NICOLE KIDMAN : TAISEZ CE « NÈGRE » QUE JE NE SAURAIS ENTENDRE
05.10.2012
À l’occasion de la sortie prochaine du film Le Vendeur de journaux de Lee Daniels (The Paperboy : toujours cette manie contemporaine, de plus en plus dominante, de ne pas traduire les titres, surtout quand ils sont en anglais), la presse nous révèle une information bien significative. Il s’agit, paraît-il, d’un film très ordurier (ou « trash », en français du XXIème siècle), qui a dailleurs été hué lors de sa présentation à Cannes il y a quelques mois, et traité de « nanar boursoufflé ». L’actrice principale, la très belle Nicole Kidman, dont on sait comme elle aime « prendre des risques » dans ses films, y joue une nymphomane vulgaire, qui dans une scène mime une fellation, et dans une autre urine sur son partenaire (joué par Zac Efron).
Mais le tournage a connu un incident : Nicole Kidman a en effet refusé catégoriquement de prononcer le mot « nigger ». Jouer des scènes de cul ne lui a pas posé de problème, mais articuler cette insanité était au-dessus de ses forces de petite poupée blanche formatée par le « politiquement correct ». Dans une conférence de presse, elle a même mis en avant le respect dû à son fils adoptif (Connor Cruise), qui est noir, pardon « afro-américain » pour expliquer son incapacité à prononcer ce mot fatal : « Mon fils est Africain-Américain et je ne l’ai pas senti. Ça n’allait pas ».
Au vu de sa filmographie parfois courageuse et de son entente avec certains metteurs en scène plus artistiques que commerciaux, je m’étais figuré que Nicole Kidman était d’une intelligence sensiblement supérieure à la moyenne des autres actrices. C’était oublier que pour épouser Tom Cruise, il ne doit pas falloir aimer gouverner sa vie par l’intelligence. De fait, la sienne n’a pas réussi à la convaincre que si Lee Daniels, qui est noir, tenait tellement à lui faire prononcer ce mot, c’est qu’il devait avoir de bonnes raisons. Le pauvre réalisateur, furieux du refus de l’actrice, a même tenté, en vain, de faire intervenir le producteur, lequel a préféré respecter cette tocade de Mme Kidman. Celle-ci, apparemment, ne s’est pas non plus avisée que l’action du film se déroulait dans les années 60, époque où le mot « nigger », qui est maintenant devenu le « n-word », n’était pas encore tabou, voire demeurait assez courant, quoique controversé. Mais non : avoir tourné dans quelques films historiques (comme Portrait de femme, Moulin rouge, Les Heures, Retour à Cold Mountain ou Australie) n’a pas réussi à la sensibiliser aux notions d’évolution des coutumes et d’anachronisme. Plaquer un tabou des années 2000 sur les années 1960 ne lui a pas paru inepte, ou alors d’une ineptie moins honteuse que celle de violer ce tabou de notre temps.
Cette petite anecdote me paraît affreusement représentative de la mentalité actuelle. Une actrice, aujourd'hui, c'est une femme qui peut mimer des scènes pornographiques devant la caméra – voire les jouer réellement –, qui peut vomir les ordures les plus immondes, qui peut se conduire à l’écran (et à la ville) comme la dernière des catins... mais qui préfèrerait se faire hacher en morceaux plutôt que de prononcer le mot « nègre ». La déontologie de l’acteur, qui devrait lui faire un devoir de jouer son personnage avec un maximum d’authenticité, s’arrête à l’Interdit de l’injure raciale. De même qu’on efface la cigarette des photos de nos aïeux (comme Malraux sur un timbre de la Poste, ou Sartre sur une affiche d’exposition de la B.N.F.), on retire de leur bouche les grossièretés racistes dont ils émaillaient leurs propos. La censure rétrospective et l'autocensure contemporaine se donnent la main. Naguère, beaucoup d’acteurs refusaient de se montrer nus, ou de jouer des choses obscènes. C’est toujours le cas, mais les frontières de l’obscénité se sont déplacées : ce qui est obscène, désormais, ce n’est plus le sexe, c’est la race. La nudité du corps est devenue moins choquante que la nudité du réel, si bien qu’une femme bien-pensante a moins de gêne à montrer sa chatte qu’à dire d’un noir qu’il est noir. Les actions les plus impudiques et les plus immorales sont bénignes, en comparaison de ce crime des crimes : paraître raciste. Tout plutôt que d’offenser le Sacré. Nos droidlomistes sont les dévots d’aujourd’hui, tellement obnubilés par l’obéissance à la lettre de la Loi, aux commandements superficiels de la divinité (le dieu Humanus), qu’ils en oublient toute autre considération. Il y avait dans la langue classique un mot pour désigner cette attitude odieuse, qu’on retrouve dans le titre d’un roman de Mauriac : le pharisaïsme. Et le plus terrifiant, dans le phénomène de la dévotion, c’est que les tartuffes sont finalement peu nombreux. La plupart des pharisiens, à l’instar de l’héroïne de Mauriac, sont sincères. Ce qui les rend bien plus bêtes et bien plus nuisibles.
2 commentaires
Vous pourriez rajouter la suppression de la pipe de Jacques Tati sur je ne sais plus quelle affiche.
En effet, mais mon propos n'était pas de faire un inventaire exhaustif ! J'ai juste pris deux exemples analogues dans cet article : http://www.rue89.com/2011/01/19/tabac-la-fin-de-la-chasse-a-la-cigarette-sur-les-affiches-186481
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