dire que la France est pape. L'autorité est ici, sous une forme ou sous une autre. Ici, par Louis XIV, par Montesquieu, Voltaire et Rousseau, par la Constituante, le Code et Napoléon, l'Europe a toujours son centre ; tout autre peuple est excentrique. (Jules Michelet, Du prêtre, de la femme, de la famille (1845), conclusion, Hachette et Paulin, 1845, p. 305).
. Les romantiques avaient cru que l'art était surtout dans le laid. Ceux-ci ont cru que les effets d’art les plus infaillibles étaient dans le laid moral. L'amour errant leur a semblé plus poétique que la famille, et le vol que le travail, et le bagne que l'atelier. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 63).
. Le difficile n'est pas de monter, mais, en montant, de rester soi. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 72).
. La situation de la France est si grave qu’il n’y avait pas moyen d’hésiter. Je ne m’exagère pas ce que peut un livre ; mais il s’agit du devoir, et nullement du pouvoir. / Eh bien ! je vois la France baisser d’heure en heure, s’abîmer comme une Atlantide. Pendant que nous sommes là, à nous quereller, ce pays s’enfonce. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 73).
. Français, de toute condition, de toute classe, et de tout parti, retenez bien une chose, vous n’avez sur cette terre qu’un ami sûr et c’est la France. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), préface ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 75).
. La nature a porté une loi sur la femme, que la vie lui fût impossible, à moins d’être appuyée sur l’homme. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), I, ii ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 102-103).
. Être homme, au vrai sens, c’est dabord, c’est surtout, avoir une femme. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), I, iii ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 107).
. Un livre unique qu'on lit et qu'on relit, qu'on rumine et digère, développe souvent mieux qu'une vaste lecture indigeste. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), I, iii ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 111).
. Tel, au moment de faillir, s'arrête sans qu'on sache pourquoi… c'est qu'il a senti passer sur sa face l'esprit invisible des héros de nos guerres, le vent du vieux drapeau !… / Ah ! je n'espère qu'en lui ! qu'il sauve la France, ce drapeau ! […] / Quel dépôt dans les mains de ces jeunes soldats ! quelle responsabilité pour l'avenir !… Au jour du suprême combat de la civilisation et de la barbarie (qui sait si ce n'est pas demain ?) il faut que le Juge les trouve irréprochables, leur épée nette, et que leurs baïonnettes étincellent sans tache !… Chaque fois que je les vois passer, mon cœur s'émeut en moi : « Ici seulement, ici, vont d'accord la force et l'idée, la vaillance et le droit, ces deux choses séparées par toute la terre… Si le monde est sauvé par la guerre, vous seuls le sauverez… Saintes baïonnettes de France, cette lueur qui plane sur vous, que nul œil ne peut soutenir, gardez que rien ne l'obscurcisse ! » (Jules Michelet, Le Peuple (1846), I, vi ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 130-131).
. Si l'on voulait entasser ce que chaque nation a dépensé de sang, et d'or, et d'efforts de toute sorte, pour les choses désintéressées qui ne devaient profiter qu'au monde, la pyramide de la France irait montant jusqu'au ciel… Et la vôtre, ô nations, toutes tant que vous êtes ici, ah ! la vôtre, l'entassement de vos sacrifices, irait au genou d'un enfant. […] Elle a donné son âme, et c'est de quoi vous vivez. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, v ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 226).
. La France supérieure comme dogme, et comme légende. La France est une religion. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, vi, titre du chapitre ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 227).
. Rome n’est nulle autre part qu’ici [=en France]. Dès saint Louis, à qui l’Europe vient-elle demander justice […] ? La papauté théologique en Gerson et en Bossuet, la papauté philosophique en Descartes et en Voltaire, la papauté politique, civile, en Cujas et Dumoulin, en Rousseau et Montesquieu, qui pourrait la méconnaître ? Ses lois, qui ne sont autre que celles de la raison, s’imposent à ses ennemis même. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, vi ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 227-228).
. Toute autre histoire est mutilée, la nôtre seule est complète ; prenez l'histoire de l'Italie, il y manque les derniers siècles ; prenez l'histoire de l'Allemagne, de l'Angleterre, il y manque les premiers. Prenez celle de la France ; avec elle, vous savez le monde. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, vi ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 228).
. L’enfant saura le monde, mais dabord qu’il se sache lui-même, en ce qu’il a de meilleur, je veux dire en la France. Le reste, il l’apprendra par elle. À elle, de l’initier, de lui dire sa tradition. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, ix ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 243).
. Combien l'éducation durera-t-elle ? Juste autant que la vie. / Quelle est la première partie de la politique ? L'éducation. La seconde ? L'éducation. Et la troisième ? L'éducation. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, ix ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 244).
. J’ai trop vieilli dans l’histoire pour croire aux lois, quand elles ne sont pas préparées, quand de longue date les hommes ne sont point élevés à aimer, à vouloir la loi. Moins de lois, je vous prie, mais par l’éducation fortifiez le principe des lois ; rendez-les applicables et possibles ; faites des hommes, et tout ira bien. (Jules Michelet, Le Peuple (1846), III, ix ; Flammarion, coll. Champs n°79, 1979, p. 244).
. Oui, la France eut raison. Et l’univers eut tort. Et quand l’univers tuerait la France, la France vaudrait mieux ; car enfin, quoi qu’il fasse, l’univers n’en sait rien. Où fut la conscience du monde ? En toi, vieux paysan de France ! Il te fallut combattre les nations, pour le salut des nations. (Jules Michelet, L’Étudiant, 6e leçon, 20 janvier 1848 ; Seuil, 1970, p. 126).
. Non, le prêtre n’existe plus, sa place est vide. L’esprit a passé ailleurs, la force morale ailleurs. Le triste mystère d’une vie contre nature se révèle trop chaque jour… (Jules Michelet, L’Étudiant, 10e leçon, 17 février 1848 ; Seuil, 1970, p. 161-162).
. L'éducation catholique est une machine très forte, infiniment dangereuse, toute puissante pour fausser l'esprit ; elle influe invinciblement, forme et déforme la tête, fléchit l'épine dorsale, fabrique des tordus, des bossus. Elle a fait parfois d'admirables monstres, un Pascal, un M. de Maistre. (Jules Michelet, texte inédit, publié dans L’Arc, 1973, n°52, p. 6 ; ou dans Œuvres complètes, tome IV, 1974, p. 34).
