LES MEILLEURS APHORISMES DE PAUL MORAND
14.03.2013
J'ai présenté Paul Morand (1888-1976) dans cette page connexe. Je propose ici une sélection de ses meilleurs aphorismes, qui sera sans doute largement enrichie au fil de mes lectures et relectures [1].
Je reclasserai peut-être un jour ces aphorismes par thèmes. En attendant, on peut accéder d'un clic aux différents genres dans lesquels se répartit l'œuvre de Morand : Nouvelles Romans Poésie et théâtre Voyages Essais et chroniques Textes historiques Textes autobiographiques Journal Correspondance Entretiens et propos oraux
. « Vous êtes belle comme la femme d'un autre, Aurore ». (Paul Morand, Tendres stocks, 3 : « Aurore » (1919) ; Pléiade Nouvelles complètes tome 1, 1992, p. 54). [2]
. Anna Valentinovna : « Servir est ennuyeux, mais pas plus qu'être servi et que tous les soirs danser à l’hôtel du Palais. » (Paul Morand, Ouvert la nuit, 2 : « La nuit turque » (1920) ; Pléiade Nouvelles complètes tome 1, 1992, p. 115).
. « Tout ce que je fais, je le fais vite et mal, de peur de cesser trop tôt d'en avoir envie. » (Paul Morand, Ouvert la nuit, 4 : « La nuit des six-jours » (1922) ; Pléiade Nouvelles complètes tome 1, 1992, p. 138).
. « Chez nous [=en France], on a [des femmes] bien de l'agrément à condition qu'on les sorte l'après-midi, qu'on les amuse le soir, qu'on les caresse la nuit et qu'on leur fiche la paix le matin. » (Paul Morand, Ouvert la nuit, 6 : « La nuit nordique » (1921) ; Pléiade Nouvelles complètes tome 1, 1992, p. 170-171).
. L’amour est aussi une affection de la peau. (Paul Morand, Fermé la nuit, 4 : « La nuit de Putney » (1922) ; Pléiade Nouvelles complètes tome 1, 1992, p. 262).
. Avoir des ennemis n'est pas un luxe. C'est une nécessité. (Paul Morand, Consuelo, « Consuelo et le monde » (1914) ; Pléiade Nouvelles complètes , tome 1, 1992, p. 750).
. Joseph Bonaparte : « Une femme entre dans votre vie : c'est merveilleux ; elle en sort : c'est providentiel ! » (Paul Morand, Le Prisonnier de Cintra, 4 : « Le coucou et le roitelet » (1953) ; Pléiade Nouvelles complètes tome 2, 1992, p. 876).[3]
. Lewis : « C'est déjà bien assez ennuyeux de ne pas avoir d'argent ; s'il fallait en plus se priver ! » (Paul Morand, Lewis et Irène (1923) , III, 5 ; Pléiade Romans, 2005, p. 70).
. Renaud : « Les machines sont des esclaves nécessaires, mais qu’on aurait dû surveiller de très près ; le principe en est excellent puisqu’il s’agit, grâce à elles, de travailler moins ; mais on le fausse, car l’on s’en sert aussitôt pour produire davantage. Cessons de célébrer les inventeurs, ces bourreaux et surtout, limitons-les. Bientôt, rien d’immobile n’existera plus. » (Paul Morand, Bouddha vivant (1927), I, 1 ; Pléiade Romans, 2005, p. 110).
. Renaud : « Le vrai luxe et que personne, faute de raffinement, ne pense plus à s’offrir, c’est peut-être de prendre son temps. » (Paul Morand, Bouddha vivant (1927), I, 1 ; Pléiade Romans, 2005, p. 110).[4]
. Ce que mon pays possède d'unique, ce sont des vertus si anciennes, si bien dissimulées, si orgueilleuses, si pudiques, si anti-modernes, qu'un étranger, par sa seule présence, les met en fuite. (Paul Morand, Champions du monde (1930), III, Pléiade Romans, 2005, p. 336).
. Pierre : « Si j'étais seul au monde, je me porterais à merveille ; mais il y a les autres. » (Paul Morand, L'Homme pressé (1941), I, 1 ; Pléiade Romans, 2005, p. 453).
. Le docteur : « Avez-vous l’espérance de l’au-delà ? Parlez-vous avec Dieu ? » — Pierre : « J'estime qu'après m'avoir joué le tour de me mettre au monde c'est à Lui à me faire signe le premier. » (Paul Morand, L'Homme pressé (1941), I, 1 ; Pléiade Romans, 2005, p. 454).
. L'éloignement, la jalousie, les querelles, le ressentiment n'empêchent pas l'amour, affection reptilienne qui se mord la queue et se nourrit volontiers de son contraire. (Paul Morand, L'Homme pressé (1941), I, 5 ; Pléiade Romans, 2005, p. 477).
. Hedwige : « Quand on regarde les gens en face on les voit, mais quand on les regarde dans la glace on les comprend. » (Paul Morand, L'Homme pressé (1941), I, 6 ; Pléiade Romans, 2005, p. 490).
. Que les autres ne se contentent pas de l'image que nous leur présentons nous étonne toujours. (Paul Morand, L'Homme pressé (1941), II, 14 ; Pléiade Romans, 2005, p. 549).
. Comtesse Hatzfeldt : « Les salons et les académies tuent plus de révolutionnaires que les prisons ou les canons. » (Paul Morand, Le Lion écarlate, acte I, tableau II, scène 3 ; Gallimard, 1959, p. 320).