. Nous sommes bien moins qu’en février [1848] crédules et chimériques. La vue s’est éclaircie. On n’entend plus des fous humanitaires crier : « Vive le monde ! Supprimons la Patrie ! » Nombre de questions sont décidément écartées, d’autres remises à demain. Savoir ce qui est d’aujourdhui, ce qui est de demain, c’est le vrai sens pratique dans les révolutions. (Jules Michelet, Nos fils (1869), introduction ; réimp. Slatkine, 1980, p. II-III ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 358).
. [L]a substance [de l’éducation], je l’ai dit, c’est la tradition nationale. Ce que l'enfant doit apprendre dabord, c'est la Patrie, sa mère. « Ta mère, c’est toi, et tu en es le fruit. Que fit-elle ? comment vécut-elle ? C’est là ce qu’il te faut savoir. Tu y liras ton âme, te connaîtras toi-même. » (Jules Michelet, Nos fils (1869), introduction ; réimp. Slatkine, 1980, p. XIII ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 363-364).
. Toutes [les brochures possédées par un pauvre ouvrier communiste] partaient de l’idée d’un miracle qu’elles proposaient sérieusement : d’un trait biffer un monde, et en refaire un autre. / Maladie singulière, incurable, de l’esprit humain. Depuis le 2 décembre [1851], le grand flot des romans qui nous ont envahis, bien autrement fangeux, est dominé surtout par l’idée d’aventures, de bonheur improbable, de loterie grossière, l’idée californienne, de gros lot et de lingot d’or. Toujours la foi aveugle au miracle, au hasard, au coup d’État du sort, qui dispense d’effort, de travail, de persévérance. / Les livres qu’il nous faut, ce sont précisément les plus contraires à l’idée de miracle. Ce sont les livres d’action. (Jules Michelet, Nos fils (1869), V, 2 ; réimp. Slatkine, 1980, p. 361 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 496-497).
. Le plus fécond des livres, c’est l’action, l’action sociale. Le grand livre vivant, c’est la Patrie. On l’épelle dans la commune ; puis, lisant couramment aux feuillets supérieurs, départements, provinces, on embrasse l’ensemble, on s’imprègne de la grande âme. / Grâce à Dieu, c’est chose jugée. Le réveil actuel renvoie dans leurs brouillards les sots humanitaires qui dirent en 1848 : « Supprimons la caste Patrie. » De même les artistes étourdis qui dirent plus récemment : « Plus de France ! le monde ! ». / Chaque patrie a deux caractères : premièrement celui d’un organe spécial de la vie de l’Europe, une corde de sa grande lyre, nécessaire et indispensable à l’harmonie totale, – et deuxièmement, le caractère d’un système éducatif pour ses nationaux. La France pour les siens est une éducation. (Jules Michelet, Nos fils (1869), V, 3 ; réimp. Slatkine, 1980, p. 367-368 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 498).
. Comme on change, dès qu'on se croit fort ! (Jules Michelet, La France devant l'Europe (1871), chap. II ; dans Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 654).
. Il est certain que la France a par moment un grand vol, qui la porte haut, si haut, que la chute est infaillible. Elle marque le but très loin, sans pouvoir indiquer encore la voie, les moyens d'arriver. Elle retombe et se décourage. […] Le monde alors crie contre elle. L'imprudente est accablée. (Jules Michelet, La France devant l'Europe (1871), chap. III ; dans Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 657).
ESSAIS SUR L’AMOUR ET LA FEMME
. Un fait est incontestable. Au milieu de tant de progrès matériels, intellectuels, le sens moral a baissé. Tout avance et se développe ; une seule chose diminue, c’est l’âme. / Au moment vraiment solennel où le réseau des fils électriques, répandu sur toute la terre, va centraliser sa pensée et lui permettre d’avoir enfin conscience d’elle-même, quelle âme allons-nous lui donner ? Et que serait-ce si la vieille Europe, dont elle attend tout, ne lui envoyait qu’une âme appauvrie ? (Jules Michelet, L’Amour (1858), introduction, I, Hachette, 1859, p. II).
. [La femme] change et ne change pas. Elle est inconstante et fidèle. Elle va muant sans cesse dans le clair-obscur de la grâce. Celle que tu aimas ce matin n’est pas la femme du soir. (Jules Michelet, L’Amour (1858), introduction, IV, Hachette, 1859, p. XLIV).
. L’homme désire et la femme aime. Il a inventé des centaines de religions, de législations polygamiques. Il voulait jouir et durer ; il cherchait son plaisir dabord, puis, sa perpétuité par une famille nombreuse. La femme ne voulait rien qu’aimer, appartenir, se donner. (Jules Michelet, L’Amour (1858), I, 7, Hachette, 1859, p. 28-29).
. II lui faut un gardien attentif, très confident, qui sache tout, qui puisse l'aider en tout. Car elle est si exposée ! Si elle a froid, tout s'arrête. Si elle a peur, si on lui fait du chagrin, si elle pleure, tout peut s'arrêter encore. Si elle digérait mal, tout serait encore en péril. Ce qu’elle n’ose dire, il faut le pressentir, le deviner. Elles craignent tant de déplaire ! (Jules Michelet, L’Amour (1858), II, 8, Hachette, 1859, p. 114).
. La trahison de la femme a des conséquences énormes que n’a point celle de l’homme. La femme ne trahit pas seulement, elle livre l’honneur et la vie du mari ; elle le fait chansonner, montrer au doigt, siffler, charivariser ; elle le met au hasard de périr, de tuer un homme ou de rester ridicule, c’est presque la même chose que si elle donnait le soir la clef à un assassin. / Il sera assassiné moralement tout le reste de sa vie, ne sachant jamais si l'enfant est bien son enfant, forcé de nourrir, de doter une progéniture équivoque, ou de donner au public l'amusement d'un procès, dans lequel, gagnant, perdant, il assure toujours à son nom une illustration de risée. / Il est insensé de dire que la femme n'a pas plus de responsabilité que l'homme. – Lui, il est une activité, une force qui soutient la famille, mais elle, elle en est le cœur. Seule, elle garde le secret de la religion domestique, le titre qui fait tout l'avenir. Seule, elle peut affirmer la légitime hérédité. Un mensonge de l'épouse peut fausser l'histoire pour mille ans. / Qu'est-ce que le sein de la femme, sinon notre temple vivant, notre sanctuaire, notre autel, où brûle la flamme de Dieu, où l'homme se reprend chaque jour ? Qu'elle livre cela à l'ennemi, qu'elle laisse voler cette flamme qui est la vie de son mari, c'est plus que si elle aidait à lui enfoncer le couteau. / Nulle peine ne serait assez grave si elle savait ce qu'elle fait. (Jules Michelet, L’Amour (1858), IV, 8, Hachette, 1859, p. 270-271).