. Les machines sont les seules femmes / que les Américains savent rendre heureuses. (Paul Morand, U.S.A. (1928), « Southern Pacific » ; repris dans Poèmes, Gallimard, collection « Poésie », 1973, p. 152).[5]
. Puisque ce qui s’échange, ce ne sont pas les richesses, mais les pauvretés, mieux vaut peut-être la bêtise des peuples qui s’ignorent que la haine des gens qui se connaissent ? (Paul Morand, Rien que la terre, Grasset, 1926, « Rien que la terre » (section 1), p. 15).
. La terre cesse d’être un drapeau aux couleurs violentes : c’est l’âge sale du Métis. (Paul Morand, Rien que la terre, Grasset, 1926, « Rien que la terre » (section 1), p. 15-16).
. Le Nord s’avilit chaque fois qu’il s’allie au Midi. La ruée vers la Côte d’Azur est le prologue de l’engouement nègre. (Paul Morand, Paris-Tombouctou (1928), 18 février 1928 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 54).
. Le Noir qui épouse une Blanche, me dit G… — et il y a eu après la guerre pas mal d’exemples de tirailleurs ayant ramené en Afrique des Françaises, — s’en dégoûte vite et retourne à ses femmes. C’est la Blanche qui, presque toujours, court après le Noir. La censure a, paraît-il, ouvert des lettres d’amour insensées adressées par des jeunes filles de province à des tirailleurs. Et que dire des Allemandes, lors de l’occupation ! À Toulouse, en 1917, il y aurait eu dix-huit cent métis. (Paul Morand, Paris-Tombouctou (1928), fin mars 1928 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 93).
. Chaque fois que le Blanc est en minorité dans un pays noir (Antilles), ou simplement menacé par la prolificité des Noirs (États-Unis), l’exclusivisme joue. Les Français, qui pourtant n’ont à aucun degré le préjugé de leur peau blanche, ni de leur descendance aryenne, préjugés qui ont disparu avec les idées du XVIIIe et de la Révolution, en viendraient certainement sinon à haïr, du moins à se séparer socialement des Noirs s’il s’en installait cinq ou six millions en France. (Paul Morand, Paris-Tombouctou (1928), fin mars 1928 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 93).
. En fait, si, comme dit Emerson, la nature adore les mélanges, elle ne les adore pas tous ; on ne saurait visiter une université ou un collège noirs aux États-Unis, contempler ces innombrables métis si appliqués et pourtant si studieux, ces visages d'Européens égarés sous d'affreuses tignasses laineuses, ces négresses blondes ou rousses, ces âmes brûlées par des désirs contradictoires, ces corps dont toutes les proportions ont été bousculées, violées dans le combat des deux hérédités, sans ressentir cette pitié angoissée, mêlée de répulsion, qu'inspirent les anomalies humaines. (Paul Morand, Hiver caraïbe (1929), 22 novembre 1927 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 122-123).
. Je n’ai pas écrit : « l’âge du sale métis », mais « l’âge sale du métis ». Le noir est beau comme le blanc est beau : ce qui est laid, c’est le gris. (Paul Morand, Hiver caraïbe (1929), 2 décembre 1927 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 133).
. Les soldats conquièrent les colonies, les prêtres les éduquent, les administrateurs les organisent, les touristes les enlaidissent, les commerçants les ruinent et les politiciens les perdent. (Paul Morand, Hiver caraïbe (1929), 2 décembre 1927 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 135).
. Jamais on ne m’aura autant parlé de Paris et de la France [qu’en Haïti]. Habiter Paris ! Le rêve du monde entier ! Les Français s’imaginent que c’est par amour pour eux. Mais Paris est le paradis des métèques qui détestent la France. Les étrangers ne connaissent l’histoire de France que quand elle devient l’histoire de Paris. Ni Saint Louis, ni Henri IV, mais la prise de la Bastille, le 18 Brumaire, la Commune, la Marne. La colonie grecque de Paris, souvent plus anglophile que francophile, n’aurait jamais l’idée d’habiter Londres et encore moins Athènes. Un neutre disait : « Vivement que les Allemands soient victorieux pour que je retourne m’amuser dans mon cher Paris ». (Paul Morand, Hiver caraïbe (1929), 14 décembre 1927 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 153).
. Les pays créateurs, comme l’Allemagne, ou les pays régulateurs, comme la France, passent déjà au second plan : les peuples migrateurs, comme le peuple juif, voient enfin leur chance d’hégémonie et la saisissent. Il est plus facile de se mettre en route avec l’Arche d’alliance qu’avec l’Acropole. Dans le déluge de catastrophes qui nous accueille, ceux qui survivent sont les plus mobiles ; les plus souples seuls peuvent échapper. Malheur à qui ne sait pas voyager. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre I ; Bouquins Voyages, 2001, p. 824).
. Il n’y a vraiment plus aucun rapport entre Mme de La Sablière [qui faisait son testament à la veille d’accomplir en trois jours le voyage de Paris à Rouen] et nous, entre un carrosse et une 20 CV sport. Si l’on pense que, voilà cent ans, sous la Restauration, on voyageait dans l’ouest de la France en des charrettes à bœufs qui n’avaient pas changé depuis les Carolingiens, on peut mieux mesurer l’écart dans les mœurs. Je me garde de dire qu'il y a progrès. Je dis seulement qu'il y a bouleversement. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre I ; Bouquins Voyages, 2001, p. 826).
. Avoir voyagé, ce sera bientôt regretter ce que l’on a abandonné, ne plus voir que les vertus des siens, adorer des traits qui s’effacent. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre I ; Bouquins Voyages, 2001, p. 827).
. La gare est devenue un alcol et le tourisme, plus qu’un tonique, un stupéfiant. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre I ; Bouquins Voyages, 2001, p. 827).
. Aucun voyage n’est aussi beau que ceux dont on rêve quand on n’a pas d’argent pour les mener à bien. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre II ; Bouquins Voyages, 2001, p. 828).