. Il n’y a point de petites choses, je le sais. Pour réussir, la minutie est nécessaire ; sans elle, sans la précision, nul résultat n'est possible. Mais il faut que l'ouvrier reste plus grand que son œuvre, qu'il la domine. On ne l'embrasse fortement qu'autant qu'on est au-dessus. (Jules Michelet, L’Amour (1858), notes et éclaircissements, Hachette, 1859, p. 379).
. Les mouvements déréglés, l'agitation effrénée, ne sont pas plus nécessaires au bonheur de l'enfant grandi que le chaos des sensations confuses ne l'a été au nourrisson. J'ai bien souvent observé les petits malheureux qu'on laisse au hasard de leur fantaisie, et j'ai été frappé de voir combien la vaine exaltation, le dévergondage, les fatiguaient bientôt eux-mêmes. Au défaut de contrainte humaine, ils rencontraient à chaque instant la contrainte des choses, l'obstacle muet, mais fixe, des réalités ; ils se dépitaient en vain. Au contraire, l'enfant dirigé par une providence amie et dans l'ordre naturel, ne rencontrant que rarement la tyrannie de l'impossible, vit dans la vraie liberté. / L'usage habituel de la liberté dans l'ordre a cela d'admirable que tôt ou tard il donnera à la nature la noble tentation de subordonner la nature même, de dompter la liberté par une liberté plus haute, de vouloir l'effort et le sacrifice. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 6, Calmann-Lévy, 1879, p. 114).
. Je soutiens que, comme femme, elle ne fait son salut qu’en faisant le bonheur de l’homme. Elle doit aimer et enfanter, c’est là son devoir sacré. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 6, Calmann-Lévy, 1879, p. 120).
. Les mères diront non, et s’indigneront ; tous leurs enfants sont parfaits. Elles sont trop assoties de leurs fils, pour croire l'évidence même. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 9, Calmann-Lévy, 1879, p. 156).
. Selon moi, [l’éducation] doit être tout autre pour le garçon et pour la fille. / Si l'on veut mieux réussir dans l'éducation qu'on ne l'a fait jusqu'ici, il faut marquer sérieusement les différences profondes qui non seulement séparent les deux sexes, mais les opposent même, les constituent symétriquement opposés. / Autres sont leurs vocations et leurs tendances naturelles. Autre aussi leur éducation, – différente dans la méthode, harmonisante pour la fille, pour le garçon fortifiante, – différente en son objet, pour l'étude principale où s'exercera leur esprit. / Pour l'homme qui est appelé au travail, au combat du monde, la grande étude, c'est l'Histoire, le récit de ce combat. […] / Pour la femme, doux médiateur entre la nature et l'homme, entre le père et l'enfant, son étude toute pratique, rajeunissante, embellissante, c'est celle de la Nature. / Lui, il marche de drame en drame, dont pas un ne ressemble à l'autre, d'expérience en expérience, et de bataille en bataille. L'Histoire va, s'allonge toujours… et lui dit toujours… « En avant ! » / Elle, au contraire, elle suit la noble et sereine épopée que la Nature accomplit dans ses cycles harmoniques, revenant sur elle-même, avec une grâce touchante de constance et de fidélité. (Jules Michelet, La Femme (1859), I, 10, Calmann-Lévy, 1879, p. 159-160).
. Que la France a été bien aimée ! Et que je regrette encore l'accueil d'amour et d'amitié que nous trouvions chez les tribus de l'Amérique du Nord. Race haute et fière, s’il en fut. C'est une vraie gloire pour nous que ces hommes, d'un regard perçant et d'une seconde vue de chasseur, nous aient préférés pour leurs filles, et compris ce qui est réel, c'est que le Français est un mâle supérieur. Comme soldat, il vit partout, et, comme amant, il crée partout. / L'Anglais et l'Allemand, qui semblent forts, bien nés, sont et moins robustes et bien moins générateurs. Ils ne peuvent rien avec l'étrangère. Si la femme anglaise, allemande, n'est pas là toujours derrière, pour les suivre dans leurs voyages, leur race finit. Il ne restera rien bientôt de l'Anglais dans l'Inde, pas plus qu'il ne reste chez nous des Francs de Clovis, ni des Lombards en Lombardie. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 1, Calmann-Lévy, 1879, p. 214).
. L'Amour a son plan pour la terre. Son but serait d'en mêler, d'en fondre toutes les races dans un immense mariage. […] Nous ne ferions plus qu'un seul clan. / Beau rêve ! mais nous ne devons pas y céder trop facilement. Dans une telle unité, où le sang de toutes les races se trouverait mêlé ensemble, en supposant, chose difficile, qu'il s'en fît une harmonie, je crois qu'elle serait très pâle. Un certain élément neutre, incolore, blafard, en résulterait. Un nombre immense de dons spéciaux, très exquis, auraient péri. Et la victime définitive de l'amour, dans cette fusion totale, serait fatale à l'amour même. […] Il ne faut pas croire qu'on puisse faire impunément ces mélanges. Faits d'une manière indiscrète, ils abaissent les races, ou avortent. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 2, Calmann-Lévy, 1879, p. 219-220).
. Ce qui paraît vraisemblable, c’est que les mariages entre parents qui peuvent affaiblir les faibles et les faire dégénérer, fortifient, au contraire, les forts. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 2, Calmann-Lévy, 1879, p. 228).
. Le passé a celà de fort, de dangereux, qu'embelli par le temps, par les pertes et les regrets, par les douces larmes qu'on lui donne, il est cent fois plus cher que quand il était le présent. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 7, Calmann-Lévy, 1879, p. 283).
. On ne peut dire (comme Proudhon) que la femme n'est que réceptive. Elle est productive aussi par son influence sur l'homme, et dans la sphère de l'idée, et dans le réel. Mais son idée n'arrive guère à la forte réalité. C’est pourquoi elle crée peu. / La politique lui est généralement peu accessible. Il y faut un esprit générateur et très mâle. Mais elle a le sens de l'ordre, et elle est très propre à l'administration. / Les grandes créations de l'art semblent jusqu'ici lui être impossibles. Toute œuvre forte de civilisation est un fruit du génie de l'homme. / On a fait fort sottement de tout celà une question d'amour-propre. L'homme et la femme sont deux êtres incomplets et relatifs, n' étant que deux moitiés d' un tout. Ils doivent s'aimer, se respecter. / Elle est relative. Elle doit respecter l'homme, qui crée tout pour elle. Elle n'a pas un aliment, pas un bonheur, une richesse, qui ne lui vienne de lui. / Il est relatif. Il doit adorer, respecter la femme, qui fait l'homme, le plaisir de l'homme, qui par l'aiguillon de l'éternel désir a tiré de lui, d'âge en âge, ces jets de flammes qu'on appelle des arts, des civilisations. Elle le refait chaque soir, en lui donnant tour à tour les deux puissances de vie : – en l'apaisant, l'harmonie ; en l'ajournant, l'étincelle. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 11, Calmann-Lévy, 1879, p. 329-330).
. [En Allemagne,] c’est toujours l’épouse humble, obéissante, passionnée pour obéir ; c’est, d’un mot, la femme amoureuse. (Jules Michelet, La Femme (1859), II, 12, Calmann-Lévy, 1879, p. 340-341).
. Les bons meurent souvent seuls, et ceux qui consolèrent ne sont pas toujours consolés. (Jules Michelet, La Femme (1859), III, 6, Calmann-Lévy, 1879, p. 433).
. Même dans une société libre, il y aura toujours des captifs, ceux de la misère, ceux de l'âge, ceux des préjugés, des passions. (Jules Michelet, La Femme (1859), notes et éclaircissements, note n°4 , Calmann-Lévy, 1879, p. 460).
. La Juive se mit (de mère en mère, de fils en fils) à aimer, concevoir, enfanter, couver le futur Messie, non vengeur, comme voulait l’homme, mais charmant pour une femme. Coup mortel au mariage. Tout mari a ce rival. / Pour la Juive, il est enfant ; pour la chrétienne, jeune homme. […] La Juive a créé le Messie, la chrétienne a créé les Saints. (Jules Michelet, note manuscrite en vue d’une Histoire de l’amour, datée du 6 février 1861 ; reproduite dans Journal, Tome 3, 1861-1867, Gallimard, 1976, p. 547-548).
. Toute sainte, au Moyen Âge, fait son mari trois fois cocu. […] Le mari est trois fois trompé, immolé par son innocente qui, douce et bonne, incapable de rien faire de mal contre lui, de proche en proche, glisse pourtant aux pentes de l’adultère sacré. Elle en a descendu déjà trois degrés, et passé par trois amants : la haute et touchante personne du jeune Dieu qui mourut pour elle, pour le salut de son âme ; l’aimable et charmant petit saint de la légende locale, son humble et cher saint de village, qu’elle-même en partie enfanta à son image et ressemblance, avec sa grâce et pour l’aimer : Christ est descendu dans ce saint, le saint s’incarne dans ce prêtre, en apparence sévère, au fond jaloux, colère, ardent. C’est la brebis devant le loup, brebis tremblante, fascinée qui toujours ira au loup davantage. (Jules Michelet, note manuscrite en vue d’une Histoire de l’amour, datée du 6 février 1861 ; reproduite dans Journal, Tome 3, 1861-1867, Gallimard, 1976, p. 547-549).
. Rien de grand et rien de petit. Pour qui aime, un simple cheveu vaut autant, souvent plus, qu’un monde. (Jules Michelet, L’Insecte, livre II, chap. VIII, Hachette, 1858, p. 93).
. Le plus tentant pour l'homme, c'est l'inutile et l'impossible. (Jules Michelet, La Mer (1861), III, 4, Michel Lévy, 1875, p. 303).
. L’extrême rapidité des voyages en chemin-de-fer est une chose antimédicale. Aller, comme on fait, en vingt heures, de Paris à la Méditerranée, en traversant d’heure en heure des climats si différents, c’est la chose la plus imprudente pour une personne nerveuse. Elle arrive ivre à Marseille, pleine d’agitation, de vertige. (Jules Michelet, La Mer (1861), IV, 2, Michel Lévy, 1875, p. 360-361).
. L’enfant en sent peu la grandeur [=des Alpes]. Il est beaucoup plus frappé de mille détails prosaïques et parfois insignifiants, mais surtout accidentels, non inhérents au pays, qui n’étaient là que par hasard, et en donnent une idée fausse. La forte mémoire de cet âge qui garde ineffaçablement tout ce qui s'y mit alors, conserve pour toute sa vie ces traits bizarres et de rencontre. Tel, du lieu le plus sublime, ne gardera que la mémoire du passant qu’il y trouva, un crétin, un bouffon, que sais-je ? / « Mais revues à un autre âge, les Alpes auront leur effet ? » Ne le croyez pas. Les choses restent marquées du caractère qui nous y frappa dabord. / Les familles, aujourdhui plus tendres qu’autre fois, se séparent moins de leurs enfants, les mènent partout avec elles. De cette chose excellente, résulte un inconvénient qu’il faut bien aussi reconnaître. L’enfant est blasé sur tout. Ce que, petit, il a connu au point-de-vue étroit de son âge, il le voit toujours petit, et avec indifférence. On ne trouve que jeunes messieurs, qui, menés dès la nourrice à la mer ou aux montagnes, n’y prennent plus aucun intérêt. « Les Alpes ? on m’en a bercé… L’Océan ? connu, connu ! » (Jules Michelet, La Montagne, II, 13, Librairie internationale, 1868, p. 359-360 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 207-208).
. C'est une très funeste tendance de notre âge de se figurer que nature c'est rêverie, c'est paresse, c'est langueur. (Jules Michelet, La Montagne, II, 13, Librairie internationale, 1868, p. 362 ; ou Œuvres complètes, tome XX, Flammarion, 1987, p. 208).
. Il est des gens avec qui il ne faut vivre que physiquement. Pour être heureux avec eux, il faut leur procurer des jouissances physiques. Ce qui fait souvent le malheur dans l’intimité, c’est qu’on ne sait pas tirer de chaque personne ce qu’on en peut attendre. Causer avec un ami, raisonner avec ceux qui suivent des études analogues, coucher avec une maîtresse… (Jules Michelet, Journal, 9 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 77).
. La vie serait un supplice, si l’on ne s’exemptait pas de tout ce qui n’est pas devoir indispensable. Lors même qu’on n’a de connaissances que ses amis, on serait encore étouffé, si l’on n’écartait pas un peu les coudes. Servons ceux que nous aimons et tous les hommes de notre temps, comme du reste, dans les occasions importantes ; mais ne nous dépensons pas en pièces de quatre sous. / Le plus doux lien est un lien ; il faut, au prix de quelques contrariétés, le tenir lâche, se mettre un peu à son aise ; la société des femmes est insupportable pour qui n’a pas cette attention. (Jules Michelet, Journal, 10 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 77).