. Voyager, c'est être infidèle. Soyez-le sans remords ; oubliez vos amis avec des inconnus ; trompez vos maîtresses avec des monuments ; à vos parents, préférez ce placeur de films avec lequel vous faites un poker de douze jours à travers le Pacifique. N'écrivez pas ; dites-vous que votre livre d'adresses est un cimetière ; mettez-vous en friche ; assolez votre esprit, faisant alterner les cultures de solitude, de silence avec les récoltes de travail, de chagrins ou de succès. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre II ; Bouquins Voyages, 2001, p. 835).[6]
. Ce testament, cet examen de conscience, ce choix des rares pensées, du peu d’objets, des quelques êtres qui sont vraiment utiles, apprenons à nous l’imposer et, par une désertion volontaire, entraînons-nous à ce jour où il nous faudra tout quitter. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre II ; Bouquins Voyages, 2001, p. 835).
. Les voyageurs sont victimes d’une curieuse illusion d’optique : ils critiquent presque toujours amèrement l’endroit où ils sont, mais, dès qu’ils sont rentrés chez eux, ils en chantent les louanges. […] Ce n’est donc pas tant l’éloge des pays visités que nous faisons, qu’une critique indirecte du nôtre. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre IV ; Bouquins Voyages, 2001, p. 840).
. Il faudrait voyager lentement. C’est devenu impossible, pour plusieurs raisons. C’est pourquoi il faut préférer les voyages en mer, qui imposent leur lenteur. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre V ; Bouquins Voyages, 2001, p. 843).
. S'en aller, c'est gagner son procès contre l'habitude. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre V ; Bouquins Voyages, 2001, p. 844).
. Partir ! ce rêve des bons projectiles. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre V ; Bouquins Voyages, 2001, p. 844).
. Faire l'éloge de son coin de terre : point de vue de cadavre. (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre V ; Bouquins Voyages, 2001, p. 844).
. À tout instant, le hasard vous envoie promener. En profitez-vous ? (Paul Morand, Le Voyage, Grasset, 1927, chapitre V ; Bouquins Voyages, 2001, p. 844).
. Il n’y a plus que des voyageurs ; les sédentaires deviennent des originaux. Tous les hommes sont en route. Les voyages ne sont plus un caprice, mais un asservissement à des lois migratrices mystérieuses. Un vaste tournis de l’humanité, là où elle n’est pas attachée à la glèbe. (Paul Morand, Le Voyage, Hachette, 1963, section 1 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 845).
. La beauté ne nous attend pas en tel ou tel point du globe ; elle est en nous. Déploierait-on les diaprures du Grand Canyon ou les montagnes de jade du Grand Mogol devant une âme vulgaire, elle n’en resterait pas moins occupée de pensées vulgaires. (Paul Morand, Le Voyage, Hachette, 1963, section 19 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 883-884).
. Voyager c’est fuir son démon familier, distancer son ombre, « semer » son double. Il arrive qu’on lui prenne quelques heures, quelques jours d’avance. Alors, les ennuis tombent, les maux chroniques que tous les nerveux traînent avec eux disparaissent. Quelle joie ! Mais déjà l’ennemi vous rattrape, il est sur vous : c’est fini. (Paul Morand, Le Voyage, Hachette, 1963, section 20 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 886).
. Le temps ride la peau des hommes et polit celle des pneus. (Paul Morand, Le Voyage, Hachette, 1963, section 20 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 891).
. On voyage pour regarder, pour entendre, pour oublier, pour ne plus voir. (Paul Morand, Le Voyage, Hachette, 1963, section 20 ; Bouquins Voyages, 2001, p. 891).
. Aujourd'hui que l'Occident, arrivé à l'avant-dernier degré de la surproduction, de la vitesse, de l'anémie et de la névrose entrevoit, comme remède unique à une prochaine catastrophe, la nécessité de ralentir le rythme de sa vie, de réfréner ses besoins et de ne pas céder à toutes les exigences de la matière, il se tournerait volontiers vers l'Asie, lui demandant ses secrets d'antique sagesse. Mais l'Asie renonçante et apaisée a disparu ; le monde entier vit désormais sous le signe de la machine, de la machine inepte et sans vie, monstrueuse projection de l'âme polytechnicienne du constructeur et qui ne sait que magnifier les vices d'une humanité dont la faculté de comprendre et d'aimer n'a pas crû en même temps que sa faculté d'inventer. De cette lutte qui relève de l'Apocalypse, qui dira l'issue ? Un jour viendra peut-être où il n'y aura même plus d'Orient ni d'Occident, mais une seule misérable nation terrestre interrogeant l'espace interplanétaire à coups de signaux lumineux. (Paul Morand, Papiers d’identité, Grasset, 1931, « Orient contre Occident », p. 205-206).
. La vitesse tue la forme. D’un paysage vu à 500 à l’heure, que reste-t-il ? Rien ; les premiers et les seconds plans sont supprimés […]. Notre œil ne prend pas plaisir à la trajectoire d’un obus puisqu’il ne la voit plus. Le mouvement de « déplace pas les lignes », il les anéantit. La terre perd sa variété ; en avion, il n’y a plus, sous nos pieds, de peupliers ou de châtaigniers : il y a l’Arbre… J’ai dit que la vitesse, pour les Orientaux, équivaut à la démocratie. La très grande vitesse ressemble au communisme en ce qu’elle tue l’individuel. Elle appelle et exige l’anonymat. (Paul Morand, Papiers d’identité, Grasset, 1931, « De la vitesse », p. 288-289).[7]
. L’artiste est un aristocrate (même quand il croit faire de l’art pour le peuple), il travaille lentement. […] La vitesse tue la couleur : le gyroscope, quand il tourne au plus vite, fait du gris ! (Paul Morand, Papiers d’identité, Grasset, 1931, « De la vitesse », p. 289).