. Si l’on réfléchissait que les disputes ne viennent guère que de ce qu’on envisage les objets sous différentes faces, on ne s’emporterait point. Tel est ultra parce qu’il voit seulement les malheurs qu’a soufferts la famille royale et qu’il croit être du parti des gens tranquilles, qui serait libéral si on lui montrait la moindre partie des maux que fait la tyrannie. Pourquoi donc s’irriter toujours, comme si la contradiction violente n’affermissait pas les hommes dans leurs opinions ? (Jules Michelet, Journal, 11 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 77).
. Même dans la société la plus douce et la plus chère, on a besoin de se retirer souvent en soi, quand ce ne serait que pour réfléchir à son bonheur. (Jules Michelet, Journal, 18 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 79).
. L’influence du corps sur l’âme ne me semble en rien plus forte qu’en amour. Le désir bien ménagé des deux côtés peut être une source de bonne intelligence ; ceci est trivial, mais a des applications particulières qui sont très bonnes à observer. Une femme est une femme, et, si la curiosité attire vers celles qu’on ne connaît pas, on jouit bien dans celle que l’on a du sentiment de la possession et de l’habitude même ; ce sentiment rend plus douces même les jouissances physiques. (Jules Michelet, Journal, 25 mai 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 82).
. Qu’est-ce donc que ces objets qui nous charment ? Que sont-ils au physique ? C’est la même matière que cet horrible insecte que tu craindrais de toucher. Ces beaux yeux si doux, cette bouche, ces joues, ces « seins désirables » [1] et tout ce que tu imagines, tout celà, c’est de quoi faire un cadavre. Cet être parfait, divin selon toi, est assujetti aux plus sales nécessités, aux plus dégoûtantes affections. Cette possession ravissante ? « Un frottement du membre, une petite convulsion, une éjection de semence », dit Marc-Aurèle [2]. Cet acte par lequel ta folle passion t’amollira, t’affaiblira, tu n’y trouveras pas ce que tu y cherches. Le plaisir te trompera ; jamais tu ne pourras achever cette union qui est la chimère des amants. Tu mordras de désespoir ce corps adoré avec lequel tu ne pourras te confondre. De cette impuissance vient la mélancolie de l’amour, et les pensées de mort qui s’y mêlent à chaque instant. (Jules Michelet, Journal, 4 août 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 102). [3]
. Une chose me frappe, c’est que quand on ne veut dire que des choses utiles ou du moins tout-à-fait innocentes, on a très peu à parler. [4] (Jules Michelet, Journal, 18 août 1820, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 105).
. Je crois qu’Helvétius a raison d’appeler l’amour une curiosité. Les désirs naturels satisfaits, il en vient de bizarres. (Jules Michelet, Journal, 14 juillet 1821, dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 154).
. C’est à vous que je demanderai secours, mon noble pays ; il faut que vous nous teniez lieu du Dieu qui nous échappe, que vous remplissiez en nous l’incommensurable abîme que le christianisme éteint y a laissé. Vous nous devez l’équivalent de l’infini. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 7 août 1831, Gallimard, 1959, p. 83).
. Le monde s’est complété plusieurs fois par ce mariage violent de ses deux moitiés les plus hostiles, l’Allemagne et l’Italie. […] La France est un juste milieu, qui eût dissout rapidement l'Italie, lui ôtant l'imagination et la religion sans lui donner la philosophie, le patriotisme, cette autre religion. Elle influera plus utilement plus tard, lorsqu'elle sera moins flottante, moins incertaine elle-même. Aujourdhui elle n’enseignerait que des doutes. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 28 juillet 1838, Gallimard, 1959, p. 270).
. Plus l’esprit est cultivé, plus il y a de faces et de facettes, plus les objets du dehors s’y réfléchissent avec la couleur universelle dont ce chagrin les a teints. Mon chagrin est comme la petite vérole : c’est après la crise que la trace s’approfondit et se creuse. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 22 août 1839, Gallimard, 1959, p. 312).
. Comment faire croire celà et le croire soi-même, que l’extinction de la personnalité soit un bien ? Hélas ! chaque homme est toute une histoire universelle, un monde. Cette fausse petite universalité est en face de la grande et dévorante universalité du tout… / […] La personne, telle personne : chose unique ; rien de semblable, rien après… Que d’autres générations viennent, meilleures en tout sens, ah ! ce ne sera pas la même, ce ne sera pas cette personne individuelle, passagère. Et pourtant en elle il y eut des idées d’avenir, d’immortalité. Quoi ! un si petit contenant, un si grand contenu… (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 12 septembre 1839, Gallimard, 1959, p. 316-317). [5]
. Quel bouleversement pour notre esprit que la mort d’une personne ! Que de choses reviennent en mémoire ! Combien on examine ce qu’on fut pour elle ! Le jugement commence alors pour nous, et l’accusation intérieure. On la jugeait sur chaque moment et avec aigreur ; on la juge sur l’ensemble, sur la vie entière. Combien elle gagne, prise ainsi ! Ah ! puisse Dieu la juger ainsi. O time, beautifier of things ! [6] Mais c’est en celà que le temps n’est pas mensonger, ni la mort. C’est la vie qui était mensongère. Elle exagérait le mal. / […] Quel révélateur que la mort ! Comme elle tire les paroles de la poitrine ! « Faisons tant que nous voudrons les braves… » [7] « Eripitur persona, manet res. » [8] Immense auxiliaire de la charité, elle nous apprend cette grande vérité qu’en chaque homme il y a plus de bien que de mal. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 12 septembre 1839, Gallimard, 1959, p. 317). [9]
. Nous croyons, nous croyons croire. Mais que le coup porte près de nous, nous devenons matérialistes. « Oui, dit Satan dans Job, mais touchez à sa peau, vous verrez… » [10] Alors on baisse la tête. […] / J’ai vu le plus fier spiritualiste, quand on avait touché à sa peau, comme dit Satan, mené invinciblement par les puissantes attractions de la tombe, s’y attacher comme le chien, poursuivre avec une avidité douloureuse la terrible laideur du sépulcre et renouveler, sans pouvoir s’en repaître, la triste histoire d’Inès de Castro [11]. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 12 septembre 1839, Gallimard, 1959, p. 317-318).
. Les Grecs virent combien l’amitié est, plus que l’amour, moyen du progrès. En effet, dans l’amour il n’y a pas émulation, au sens propre. Le moins avancé, différent de sexe, ne peut songer à changer de nature pour ressembler au plus avancé. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 23 septembre 1845, Gallimard, 1959, p. 626).
. Sans richesse, les bras n’ont point de loisir, et sans ce loisir, point de libre travail d’esprit. Le riche est dépositaire ; il doit le travail d’esprit et la dispensation spirituelle de la richesse. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 23 septembre 1845, Gallimard, 1959, p. 627).
. Le christianisme ne vit plus qu’en ce qu’il a de non-chrétien, dans la partie qu’il emprunta au paganisme, en le modifiant un peu, dans le culte de la Vierge et des saints, dans la matérialité du Sacré-Cœur. Mais à ce côté païen, sensuel, qui s’adresse à la matière, il joint le côté soi-disant spirituel, la prétention de savoir toute pensée, l’inquisition du confessionnal. […] / Donc, aujourdhui, c’est un paganisme inquisitorial, mêlant le mauvais des deux religions. Il se perpétue uniquement par son action sur les faibles, les désarmés, c’est-à-dire par la surprise. Il prend la femme, de là le divorce intérieur de la famille. Il prend l’enfant, de là l’impossibilité du progrès. Et il ne garde pas l’enfant, de là discordance de toute la société, scepticisme, légèreté morale. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 22 novembre 1846, Gallimard, 1959, p. 658).
. Le besoin religieux, le besoin de société perpétue la forme religieuse longtemps après qu’elle a péri en elle-même. (Jules Michelet, Journal, Tome 1, 1828-1848, 8 juillet 1848, Gallimard, 1959, p. 695).
. La mère, ce mot profond, veut dire la matrice en la bonne et vraie langue française ; la mère aussi, c’est le vrai nom de la femme, nommée selon la mission. La femme, c’est la matrice. / Si cet organe sacré, ce berceau du genre humain, est visible en la femme, s’il est et doit être saillant, si la nature le montre en elle, c’est pour la rendre touchante et sacrée, vénérable autant que charmante, c’est pour la faire adorer. […] Toute mode qui entrave ces organes essentiels, en qui est la femme même, est absurde, impie. Qu’il paraisse librement, ce signe distinctif de la femme et de la mère, cette puissance adorée d’amour par quoi elle nous est si chère et sacrée : le ventre et le sein ! (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 7 mars 1849, Gallimard, 1962, p. 29-30).
. L’homme est un cerveau, la femme une matrice. [12] (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 29 juin 1849, Gallimard, 1962, p. 57).
. Toute réforme de l’État suppose celle de la famille, de l’amour et du mariage. Non pas sans doute un changement subit des mœurs anciennes, mais la forte aspiration à une vie haute, noble, austère, un sursum corda général, qui élève la famille, change l’économie domestique pour changer indirectement l’économie publique. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 16 août 1856, Gallimard, 1962, p. 310).
. L’homme moderne n’a point besoin de crime pour être tragique. Il l’est par l’énormité des questions qui se sont posées devant lui. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 16 août 1856, Gallimard, 1962, p. 311).
. La pile électrique, inépuisable étincelle. Chez celui qui n'est point blasé, le seul contact de la personne aimée, le sentiment de sa chair, de sa chaleur, la vue charmante et toujours nouvelle de ce qu'on a vu mille fois, ces chastes privautés, les occasions continuelles d'assister aux moments cachés, aux toilettes, aux fonctions obligées de la nature, tout celà, à chaque instant, tire des étincelles. C’est l’assaisonnement de la vie, le sucre et le sel, bien plus, son pénétrant parfum, dont elle est comme enchantée. C'est la source inépuisable des rajeunissements imprévus, des réveils dans la langueur, des oublis dans la fatigue. Pour garder le sursum corda et l'érection inventive, il suffit que le matin je l'aie baisée au sein, aux reins ou aux pieds. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 22 mai 1857, Gallimard, 1962, p. 327).
. « Mon cher cœur et mon cher c[on] », disait X. en plaisantant. En bref celà résume tout, sauf pourtant le noble, simple esprit naturel. Comment se fait-il que nos langues de l’Europe, grecque, romaine, et les modernes, n’aient que des mots sottement méprisants pour ce dieu des dieux, le grand communicateur, le grand commixteur des personnes et des idées, donc le civilisateur et l’auteur du progrès du monde. [13] (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 2 juin 1857, Gallimard, 1962, p. 328).
. La femme n’est pas faite de Dieu uniquement pour faire des enfants, mais pour renouveler par son contact l’électricité de l’homme. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 29 juin 1857, Gallimard, 1962, p. 334).
. Autre chose est la maîtresse qu’on monte ou caresse une heure au passage, dont on jouit sans la connaître et qui, quand vous êtes sorti, se lave vite et se rit de vous. Autre chose une femme qu’on connaît à fond, qu’on perçoit jour et nuit par tous les sens, qu’on voit se lever, coucher, dormir, manger, qu’on sait jusqu’à l’âme, qui, candide, aimante, s’ouvre à vos curiosités et veut être plus pénétrée de vous, plus mêlée à vous, – une femme avec qui, chaque soir, chaque matin, vous échangez le plaisir, la réflexion, la gaîté, la tristesse, – une enfant avec qui pourtant vous traitez les questions les plus graves, avec qui, aux heures rêveuses, vous cherchez et trouvez Dieu. La maîtresse, c’est le coït, si court ! La femme aimée, l’éternisation de la jouissance. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 4 juillet 1857, Gallimard, 1962, p. 335-336).
. « Que trouves-tu en moi ? — Je trouve en toi mon assiette », dit-elle. Mot touchant et qui est le fond du mariage même. Le moins nerveux, le plus serein par l’égalité de santé et de travail donne à l’autre une assiette qu’il n’aurait pas. Ce n’est pas par les dons brillants et excentriques qu’on a action l’un sur l’autre, c’est par la solidité uniforme où l’on s’appuie mutuellement. Un grand moyen de garder celà, c’est de s’observer et d’observer ce qu’on aime avec l’esprit de suite que donne l’amour. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 16 août 1857, Gallimard, 1962, p. 342).
. [Parlant du coït avec sa femme :] Ce n’est pas une fonction, c’est un sacrifice au sens propre, un acte religieux où je sens que j’officie, que je me sanctifie moi-même dans la pure et sainte personne qui se dévoue en ce moment. J’en sors ému, amélioré et plein de bonnes pensées. C’est en sortant d’elle que j’ai eu mes plus grandes idées peut-être. (Jules Michelet, Journal, Tome 2, 1849-1860, 3 juin 1860, Gallimard, 1962, p. 524-525).