. L’autre élément qui contribue à faire de l’Amérique la patrie de la vitesse est l’élément israélite. Cette célérité du corps et de l’intelligence, ces réflexes héréditaires de fuite, ce goût des déménagements sociaux, ces habitudes de campement, cette accoutumance aux paniques économiques et aux évasions métaphysiques, qui transforme chaque Juif en un Tobie toujours prêt à partir et en un coulissier également prêt à vendre ou à acheter, se sont transmis à toute l’Amérique, pays dont le rythme se règle désormais sur le rythme même du Stock Exchange. (Paul Morand, Papiers d’identité, Grasset, 1931, « De la vitesse », p. 292).
. Il faut être rapide, mais à condition de porter en soi un contrepoids. Pourquoi, si impatients de toute autorité, accepter sans examen la dernière en date des tyrannies ? Formulons une loi nouvelle de résistance à la vitesse. Pas d’autre pente que notre volonté. […] La possession des richesses ne désorganise pas l’homme qui sait conserver le sentiment de leur néant. La religion nous a appris cela, et toutes les morales. Le sage s'efforce de ne pas voir les premiers plans immédiats, qui s'enfuient, mais de fixer les yeux sur les lointains, qui sont immobiles. / Aimons la vitesse, qui est le merveilleux moderne, mais vérifions toujours nos freins. (Paul Morand, Papiers d’identité, Grasset, 1931, « De la vitesse », dernières lignes, p. 296).[8]
. « La peur a détruit plus de choses en ce monde que la joie n'en a créées. » (Paul Morand, Rond-Point des Champs-Élysées, Grasset, 1935, partie I, section « Sauve qui peut ! », p. 28).[9]
. « Les auteurs ont peur de la critique, les critiques ont peur des éditeurs, les éditeurs ont peur du lecteur et le lecteur a peur du miroir grimaçant que lui tendent les auteurs. » (Paul Morand, Rond-Point des Champs-Élysées, Grasset, 1935, partie I, section « Sauve qui peut ! », p. 29). [10]
. « La moitié des gens ont peur de ne pas gagner leur biftèque, l'autre moitié de se le voir prendre ; tous d'avoir à manger seuls. » (Paul Morand, Rond-Point des Champs-Élysées, Grasset, 1935, partie I, section « Sauve qui peut ! », p. 29).[11]
. Évitez […] de clamer : « Quel sale pays que la France ! Au moins ici… » Ne faisons pas de coquetterie facile aux dépens de notre patrie : le Français qui crut gracieux de déclarer : « Si je n’étais pas Français je voudrais être Anglais », s’attira cette sèche et belle réplique : « Et moi, si je n’étais pas Anglais je voudrais être Anglais ». Rien n’est vil comme de faire des politesses en reniant quelque chose ou quelqu’un. (Paul Morand, Rond-point des Champs-Élysées, Grasset, 1935, partie I, section « Devoirs du Français à l’étranger », p. 82).[12]
. L’éclat du discours attire la gaffe comme la hauteur de l’arbre attire la foudre ; s’il arrive que l’éclair ne tue pas, la gaffe tue toujours. (Paul Morand, Rond-point des Champs-Élysées, Grasset, 1935, partie I, section « Devoirs du Français à l’étranger », p. 84).[13]
. Rien n’est plus beau qu’une vocation réalisée, si ce n’est une vocation contrariée. (Paul Morand, Rond-point des Champs-Élysées, Grasset, 1935, partie I, section « Conseils pour voyager sans argent », p. 147).[14]
. L'oisiveté exige tout autant de vertus que le travail : il y faut la culture de l'esprit, de l'âme et des yeux, le goût de la méditation et du rêve, la sérénité, toutes valeurs bien rares aujourd’hui. (Paul Morand, Le Réveille-matin, Grasset, 1937, p. 204-205).[15]
. La jeunesse exige des comptes d’hoirie, avant l’héritage. Ces adolescents, je voudrais les chérir, mais je me sens infirme devant eux ; je ne sais où placer une affection qu’ils récusent ; c’est déjà difficile d’aimer qui vous aime, mais comment tendre les bras à qui ne veut pas être aimé ? Le seul bien qu’ils attendent de moi, c’est que je m’en aille ; qu’ils me laissent seulement m’éloigner d’eux en prenant ma part de leur peine. Que dire à des orphelins qui sont, en même temps, des parricides ? Ils nous demandent quel sera l’avenir de la jeunesse ; comment leur répondre que l’avenir de la jeunesse, c’est la vieillesse ? (Paul Morand, Discours de réception à l’Académie française, 20 mars 1969, 2ème paragraphe).
. [Edmond] About nous apprit à nous méfier de l’exotisme ; il fut un des premiers à dire que, voyager, c’est avoir faim, soif, se gratter, mal dormir, dans des pays où la nuit est plus bruyante que le jour. (Paul Morand, Discours de réception à l’Académie française, 20 mars 1969).
. Quand on a acheté tous les hommes et payé toutes les femmes, comment les aimer ? (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, II, Gallimard, 1961, p. 17).
. Il y a trois manières de commencer sa vie : le plaisir dabord, le sérieux plus tard ; ou bien travailler dur au début, pour se revancher vers la fin ; ou enfin mener de front le plaisir et le labeur. La première manière est celle de Louis XIV ; la deuxième, celle de Colbert ; la troisième, c'est celle de Fouquet. (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, II, Gallimard, 1961, p. 18).
. Il est interdit de... c'est la devise des autocraties. Il est avant tout interdit, quand on n'est pas le roi, de vivre de manière souveraine. Au suprême du bon goût, il n'y a de place que pour un seul homme, comme sur le trône. (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, IX, Gallimard, 1961, p. 95).
. Il y a chez les hommes une tentation de se détruire, qui peut primer le besoin de se conserver. (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, X, Gallimard, 1961, p. 104).
. Le prisonnier priait. Ce retour à une enfance chrétienne était la pente naturelle du malheur. (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, XVI, Gallimard, 1961, p. 195).
. Les morts et les absents sont les êtres les mieux aimés. (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, XVI, Gallimard, 1961, p. 195).
. Les dieux n'aiment pas l'homme heureux. (Paul Morand, Fouquet ou le soleil offusqué, XVII, Gallimard, 1961, p. 220).
. Commencer la vie avec beaucoup d’argent est une erreur, mais nous ne le savions pas. La fortune nous joue bien des mauvais tours : le pire, c’est de nous permettre de réaliser nos rêves. Or les rêves, et surtout ceux des jeunes gens, sont généralement idiots. […] De tout temps, les moralistes ont recommandé aux adolescents des débuts modestes […], et ils ont eu bien raison. (Paul Morand, Mes débuts (1932), Arléa, 1994, p. 17-18).
. Quand les critiques commencent à définir, les penseurs à mettre au point et les écoles à se former, on peut être sûr que le spectacle est fini. (Paul Morand, Mes débuts (1932), Arléa, 1994, p. 47).
. Un film n’est que par hasard une œuvre d’art ; c’est, avant tout, un papier de commerce : il doit être vendu avant d’être tourné ; plus il sera endossé et plus on trouvera à le placer. (Paul Morand, Mes débuts (1932), Arléa, 1994, p. 60-61).
. L'instinct de la femme stupide ne la trompe jamais. ;(Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 2 juillet 1968, p. 24).
. La solitude est peu de chose en regard des inconvénients des visites, empiétements sur ma liberté ; on veut lire, il faut répondre, dormir, il faut parler, manger vite, rester à table, etc. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 18 juillet 1968, p. 32).
. Si vous n'avez pas mal quelque part, inutile d'écrire. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 8 septembre 1968, p. 48).
. Pourquoi être puni pour ses péchés, puisque tous, même les plus charmants, portent leur punition en eux-mêmes. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 8 septembre 1968, p. 50).
. Les hommes qui aiment les femmes, qui se tuent ou se vident pour elles sont les faibles, les nerveux, les obsédés sexuels, les poètes. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 21 novembre 1968, p. 98).
. On parle des "fautes de jeunesse". Et celles de vieillesse, donc ! (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 28 novembre 1968, p. 100).
. L'amour est une histoire à dormir couché. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 31 décembre 1968, p. 117).
. Plus les femmes sont idiotes, et plus elles sont malignes. Je veux dire qu'inaccessibles à la raison, elles arrivent plus vite au réel, par des raccourcis d'elles seules connus. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 18 mai 1971, p. 202).
. Mourir, c'est comme de sauter d'un train en marche ; on ne voit plus que les trois feux rouges du dernier wagon, qui s'éloigne. Ça continue sans vous, sans un instant de retard. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 2 septembre 1969, p. 259).
. Ce qu’on s’embêterait sur terre, s’il n’y avait pas les ennuis ! (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 19 novembre 1969, p. 298).
. La conversation des femmes : 90% de reproches. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 9 décembre 1969, p. 321).
. On trouve tout naturel que les républicains du temps de Napoléon III aient souhaité, en 1870, la défaite de la France ; alors, pourquoi trouver honteux que Maurras, en 1940, ait souhaité la défaite de la République ? (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 16 décembre 1969, p. 329-330).
. Ou les femmes tiennent mal à vous, et c'est ennuyeux, ou elles vous aiment, se plaignent, et c'est excédant. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 16 décembre 1969, p. 331).
. C’est à cause de mon amour de la France que je ne peux pas la supporter. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 15 février 1970, p. 358).
. Entre toutes les façons de faire l’amour, les postures, les perversions, les fantaisies féminines, ce qu’elles m’ont, dans l’ensemble, demandé le plus, c’est surtout du très simple : qu’on leur monte dessus, qu’on pèse le plus lourdement possible sur elles, qu’on les enfile très profond, et qu’on les manipule violemment dans le spasme. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 18 février 1970, p. 359).
. On se rend mal compte, aujourd’hui, que le nu, en 1900, n’existait pas. Je n’ai jamais vu mon père le torse nu, je ne suis jamais entré dans la salle de bains quand il y était ; dans les music-halls les plus osés, les femmes étaient en maillot rose ; les costumes de bain, sur les plages ; dans l’alcôve, les femmes gardaient leur chemise ; le nu, c’était pour les musées. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 10 juillet 1970, p. 411).[16]
. Que de temps perdu à gagner du temps ! (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 20 septembre 1970, p. 431).
. Curieux : le fascisme a vomi les Juifs ; or le seul dernier État fasciste d’aujourd’hui, c’est Israël. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 6 novembre 1970, p. 445).
. Le chagrin des autres m’attendrit souvent, m’ennuie toujours. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 17 novembre 1970, p. 448).
. Parler est un besoin, se taire une vertu. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 13 août 1971, p. 544).
. On est tellement attaché à la vie qu'on imagine la mort comme une autre vie. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 27 août 1971, p. 557).
. Je ne sais pourquoi je garde ici ce récit de mes amours avec Natacha Paley. Rien de plus con qu'un homme amoureux. Quelle perte de foutre et de temps ! (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 3 septembre 1971, p. 571).