. La lourde chaîne à laquelle toutes sont encore rivées, c’est la chaîne morale et religieuse qu’on traîne depuis deux-milles ans, celle que toutes les tyrannies attestent et adorent, forcent encore d’adorer. / Être enfermé dans une chambre, c’est une captivité. Mais l’être dans une doctrine et dans une hypocrisie, contraint aux avilissements du bas fétichisme ! – Exemple : [En] Espagne, en entrant dans une maison, vous devez dire : « Ave Maria ! » Et l’on doit répondre : « Purissima ». Ainsi la sottise est (par force) mêlée à toutes les habitudes, aux actes les plus vulgaires, les plus fréquents de la vie. / Combien d’amis s’y éteignent ! Mais combien en souffrent mortellement, pensent (et n’osent pas crier) : « De l’air ! de l’air ! on étouffe ! » (Jules Michelet, Journal, Tome 3, 1861-1867, 24 octobre 1863, Gallimard, 1976, p. 225).
. Il faut savoir que je suis moi […]. Qu’on me prenne ou qu’on me laisse, ça m’est égal. Mais on ne me prendra qu'entier. Mes ennemis me sont agréables, parce qu’ils circonscrivent fortement mon unité. / Mes demi-amis me sont insupportables parce qu’ils excusent, comme accident, ce qui est le fond, et ma nature, mon essence. / Ils ont l’air de croire que ce sont des glissades. Attendez, disent-ils ; s’il allait se réformer ? (Jules Michelet, Journal, Tome 4, 1868-1874, 9 mars 1868, Gallimard, 1976, p. 18).
. [Après avoir lu le Saint Paul de Renan :] À Séleucie, envié les apôtres qui partirent de là pour la conquête du monde. On est humilié de cette facile conquête qui n’est que le suicide de la raison, l’avènement de la légende, et plus que la légende, l’avènement du roman [14]. Renan […] s’efforce de faire croire qu’il y eût eu religion par Jésus seul, et sans St Paul. Mais la vague moralité, la douceur de Jésus, eût fondu, eût péri, comme celle de l’autre rabbi Hillel, si Paul n’y eût bravement ajouté l’immorale promesse du salut sans les œuvres, du salut par la foi à un fait historique, du salut par la grâce gratuite : énorme prime d’injustice qui corrompit le monde, lui fit immoler la raison, immoler le moi raisonnable pour sauver le moi-passion. (Jules Michelet, Journal, Tome 4, 1868-1874, 20 juin 1869, Gallimard, 1976, p. 125).
CORRESPONDANCE et PROPOS ORAUX
. Mon ami, toute l’illusion de l’amour consiste à attribuer à un être fini des perfections infinies. Quel mécompte quand on en vient à l’épreuve ! (Jules Michelet, lettre à Paul Poinsot, 17 juin 1820 ; dans Écrits de jeunesse, Gallimard, 1959, p. 266 ; ou Correspondance générale, tome I. 1820-1832, Librairie Honoré Champion, 1994, p. 45).
. Quant à ces grands esprits avec lesquels je voudrais vous voir vivre, ne croyez pas les avoir lus, les savoir. Jamais on ne les a lus. C’est comme la mer : plus on y entre, plus on la sent profonde. (Jules Michelet, lettre à Athénaïs Mialaret, janvier 1848 ; dans Journal, Tome 2, 1849-1860, Gallimard, 1962, p. 605 ; ou Correspondance générale, tome V. 1846-1848, Librairie Honoré Champion, 1996, p. 502).
. Nous avons fait des pertes graves de famille. Ma femme est très souffrante et ma fille malade. Moi-même, malgré les maux d'entrailles, les rhumes, etc., je travaille en désespéré. Mon plus grand mal encore, c’est la France. J’ai mal à la France. (Jules Michelet, lettre n°6719 à X., 10 décembre 1854 ; Correspondance générale, tome VII. 1852-1855, Librairie Honoré Champion, 1997, p. 870).
. « Celà fait de l’histoire. » (Jules Michelet, propos oral à propos des émeutes parisiennes pendant le procès des quatre ministres de Charles X, rapporté par Charles de Montalembert, Journal intime inédit. Tome II : 1830-1833, 26 décembre 1830, éditions du C.N.R.S., 1990, p. 130).
. « En ce temps-ci, il y a chez nous trop d’accumulation. Oui, bien certainement, il y a plus d’accumulation qu’autrefois. Nous contenons tous plus des autres ; et alors, contenant plus des autres, notre physionomie nous est moins propre. Nous sommes plutôt des portraits d’une collectivité que de nous-mêmes… » (Jules Michelet, propos oral rapporté dans le Journal des frères Goncourt, 23 novembre 1863 ; Bouquins, 1989, tome I, p. 1032).
Autres pages de citations en rapport avec celle-ci sur ce blogue : Historiens et sociologues [en préparation] ; Auteurs grecs et latins [en préparation] ; Auteurs religieux divers [en préparation] ; Penseurs politiques classiques [en préparation] ; Écrivains et penseurs de droite [en préparation] ; Écrivains et penseurs de gauche [en préparation] ; Écrivains divers du XVIIIe siècle [en préparation] ; Montesquieu [en préparation] ; Voltaire [en préparation] ; Jean-Jacques Rousseau [en préparation] ; Denis Diderot [en préparation] ; Napoléon [en préparation] ; Maistre et Bonald [en préparation] ; Auteurs romantiques français [en préparation] ; Germaine de Staël ; Benjamin Constant ; Chateaubriand [en préparation] ; Stendhal [en préparation] ; Honoré de Balzac [en préparation] ; Alexandre Dumas ; Alfred de Musset ; Alfred de Vigny [en préparation] ; Théophile Gautier ; Victor Hugo [en préparation] ; Sainte-Beuve [en préparation] ; Émile de Girardin [en préparation] ; Claude Tillier ; Henri-Frédéric Amiel [en préparation] ; Baudelaire ; Flaubert [en préparation] ; les frères Goncourt [en préparation] ; Émile Zola ; Renan et Taine [en préparation] ; Charles Péguy ; Maurice Barrès [en préparation] ; Maurras, Bainville, Daudet [en préparation] ; Georges Bernanos ; Régis Debray [en préparation], – et la page générale : citations choisies et dûment vérifiées.
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[1] Michelet cite en grec : « stethea d’himeroenta » (Homère, Iliade, III, 397).