. Les maladies : on croit toujours qu'on va en guérir, ou en mourir ; alors que ce qui arrive, c'est autre chose : on vit, et on vieillit avec. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 14 septembre 1971, p. 588).
. La vieillesse est un âge où le ridicule ne tue plus. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 17 septembre 1971, p. 590).
. Le mot Juif, prononcé par quelqu'un qui ne l'est pas, est déjà de l'antisémitisme. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 6 octobre 1971, p. 601).
. Étude, à faire, du français des annonces de spécialités pharmaceutiques. Le besoin d’épater le public par des mots bizarres et diafoiresques. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 5 novembre 1971, p. 613).
. Il reste des Anglais, mais plus d'Angleterre. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 28 février 1972, p. 669 ; répété le 15 mai, p. 711).
. On doit la vérité à ceux qu'on aime, surtout s'ils ont fait un mauvais livre ; ils ne vous le pardonnent pas. Donc, aimer quelqu'un, c'est le perdre. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 28 février 1972, p. 669).
. J’adore faire l’amour, disait-on jadis. Et aujourd’hui : C’est bon pour faire baisser la tension, le cholestérol, ça décongestionne la prostate, etc. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 17 mars 1972, p. 683).
. Référendum : les référendums sont à la politique ce que les demandes d'augmentation de capital sont aux assemblées d'actionnaires ; quand une affaire marche mal, on met le peuple dans le coup. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 29 mars 1972, p. 692).
. Des piles, des piles de livres m’assurant de l’admiration de leurs auteurs. Pourquoi écrire ainsi, implacablement ? […] On a l’estomac chargé. Furieux contre ces gens, qui vous empêchent de relire Saint-Simon, qui vous volent des heures. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 1er mai 1972, p. 704).
. Deux femmes intelligentes parlent pendant 4 heures sans arrêt ; le total égale zéro. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 20 mai 1972, p. 715).
. Il est très difficile de connaître une femme et de parler d'elle, si on ne l'a pas eue dans son lit. Mais l'y avoir eue suppose qu'elle vous aimait ; donc, que comme toutes les amoureuses, elle était momentanément quelqu'un d'autre, ayant modifié sa personnalité permanente, pour vous plaire. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 15 août 1972, p. 762).
. L'amour, chez les vieux, cela fait rire les jeunes ; ils ne savent pas que, lorsqu'ils seront vieux, ça les fera pleurer. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 16 septembre 1972, p. 785).
. Il est tellement plus agréable et plus facile d'être détesté que d'être aimé. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 27 septembre 1972, p. 794).
. Ce que je crains, c'est, après une attaque, de n'être plus moi-même, et de ne plus avoir le désir de me suicider, m'accommodant sans gêne d'un état diminué ; pire que tout. (Paul Morand, Journal inutile I. 1968-1972, Gallimard, 2001, 28 octobre 1972, p. 815).
. La difficulté, c’est d’entrer dans le corps d’une femme, sans entrer dans sa vie. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 28 janvier 1973, p. 20).
. Je déteste les femmes qui rient quand on les baise. J'aime au contraire, ce sérieux qui vous prend, cette grande ombre d'un bonheur étrange qui saisit le couple, désuni, tout en s'unissant, mais pourtant lié gravement à l'autre, deux êtres qui vont, une seconde, n'en faire qu'un. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 26 février 1973, p. 31).
. Quand on pense que la fin de l’homme blanc, ce sera d’abord la fin de l’Américain, on est consolé. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 31 juillet 1973, p. 92).
. La preuve qu'on tourne en rond, c'est qu'on s'écrie à chaque instant : « Je suis à un tournant de ma vie ». (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 31 juillet 1973, p. 92).
. Tous les grands livres sont à relire au bout de 20 ans ; ils n’ont pas changé, mais soi, on n’est plus le même ; ils vous apparaissent totalement différents, ou du moins, très nouveaux. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 6 août 1973, p. 104).
. J'ai toujours trouvé les gens fort mécontents de leur sort, mais très satisfaits d'eux-mêmes. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 1er septembre 1973, p. 122).
. L’ennui des maximes, c’est que quelqu’un l’a toujours dit avant vous. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 24 septembre 1973, p. 136).
. Terrible monotonie de la Bible. Toujours le même thème : Vous avez offensé Dieu en priant Baal ou Astarté. Je vous hais. Je vous chasse. Je réduis Jérusalem-Sion en cendres. Partez pour l’Assyrie, l’Égypte, la Chaldée, etc, et que je que ne vous revoie plus… non ! après tout, vous êtes mon peuple, je vous pardonne, revenez, reconstruisez Jérusalem, etc. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 30 septembre 1973, p. 144).
. Depuis que je ne les baise plus, c'est-à-dire depuis un an, les femmes m'apparaissent monstrueuses ; Hélène me l'a toujours dit, mais je ne la croyais pas ; ma queue, au premier plan, m'empêchait de les voir. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 17 octobre 1973, p. 151).
. J'ai vécu 86 ans avec mon corps comme avec un camarade, m'entendant bien avec lui. Aujourd'hui, c'est avec un étranger, un ennemi dont j'attends à chaque instant la trahison. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 30 mai 1974, p. 263).
. Les plus stables d’esprit sont les égoïstes, parce qu’ils sont toujours fidèles à eux-mêmes. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 4 août 1974, p. 302).
. Le fameux bonheur d'être deux a fait plus d'infortunes que le malheur d'être seul. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 4 août 1974, p. 302).
. La bonté, cela s’apprend, comme l’anglais ou les dominos. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 8 août 1974, p. 303).
. Justice immanente. Télévision de ce soir : procès Nuremberg : 1945, l'officier allemand accusé : « Je n'étais nazi que parce que le Reich l'était ; je ne faisais qu'obéir à mes supérieurs». — Et votre conscience ? Réponse : 30 ans plus tard : un million de déserteurs dans l'armée américaine, parce qu'ils ont obéi à cette fameuse conscience. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 12 septembre 1974, p. 327).
. Elle est courte, la vie : à peine cesse-t-on de vous appeler « gamin », qu'on vous appelle « grand-père ». (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 24 septembre 1974, p. 332).
. On n'est jamais indépendant de ceux qu'on aime, de ceux qui vous aiment (ce sont rarement les mêmes) ; on n’est jamais indépendant des forts ; encore moins des faibles et des malheureux. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 17 octobre 1974, p. 350).
. Une femme, c’est une femme ; deux femmes : des dames ; trois femmes ensemble : des bonnes femmes. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 30 octobre 1974, p. 359).
. On fuit les vieillards, parce que tristes ; mais leur gaîté a aussi quelque chose d'affreux. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 10 décembre 1974, p. 386).
. Pourquoi faut-il que nos lecteurs les plus assidus soient des gens si bêtes ? (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 31 décembre 1974, p. 406).
. Un collègue, Étienne Wolff, administrateur, c'est-à-dire président du Collège de France, raconte qu'à un congrès, à Moscou, en 1969, il expliquait à un collègue russe que, depuis 1968, l'orientation des élèves était venue remplacer la sélection. « Êtes-vous fous, en France ? », lui répliqua le Soviétique. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 14 mars 1975, p. 463).
. Tout ce qui contraignait notre jeunesse : respect des parents, personne pour vous expliquer la vie, secret, argent mesuré, convenances sociales, était en grande partie absurde, immoral, mais avait du bon, en ce qu’il contraignait, faisait des êtres plus débrouillards, plus rapides, plus révoltés. Aujourd’hui, A. ne va plus au bordel, mais il est la proie de la première fille venue qui, du fait que sa famille accepte ou ferme les yeux, se considère comme sa femme et s’empare du jeune richard. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 2 juillet 1975, p. 565).
. Il ne faut pas exécuter cinq personnes, comme Franco ; on a la conscience universelle contre soi ; il faut en tuer 17 millions, sans bruit, comme Staline. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 28 septembre 1975, p. 623).
. « Oui, je suis une salope » : Une femme adore dire ça à celui qui la baise, en secret. Mais si elle le dit en public, devant 25 millions de spectateurs, tout le charme disparaît. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 9 octobre 1975, p. 632).
. Quand on pense que les plus belles lettres d’amour, celles de Bonaparte, en Italie, à Joséphine, et celles de Balzac à Mme Hanska, s’adressent à deux garces, ça donne la juste mesure de l’amour-passion. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 27 octobre 1975, p. 643).
. Avoir été condamné, tour à tour, par les racistes et trente ans plus tard par les antiracistes est une bouffonnerie politique réjouissante. Récitons le Notre Père Ubu qui êtes sur la Terre. (Paul Morand, Journal inutile II. 1973-1976, Gallimard, 2001, 12 novembre 1975, p. 656).
. Ce qui va commencer n’est plus pour nous et il faut s’en réjouir ou du moins n’en pas souffrir, car ce sera le contraire de ce que nous avons aimé. Ce sera terrible, avec pour seule beauté l’amplitude de la catastrophe et la hauteur de la vague qui va emporter bien d’autres choses que nous, bien d’autres choses que ce qu’emportent d’habitude les petits vagues de générations ou les ordinaires chapitres d’histoire. Nous ne ferons plus que survivre ; nous ne rebâtirons plus rien. (Paul Morand, lettre à Denise Bourdet, 8 juillet 1945, dans Lettres du Voyageur, Le Rocher, 1988, p. 29).
[à compléter]
. [à propos de l’antisémitisme] : « On me rebat les oreilles avec France la doulce comme si la satire des milieux du cinéma était interdite. Vous pouvez vous acharner sur le Vatican, les Jésuites, la grande banque, la haute bourgeoisie, personne ne vous en fait grief. Mais si parmi les producteurs de cinéma il se trouve des Juifs peu scrupuleux et que vous le disiez, vous voilà marqué au fer rouge ! À ce compte Shakespeare irait en prison pour Le Marchand de Venise et Eugène Sue pour Le Juif errant ! » (Paul Morand, propos oral rapporté par Marcel Schneider dans Mémoires intimes tome 3 : Le Palais des mirages, Grasset, 1992, chap. XIII ; rééd. Le Livre de poche n°13620, 1994, p. 222).
. « Le seul régime totalitaire que je craigne vraiment, c'est la femme. » (Paul Morand, propos oral rapporté par Pascal Jardin dans La Guerre à neuf ans, Grasset, 1971, p. 112).
. « L'Inde est tout de même un pays qui doit toute sa structure à la division en castes et je crois que, si elle se dirige vers la démocratie, elle ne sera plus l'Inde. » (Paul Morand, entretien avec Stéphane Sarkany, 5 août 1964, reproduit dans : Stéphane Sarkany, Paul Morand et le cosmopolitisme littéraire, Klincksieck, 1968, p. 231).
. « Il est possible que l'homme, au lieu de descendre du singe, descende vers le singe. » (Paul Morand, entretien avec Stéphane Sarkany, 5 août 1964, reproduit dans : Stéphane Sarkany, Paul Morand et le cosmopolitisme littéraire, Klincksieck, 1968, p. 231).