[2] Marc-Aurèle, Pensées pour moi-même, VI, 13 (par exemple Pléiade Les Stoïciens, 1962, p. 1180).
[3] Ce passage, tout imprégné de Marc-Aurèle, a retenu l’attention de Pierre Hadot, le grand spécialiste du stoïcisme et du néo-platonisme : le cinquième chapitre de ses Exercices spirituels et philosophie antique (1981, rééd. Albin Michel, 2002) s’intitule « Michelet et Marc-Aurèle » (p. 193-220) et explore l’imprégnation stoïcienne dans la pensée de Michelet, telle qu’elle s’exprime dans le journal de jeunesse et dans les œuvres ultérieures. Sur ce passage, voir p. 196-197.
[4] Même remarque soixante ans plus tard dans le chapitre X de Bouvard et Pécuchet de Flaubert, où les deux bonshommes essayent de se faire pédagogues : « Fénelon recommande de temps à autre une conversation innocente. Impossible d’en imaginer une seule ! » (Folio n°1137, 1988, p. 372).
[5] Le 24 juillet, Michelet a perdu sa première femme, Pauline Rousseau, qui était sa maîtresse depuis 1818 et son épouse depuis 1824. Une semaine plus tôt, le 4 septembre, il a assisté à son exhumation, car elle a dû changer de cimetière : « Rude épreuve. Hélas ! je n’ai guère vu que des vers. » (p. 315)
[6] « O Time ! the beautifier of the dead » : Byron, Le Pèlerinage de Childe Harold, IV, 130.
[7] « Enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit infailliblement nous mettre, dans peu d’années, dans l’horrible nécessité d’être éternellement ou anéantis ou malheureux. / Il n’y a rien de plus réel que celà, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves : voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde. » Pascal, Pensées, Le Guern n°398 (Pléiade tome II, 2000, p. 683) ou Sellier n°681 (classiques Garnier, 1991, p. 476).
[8] « Le masque tombe, la chose reste. » Lucrèce, De la nature, III, 58 (par exemple GF n°993, 1997, p. 184-185). Une citation qui n’a pas échappé à Montaigne : Essais, I, 18/19 (Pléiade, 2007, p. 81 ou Pochothèque, 2001, p. 123).
[9] Ces réflexions du 12 septembre 1839 ont leur écho dans une importante page du Journal, le 26 mars 1842 (t. I, p. 384-385). Michelet y fait du 24 juillet 1839 (mort de sa femme Pauline) une date-clef de son existence, qui lui a permis de comprendre le sens de la vie, « tout ce qu’elle a d’individuel, de regrettable, d’irréparable », et le sens de la mort, « tout ce qu’elle a de fécond et de vivace » : « c’est-à-dire que l’Histoire m’apparut comme pour la première fois. » Il mentionne à nouveau « l’acharnement de la chair, […] l’attraction puissante de la tombe (Inès de Castro) ». Voir aussi une note encore plus importante quelques jours plus tard, le 4 avril 1842 (p. 389-393). Par exemple : « Oui, un lien intime unit tous les âges. Nous nous tenons, générations successives […]. Un même esprit fluide court de génération en génération. Des mouvements instinctifs nous font tressaillir pour le passé, pour l’avenir, nous révèlent la profonde identité du genre humain » (p. 393). Tout celà procède de Marc-Aurèle, avec qui, comme le montre fortement Pierre Hadot dans l’article mentionné ci-dessus en donnant toutes les citations symptomatiques, Michelet partage une croyance fondamentale en l’unité universelle : harmonie du monde créé par Dieu, harmonie de la cité terrestre, unité du savoir, unité de l’Histoire, unité de la France, unité de l’humanité… Depuis son Discours sur l’unité de la science (1825) jusqu’à la préface du deuxième tome de l’Histoire du XIXe siècle (1873), en passant par la fin de l’Introduction à l’Histoire universelle (1831) et de nombreux textes épars, c’est toujours la même pensée qui s’exprime, la même idée que l’aspiration de l’homme à la Justice répond à l’ordre mis dans le Cosmos par Dieu.
[10] Satan à Yahvé, parlant de Job : « Mais étends la main et touche à ses biens, je te jure qu’il te maudira en face ! » : Job 1, 11.
[11] Inès de Castro (1325-1355) fut la maîtresse de l’infant Pierre, prince héritier du Portugal, à qui elle donna trois enfants. Le père de Pierre, le roi Alphonse IV, désapprouvant cette liaison, la fit assassiner. Son fils, devenu le roi Pierre Ier en 1357, proclama en 1360 qu’il avait secrètement épousé Inès plusieurs années auparavant. Une légende, apparue à la fin du XVIe siècle, prétend qu’il fit déterrer son corps, la fit asseoir sur le trône couronnée et revêtue d’un manteau de pourpre, et obligea tous les grands du royaume à venir lui baiser la main en signe de soumission à leur reine légitime. Cette légende de la « reine morte » inspira plusieurs pièces de théâtre, notamment celle d’Antoine Houdar de La Motte en 1723, celle du jeune Victor Hugo en 1819, et bien sûr celle de Montherlant en 1942.
[12] Michelet souligne la phrase, et annonce à son épouse qu’elle constituera le premier mot d’un livre qu’il projette alors, intitulé La Femme, et dont le plan serait : « livre I, Dieu ; Livre II, La Mère ; livre III, La Fille. » (26 juin 1849, page 56). Le livre ne paraîtra que dix ans plus tard, mais avec un autre plan (I, L’éducation ; II, La femme dans la famille ; III, La femme dans la société), et sans que l’incipit projeté en 1849 y figure.
[13] Même idée deux semaines plus tard : « C’est une impiété inepte d’avoir fait du mot con un terme bas, une injure. Le mépris de la faiblesse ? Mais nous sommes si heureux qu’elles soient faibles. C’est non seulement le propagateur de la nature, mais le conciliateur, le vrai fond de la vie sociale pour l’homme. Et pour la nature entière. Exemple : le con des fleurs, qui lie non seulement les fleurs entre elles, mais les fleurs et les insectes, puis, par le miel, fleurs insectes et animaux supérieurs. » (16 juin 1857, p. 331).
[14] Michelet souligne le mot. Il fait allusion à un développement de La Bible de l’humanité (1864), II, 6 (pages 297-299 de l’édition Complexe, 1998), dans lequel il explique que le roman est advenu dans la littérature juive de la captivité à Babylone, en même temps que « le monde femme » (c’est le titre du chapitre). Voir les extraits donnés dans la rubrique « Autres essais historiques ».
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