. « Ne perdez pas de vue que, quand je prends un sujet ou que je traite une nouvelle, c'est d'un point de vue d'artiste, c'est-à-dire d'un homme qui se réjouit des contrastes de la couleur, et qui ne désire pas du tout – comme le ferait un idéologue par exemple – les amoindrir ou les effacer. Ne quittez jamais le point de vue esthétique en ce qui me concerne. Cela explique les contradictions et tout le reste. » (Paul Morand, entretien avec Stéphane Sarkany, 5 août 1964, reproduit dans : Stéphane Sarkany, Paul Morand et le cosmopolitisme littéraire, Klincksieck, 1968, p. 233).
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[1] J’ai hésité à les reclasser en sections thématiques qui eussent sans doute été : la femme et l’amour ; la vieillesse et la mort ; le voyage ; politique ; psychologie ; divers. Je me suis dit que Morand étant moins un penseur systématique qu’un écrivain d’instinct, il valait mieux respecter la diversité générique de son œuvre. (Je n’exclus pas de changer d’avis un jour et de revenir à ma première intention…)
[2] Dans le troisième chapitre du Bal du comte d'Orgel, qui a été écrit en 1922 et est paru posthume en 1924 (la nouvelle « Aurore » est parue en pré-originale dans la N.R.F. en décembre 1919, et le recueil Tendres stocks en janvier 1921), Raymond Radiguet écrit : « En outre, pour la première fois, Anne d'Orgel voyait sa femme hors de son soleil, de ses préoccupations. Il lui en trouva plus de saveur, comme si elle eût été la femme d'un autre. » (coll. G.F. n°406, 1984, p. 87, ou Œuvres coll. Pochothèque, 2001, p. 421).
[3] Cette phrase est plagiée par Roland Jaccard dans le Journal d’un homme perdu (Zulma, 1995). On lit en effet à la date du 30 août 1990, au bas de la page 186 : « J’ai fait le tour de moi-même et me suis libéré du Narcisse pathologique que je portais en moi. Quant aux femmes, je m’en tiendrai désormais à la formule suivante : une femme entre dans votre vie, c’est miraculeux ; elle en sort, c’est providentiel. » Comme il n’y a pas de guillemets ni d’italiques, rien ne suggère que cette « formule » est un emprunt.
[4] Morand devait tenir particulièrement à cette phrase, car il a tenu à la citer lui-même, de façon dailleurs inexacte, au moins deux fois : dans De la vitesse (1929), opuscule intégré ensuite dans Papiers d’identité, Grasset, 1931, page 293, puis dans Apprendre à se reposer, 1937, dont le chapitre V (rééd. Arléa, 1996, p. 122) reprend de larges morceaux de l’opuscule de 1929.
[5] C’est sans doute par pure inadvertance que Philippe Roger attribue ce texte à Luc Durtain dans L’Ennemi américain (Seuil, 2002), p. 259 note 45.
[6] Le chapitre III d’Apprendre à se reposer (Flammarion, 1937, renommé Éloge du repos dans la réédition d’Arléa, 1992 et Arléa-poche n°2, 1996), intitulé « Voyager », est constitué en large partie d’auto-plagiats du petit livre de 1927. Ainsi cet aphorisme s’y retrouve page 60, et le suivant p. 61.
[7] Cet aphorisme et le suivant se trouvent aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre V, p. 118.
[8] Cet aphorisme se retrouve aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre V, p. 125, dernières lignes du livre. Une seule différence : la phrase de conclusion détachée, avec sa suggestive métaphore, a été remplacée par le plat et banal : « Le vrai repos vient de nous ».
[9] Cet aphorisme se trouve aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre I, p. 33. Je l’ai mis entre guillemets, ainsi que les deux suivants, parce que le texte est un dialogue.
[10] Cet aphorisme et le suivant se trouvent aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre I, p. 34.
[11] Le texte de 1935 porte : « prendre ; à le manger seuls », et celui d’Arléa : « prendre : à manger seuls ». Qu’elle soit volontaire ou non, la correction de la réédition Arléa est heureuse, car on ne voit pas comment ceux qui se sont fait prendre leur biftèque pourraient encore le manger seuls. C’est pourquoi j’ai omis ce pronom COD qui affaiblit la phrase (mais j’ai laissé le point-virgule : il n’y a pas de rapport causal qui impose un deux-points). Je n’ai pu consulter l’édition originale d’Apprendre à se reposer, ce qui m’aurait permis de savoir si Morand avait lui-même rectifié la phrase ou si c’est une initiative de la maison Arléa.
[12] Cet aphorisme se trouve aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre III, p. 73. — L’anecdote, dont je crains qu’elle soit bien oubliée aujourd’hui, semble dater de la monarchie de Juillet. En effet, on la trouve dans un article de John Lemoinne, qu’elle conclut, article consacré à l’examen du caractère anglais à partir d’un livre d’Emerson (English Traits) et paru dans Le Journal des débats du 31 janvier 1857, page 3. La phrase initiale est présentée ainsi : « Un jour, dans une des Chambres françaises, un orateur qui défendait l’alliance anglaise se prit à dire : [...] », la réplique étant due à « un Anglais à qui on répéta le compliment ».
[13] Cet aphorisme se trouve aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre III, p. 76.
[14] Cet aphorisme se trouve aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, chapitre III, p. 62.
[15] Cet aphorisme se trouve aussi dans Éloge du repos, Arléa-poche n°2, 1996, texte d’introduction, p. 13.
[16] Dans son article « De la vitesse » (première parution : 1929), qui est presque entièrement un réquisitoire contre la vitesse, mais oui, Morand remarque aussi qu’une femme de 1890 portait sur elle 22 vêtements ou pièces d’habillement et se déshabillait en 20 minutes, alors qu’une femme d’aujourd’hui, l’été, en porte 3 et se retrouve nue en 30 secondes (Papiers d’identité, p. 281).
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